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Le serment des hommes rouges: Aventures d'un enfant de Paris. Ponson du Terrail
Читать онлайн.Название Le serment des hommes rouges: Aventures d'un enfant de Paris
Год выпуска 0
isbn 4064066087746
Автор произведения Ponson du Terrail
Жанр Языкознание
Издательство Bookwire
Le lieutenant m'entraîna vers le milieu du grand salon.
La belle Hongroise remerciait alors son danseur, qui n'était autre que le magnat, maître de la maison, et elle s'apprêtait à rejoindre son père, lorsque nous l'abordâmes.
En Hongrie, une fille unique hérite des titres de son père et les porte même du vivant de ce dernier.
C'est ainsi que la fille du comte Mingréli était comtesse.
Elle accueillit le lieutenant Hinch avec un charmant sourire.
—Comtesse, lui dit-il, permettez-moi de vous présenter M. le marquis de Vilers, un ennemi que j'aime de tout mon coeur.
Elle reporta sur moi ce regard et ce sourire dont elle avait salué le jeune lieutenant.
—J'ai ouï parler de vous, monsieur, me dit-elle.
—En vérité, comtesse?
—D'abord, me dit-elle, vous êtes un des Gentilshommes rouges, comme on vous nomme depuis votre belle défense de la redoute?
—Oui, comtesse.
—Ensuite, je vous ai connu à Paris.
—A Paris? fis-je avec étonnement.
Le lieutenant Hinch, en galant homme qu'il était, s'était déjà mis à l'écart pour nous laisser causer.
—Chut! me dit tout bas Haydée; je vous conterai cela plus tard... à moins que vous ne vouliez me faire danser.
—Je vous le demande à genoux, répondis-je ébloui de sa beauté et prêtant l'oreille à sa voix qui était mélodieuse comme un chant slave.
—Parlez-vous le hongrois? me demanda-t-elle, car elle m'avait adressé la parole en français, et, comme tous les Slaves, elle parlait cette langue aussi purement qu'une Parisienne élevée à Versailles.
—Un peu, répondis-je.
—Vous devez être une exception dans votre armée?
—A peu près.
—C'est comme ici les Autrichiens; il y en a fort peu qui parlent le hongrois.
—Ah!
—Et si nous nous servons de cette langue, nous courons le risque de n'être entendus de personne.
Les préludes d'une danse nationale, que, à Paris et à Versailles, nous avons nommée la hongroise, se firent entendre alors.
Haydée plaça dans ma main sa main gantée et je l'entraînai dans le tourbillon.
—Comtesse, lui dis-je alors, vous êtes donc allée à Paris?
—L'hiver dernier.
—Pourtant nous étions déjà en guerre?
—Oui, mais mon père avait un sauf-conduit du maréchal de Belle-Isle, votre général.
—Ah! c'est différent; cependant...
—Je sais ce que vous allez me dire, interrompit-elle en souriant.
—Peut-être...
—Vous allez me dire: Moi aussi, j'étais à Paris et à Versailles l'hiver dernier, et il est impossible que des gens comme nous ne se soient point rencontrés.
—En effet..., vous êtes si belle, que, après vous avoir vue une seule fois, on ne saurait plus vous oublier.
—Flatteur!
Elle prononça ce mot sans irritation, d'une voix plutôt émue que railleuse, et je me demandai si c'était bien là cette femme qui, disait-on, était insensible à tous les hommages.
—Oui, reprit-elle, j'étais à Paris, et je vous ai vu.
—Oh! c'est impossible!...
—Regardez bien mes cheveux blonds. Je tressaillis.
—C'est tout ce que vous avez vu de moi...
—Ah! m'écriai-je, je me souviens... c'était vous?
Pour vous expliquer ces paroles que nous avions si rapidement échangées, il est nécessaire que je raconte une aventure qui m'était advenue l'hiver précédent.
Un soir de décembre, je me rendais au premier bal de l'Opéra, et mes porteurs longeaient la rue Saint-Denis. Arrivé à la hauteur de la rue aux Ours, j'entendis tout à coup des cris, des supplications et tout le tapage, en un mot, d'une rixe nocturne.
Plusieurs voleurs avaient entouré une chaise à porteurs dans laquelle une jeune femme se débattait et appelait au secours.
Les voleurs lui disaient:
—Donnez votre argent, vos pierreries, vos bijoux, madame, et il ne vous sera fait aucun mal.
La jeune femme était masquée, ce qui était une preuve qu'elle se rendait au bal de l'Opéra.
A la première attaque, les porteurs de la dame s'étaient enfuis.
Je sortis de ma chaise et je fondis, l'épée haute, sur les bandits en criant:
—Je suis le marquis de Vilers, et j'ai rossé le guet trop souvent pour n'avoir point bon marché de drôles tels que vous.
Je tuai l'un des voleurs; les autres prirent la fuite. Alors j'offris ma chaise à la jeune femme, qui l'accepta, et je marchai à ses côtés jusqu'à l'Opéra.
Là, elle me remercia chaudement, mais elle n'ôta point son masque, et je la perdis de vue dans le bal.
Toute la nuit, je la cherchai. Ses cheveux blonds avaient fait sur moi quelque impression.
Mes recherches furent vaines...
Elle avait disparu,—et je l'oubliai.
—Ainsi, murmurai-je en regardant la comtesse avec extase, c'était vous?
—C'était moi, me répondit-elle. Vous voyez que nous sommes de vieilles connaissances.
Il me sembla alors que sa voix trahissait une légère émotion, et il me passa par l'esprit et par le coeur un ardent espoir.
—Qui sait? me dis-je, si je ne suis pas cet homme qu'elle aime et dont nul ne sait le nom?...
Mais, en ce moment, j'aperçus devant moi la figure railleuse de Gaston de Lavenay qui m'observait attentivement, et je sentis mon sang se glacer...
Je me souvenais du serment odieux que j'avais fait!
V
OU TONY APPREND A QUOI PEUT SERVIR LA VALSE
La jeune Hongroise n'avait remarqué, disait ensuite le manuscrit, ni les regards de mes amis braqués sur nous, ni le trouble que m'avait fait éprouver cette espèce de surveillance.
La danse finissait.
—Voulez-vous que je vous présente à mon père? me demanda la comtesse.
—Je vous en serai reconnaissant, répondis-je.
Elle continua à s'appuyer sur mon bras et me conduisit jusqu'à cette colonne contre laquelle le magnat était demeuré appuyé depuis que sa fille dansait.
—Mon père, lui dit-elle, je vous présente M. le marquis de Vilers.
Le magnat me salua avec la courtoisie d'un homme bien né, mais il n'y eut rien dans son geste, son regard ou sa voix qui pût me laisser croire que mon nom eût été déjà prononcé devant lui.
—Il paraît, pensai-je, que la belle comtesse n'a pas jugé convenable de lui parler du petit service que je lui ai rendu à Paris.
Puis,