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depuis une heure... Il a été tué en duel, sur la place Royale, par un gentilhomme...

      —Tué en duel par un gentilhomme?

      —Oui.

      —Savez-vous le nom de ce gentilhomme?

      —Je l'ignore; mais je sais qu'il a fait le tour du monde tout exprès pour se battre avec votre maître.

      —Ah! s'écria le valet qui paraissait posséder les secrets du marquis, c'est un des Hommes rouges! il fallait s'y attendre...

      Et le valet se prit à pleurer.

      Tony lui raconta alors la scène dont il avait été témoin, puis les dernières recommandations du marquis.

      —Ainsi, dit Joseph, il veut que sa femme aille à l'Opéra?

      —Oui.

      —Mon Dieu! comment faire?

      Tout à coup, Joseph se frappa le front.

      —Je vais dire à ces dames, fit-il, que le roi, qui est à Versailles, a fait demander le marquis, et que, sans doute, il reviendra cette nuit.

      —C'est cela!

      —Mais... la cassette?

      —Ah! c'est juste..., venez avec moi.

      Le valet, qui était fort troublé, fit entrer Tony dans la cour de l'hôtel, débarrassa le commissionnaire de ses cartons, le paya et le renvoya. Puis il remit les cartons à un autre valet auquel il dit:

      —C'est pour madame la marquise; cela vient de mame Toinon.

      Tandis que le valet portait les costumes, Joseph prit Tony par la main, lui fit prendre un escalier de service et le conduisit au premier étage de l'hôtel.

      Puis il poussa une porte devant lui et posa sur un meuble le flambeau qu'il avait pris chez le suisse.

      —Voilà le cabinet de mon pauvre maître, dit-il; l'armoire est en face..., cherchez le coffret... Moi, je vais dire à madame que M. le marquis est à Versailles.

      Et le valet, qui était en proie à un trouble et à une douleur extrêmes, laissa le jeune homme sur le seuil de la chambre qu'il appelait le cabinet de son maître.

      C'était une vaste pièce tendue d'étoffe sombre et d'un aspect assez triste. Tony, un moment immobile sur le seuil, finit par entrer et ferma la porte derrière lui.

      Jamais notre héros n'avait eu dans sa vie une heure aussi agitée que celle qui venait de s'écouler; jamais il n'avait été investi d'une mission pour ainsi dire aussi solennelle.

      Il faut croire que la gravité des circonstances lui donna à ses propres yeux une véritable importance, car il s'enhardit tout à fait et se dit:

      —J'ai fait un serment, je le tiendrai, et Dieu me punisse si je n'exécute pas fidèlement les dernières volontés de ce gentilhomme qui a eu confiance en moi!

      Tony aperçut, en face de lui, l'armoire indiquée par le valet de chambre.

      C'était un grand bahut de la Renaissance, à ferrures de cuivre, pourvu d'une fine serrure tréflée, comme on en fabriquait depuis peu.

      Il prit la clef qu'il avait trouvée sur le marquis et la mit dans la serrure.

      La clef entra, tourna deux fois et le bahut s'ouvrit.

      Tony vit alors un joli coffret d'ébène sculpté, après lequel se trouvait une clef.

      Il se hâta de l'ouvrir, moins par un sentiment de curiosité que dans le but de trouver dedans un indice quelconque qui pût le mettre sur la trace du destinataire, de ce baron dont le nom avait expiré sur les lèvres du marquis mourant.

      A la grande surprise du jeune homme, le coffret ne renfermait qu'un cahier de parchemin, couvert d'une grosse écriture, et une lettre.

      La lettre n'était point cachetée et portait cette inscription:

      Au baron de C... on à celui qui trouvera ce coffret.

      Tony, que cette initiale ne renseignait pas beaucoup, prit le parti d'ouvrir la lettre et lut:

      «Mon cher ami,

      »Je puis mourir demain. L'artilleur qui met le feu à une pièce de canon fêlée, le mineur qui travaille sous terre, le pêcheur assailli loin de la côte par une tempête, sont moins près de la mort que moi. Un poignard menace ma poitrine à toute heure; j'ai, comme Damoclès, une épée suspendue sur ma tête, et j'écris ces lignes en prévision de quelque catastrophe.

      »Toi ou celui qui lira le cahier ci-joint, où je raconte l'histoire étrange de mon existence, vous me vengerez, si je meurs!...

      »Marquis DE VILERS.»

      Cette lettre bizarre et sinistre impressionna si vivement la jeune imagination de Tony, qu'il oublia mame Toinon, et Joseph, le valet de chambre, et le lieu où il se trouvait. Il alla fermer la porte au verrou, plaça le coffret et le flambeau sur une table, prit un siège et se mit à lire avec une curiosité ardente le manuscrit du marquis, lequel avait ce simple titre:

      MON SECRET.

      III

      LE SECRET DU MARQUIS DE VILERS

      Le manuscrit du marquis, écrit d'une grosse écriture fort lisible, commençait ainsi:

      «J'ai trente ans. Il y en a quatre que ceci se passait. J'avais donc alors vingt-six ans.

      Nous étions quatre amis, officiers au régiment de Flandre, lors du siège de la petite ville impériale de Fraülen, sur le Danube.

      Le premier se nommait Gaston de Lavenay, le second Albert de Maurevailles, le troisième Marc de Lacy.

      J'étais le quatrième.

      Le siège traînait en longueur et le maréchal de Belle-Isle, qui en avait commandé les premières opérations, s'était retiré au bout de huit jours, laissant simplement devant la place trois régiments d'infanterie, un escadron de Royal-Cravate et deux batteries de campagne.

      Le maréchal avait sans doute un vaste plan d'opérations dans lequel il entrait de ne prendre Fraülen qu'à la dernière extrémité, c'est-à-dire à la fin de la campagne. Fraülen était pour lui comme un point sans importance, sur lequel il forçait les Impériaux à concentrer toute leur attention.

      Le mois de novembre arrivait et la saison devenait rigoureuse. Un jour, le commandant de la citadelle de Fraülen écrivit au marquis de Langevin, notre mestre-de-camp, qui commandait l'armée de siège, une lettre ainsi conçue:

      «Monsieur le marquis,

      «Voici le jour de la Toussaint, qui sera suivi du jour des Morts, et bientôt arriveront les fêtes de Noël et du nouvel an. Je vous viens faire une proposition: c'est d'établir une trêve entre nous pour tous les dimanches et jours de fête. Vos officiers pourront venir danser dans le faubourg de Fraülen, qui, vous le savez, renferme les plus belles maisons de la ville, et les miens les iront visiter dans la partie de votre camp que vous désignerez. Ce sera pour nos deux armées un moyen de tuer le temps.

      «En attendant l'honneur de votre réponse, je suis, monsieur le marquis, votre très humble serviteur.

      «Major BERGHEIM.»

      Le marquis répondit:

      «Monsieur le major,

      » J'accepte votre proposition et j'invite vos officiers à dîner pour le jour de la Toussaint dans la première enceinte de nos retranchements, entre nos ouvrages avancés et la portée de vos canons.

      » Je vais faire élever en cet endroit une tente convenable pour vous y recevoir et je suis, en attendant cet honneur, monsieur le major,

      » Votre très obéissant,

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