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Versailles, chez le ministre.

      —Mais il reviendra cette nuit?

      —S'il le peut...

      —Et il vous envoie?

      —Pour vous rassurer, madame.

      Tony ne put en dire davantage; une nouvelle figure le sépara, et il rejoignit mame Toinon.

      Le menuet fini, un flot de masques passa entre Tony et la marquise, qui se perdirent de vue un moment.

      Un mousquetaire, qui venait au bal en quittant son service, charmé par les belles épaules, le léger embonpoint et le pied finement cambré de mame Toinon, papillonnait autour d'elle et lui disait mille galanteries.

      Tony profita de la circonstance pour abandonner mame Toinon et se mettre à la recherche de la pauvre veuve.

      Mais la foule était nombreuse, difficile à fendre, et notre jeune héros erra pendant un bon quart d'heure avant d'avoir aperçu celle qu'il cherchait.

      Tout à coup, un homme dont le visage était découvert et qui portait un manteau rouge, passa près de lui.

      Tony le reconnut sur-le-champ.

      C'était ce gentilhomme qui avait tué l'infortuné marquis. C'était le comte Gaston de Lavenay.

      —Il doit chercher la marquise, pensa Tony.

      Et il se mit à le suivre. Il le vit errer à travers le bal, puis s'arrêter soudain.

      Il s'arrêta aussi. Le comte fit tout à coup quelques pas en avant et salua. Il était en présence de la marquise de Vilers, dont le masque s'était détaché un instant, et qu'il avait aussitôt reconnue, bien que ne l'ayant pas vue depuis quatre longues années.

      —Bonjour, marquise, dit le comte d'un air railleur.

      Tony s'était glissé derrière elle.

      —Monsieur!... fit la marquise, je ne vous connais pas.

      —Nous allons, si vous le permettez, renouer connaissance. Je suis le comte de Lavenay, et vous êtes la marquise de Vilers.

      La pauvre femme jeta autour d'elle un regard éperdu; elle semblait chercher un appui. En vérité, elle ne se souvenait plus de lui. Nous savons que le marquis ne lui avait jamais parlé du serment qui le liait aux Hommes Rouges, et, comme leur souvenir lui était exécrable, il avait toujours évité de prononcer leurs noms. La marquise pensait avoir uniquement affaire à l'un de ces hommes de plaisir, qui fréquentent l'Opéra, et ne se souciait nullement d'être l'héroïne d'une aventure de bal.

      —Ah! marquise, reprit le comte, vous conviendrez que j'ai mis une certaine discrétion à ne point troubler votre lune de miel.

      —Monsieur!...

      —Cependant, deux de mes amis et moi, nous désirerions avoir un certain billet que nous vous avons confié un soir à Fraülen...

      A la demande du comte, la mémoire revint à la marquise qui, ne sachant pas qu'elle avait devant elle l'un des plus grands ennemis de son mari, répondit légèrement:

      —Oh! monsieur, excusez-moi. Le billet confié à Fraülen?... Vous me rappelez une bien lointaine histoire.

      —Avez-vous au moins gardé ce billet?

      —Non, certes. Je n'y pensais plus, quand un jour monsieur de Vilers l'a trouvé par hasard dans mon bonheur du jour...

      —Il l'a ouvert?

      —Parfaitement, puis l'a jeté au feu avec colère. Je me souviens même que jamais il n'a voulu me dire ce qui l'avait offensé dans ce papier. Mais venez le lui demander demain. Il sera peut-être moins discret avec vous.

      —Votre mari ne nous dira rien, madame ricana le comte.

      —Et pourquoi?

      Le comte eut un sourire étrange et sans doute il allait ajouter:

      —Votre mari ne nous dira rien, madame, parce qu'il est mort, parce que je l'ai tué!

      Mais il n'en eut pas le temps.

      Tony, qui était devenu, nous l'avons dit, un homme, Tony, qui n'avait pas cessé de se tenir auprès de la marquise et avait tout entendu, se dressa sur la pointe des pieds et jeta son gant au visage du comte.

      —Vous êtes un lâche! dit-il.

      Le comte, stupéfait, anéanti par une semblable insulte, étouffa un cri et fit un pas en arrière.

      Puis il regarda son agresseur.

      Tony n'était qu'un enfant, mais il avait l'oeil étincelant, les lèvres pâles, et il appuya la main sur la garde de l'épée qu'il portait pour la première fois, avec tant de fierté et de résolution que le comte de Lavenay comprit qu'il avait devant lui un adversaire sérieux.

      —Vous êtes un lâche, répéta froidement Tony.

      La marquise reconnut son vis-à-vis de tout à l'heure.

      —Ah! chevalier, dit-elle, éperdue.

      Ce titre qu'elle donnait à Tony acheva de faire illusion.

      Le jeune Tony était beau; il était bien tourné; il portait galamment son habit de gentilhomme.

      Le comte ne douta pas un instant qu'il eût affaire à un homme parfaitement né.

      —Ah! mon petit monsieur, dit-il, je vais vous couper les oreilles sur l'heure.

      —Venez donc, dit Tony, et priez Dieu qu'il vous rende la peau bien dure!

      Il jeta un regard protecteur à la marquise et sortit, fier et hautain, sur les pas du comte, en se félicitant d'avoir décidé Joseph à venir au bal. Il le rencontra à quelques pas de l'endroit où s'était passée cette scène et lui confia la marquise.

      Mame Toinon n'avait rien vu, rien entendu.

      Elle était tout entière aux galanteries du mousquetaire qui lui donnait le titre de baronne.

      XI

      LES TERREURS DE MAME TOINON

      Le comte et Tony gagnèrent la porte, quittèrent l'Opéra et s'en allèrent jusqu'au premier réverbère; là, le comte tira son épée.

      Tony l'imita.

      Mais, avant de tomber en garde, le comte regarda de nouveau son jeune adversaire.

      —C'est singulier, dit-il; je ne vous ai jamais vu!...

      —Je vous connais, moi, répondit Tony.

      —Qui êtes-vous?

      —Peu vous importe!

      —Cependant...

      —Faut-il vous répéter, une fois de plus, que vous êtes un lâche?

      Le comte rugit.

      —Un lâche et un assassin!...

      —En garde, donc! s'écria le comte hors de lui.

      —Je suis l'exécuteur testamentaire du marquis de Vilers, que vous avez tué ce soir, dit Tony en croisant le fer, et je me suis juré de vous tuer, vous, Maurevailles et Marc de Lacy!...

      Et Tony, qui n'avait jamais touché une épée et se trouvait en présence de l'un des bretteurs les plus renommés de ce temps, Tony fondit sur son adversaire avec cette impétuosité, cette vaillance brutale de ceux qui n'ont point été initiés aux galantes finesses de l'escrime... Aussi, avec son inexpérience et sa jeunesse, semblait-il prédestiné à trouver la mort dans ce combat qu'il avait provoqué.

      Le comte Gaston de Lavenay était un tireur habile et prudent qui s'était fait une réputation terrible dans les gardes-françaises.

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