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affaire de la tragédie de Mahomet, il n'hésita pas à faire, auprès de Voltaire, une démarche personnelle qui eut le meilleur résultat.

      Tel était l'homme qu'allait voir M. de Lavenay.

      Malgré l'heure avancée et bien qu'il travaillât avec ses secrétaires à des règlements sur les jeux publics, très difficiles à réprimer, M. de Marville n'hésita pas à recevoir le gentilhomme, dont le nom lui était fort connu.

      Lavenay lui raconta l'enlèvement, sans dire quelle part ses amis et lui avaient eu l'intention d'y prendre.

      Tout au contraire, il donna comme motif de sa démarche la vieille amitié qui l'unissait au marquis de Vilers?

      M. de Marville l'écoutait avec attention.

      A la fin, il demanda, tout en fixant sur Lavenay ses yeux de lieutenant de police:

      —Mais que faisait donc pendant ce temps-là le marquis de Vilers?

      Un instant, Lavenay, qui ne s'attendait point à cette question parce qu'on oublie toujours la chose principale, resta décontenancé, mais il se remit bien vite et riposta gaillardement.

      —Vilers? mais il est en voyage!

      —Et depuis quand?

      —Depuis quelques jours.

      —Oh! c'est étrange! j'avais cru l'apercevoir hier au petit lever du roi et même lui entendre dire qu'il n'était pas près de quitter Paris.

      —Vous, ou moi, nous nous trompons, M. le lieutenant de police. La vérité est qu'à l'heure de l'enlèvement, Vilers n'était point chez lui.

      —Soit! mais qui vous fait supposer que l'inconnu qui a enlevé la marquise doive, lui aussi, quitter Paris?

      La réplique encore était difficile. Lavenay ne pouvait tenir en effet à faire part à M. de Marville de la poursuite sans merci dont lui-même et ses amis menaçaient la marquise.

      Il trouva cette réponse:

      —Le ravisseur ne doit-il pas craindre, monsieur le lieutenant de police, qu'à Paris vous ne mettiez trop tôt la main sur lui? Aussi soyez certain qu'il ne songe qu'à vous fuir. C'est pour cela que je me suis permis de venir à cette heure indue.

      Le magistrat s'assit à son bureau et écrivit rapidement un ordre.

      Puis il frappa sur un timbre. Un huissier entra.

      M. de Marville lui remit l'ordre qu'il venait décrire.

      —Dans un quart d'heure d'ici, dit-il, tous les postes des portes de Paris seront informés qu'il faut arrêter le carrosse s'il passe, qu'il faut lui donner la chasse, s'il est passé.

      Lavenay se mordit les lèvres.

      On lui accordait plus qu'il ne demandait.

      La maréchaussée à la poursuite de l'homme mystérieux, c'était une grande chance pour qu'il pût s'échapper avec sa précieuse conquête. Ou, dans le cas où la police parviendrait à l'arrêter, c'était la marquise ramenée à son hôtel, et protégée, au moins pour un temps assez long, par M. de Marville, contre les entreprises des Hommes Rouges.

      Cependant Lavenay réfléchit qu'avec des chevaux comme ceux qu'ils possédaient, lui, Lacy et Maurevailles, il leur serait facile de devancer les lourdes montures des cavaliers de la maréchaussée.

      Aussi fut-ce le sourire sur les lèvres qu'il demanda à M. de Marville de vouloir bien lui permettre d'attendre les renseignements qu'il allait recevoir, afin qu'il pût aller sur les traces du ravisseur.

      Mais le magistrat secoua la tête.

      —Ce que vous sollicitez là, monsieur le comte, est impossible, dit-il.

      —Impossible! pourquoi?

      —Parce que je vous arrête!

      —Vous m'arrêtez?

      —Comme accusé d'assassinat sur la personne de votre ancien ami, le marquis de Vilers!...

      Lavenay devint livide.

      Comment M. de Marville savait-il que M. de Lavenay avait tué le marquis?

      Le duel n'avait eu d'autre témoin que Tony.

      Et ce n'était pas lui qui avait averti le lieutenant de police.

      Mais M. de Marville venait de parler au jugé.

      Il n'avait que des soupçons et voulait les changer en certitude.

      A la suite des nombreux crimes qui se commettaient chaque nuit dans Paris, M. de Marville avait pris une ordonnance fort sage pour l'époque.

      Cette ordonnance, en date du 17 mai 1743, prescrivait à tout chirurgien d'avoir à déclarer à la police, dans les vingt-quatre heures, le nom, le domicile et le genre de blessure des gens qu'on portait à soigner chez eux.

      De cette façon, quand deux gentilshommes se coupaient galamment la gorge, il n'était plus possible au blessé de se faire soigner en secret et de cacher le duel.

      Les exempts avaient reçu en même temps des ordres très sévères sur le même sujet.

      Ils ne pouvaient plus, comme autrefois, dire en trouvant un cadavre sanglant:

      —Voilà un homme qui s'est battu. Tant pis pour lui!...

      Il leur fallait au contraire recueillir sur la cause et les circonstances du duel tous les renseignements possibles.

      Quelques-uns remplissaient exactement ce devoir; beaucoup trop le négligeaient.

      Or, par hasard, l'exempt qui avait vu relever le cadavre et l'avait fait transporter aux caveaux du Châtelet était un homme intelligent et zélé.

      Grâce aux soins pris par Tony, il n'avait pu constater l'identité du mort.

      Mais il avait questionné tous les portiers de la place Royale.

      Et il avait appris qu'un homme en manteau rouge avait été vu, vers l'heure du meurtre, d'abord entrant fort tranquillement dans cette place, puis s'éloignant à pas rapides.

      Cet agent avait fait son rapport au lieutenant de police.

      Et celui-ci, voyant le manteau rouge de Lavenay, s'était dit tout de suite:

      —Voilà le meurtrier.

      Quant au nom de la victime, il l'avait trouvé par un semblable enchaînement d'idées:

      Lavenay, encore en manteau rouge, déclarait venir de l'hôtel de Vilers... où l'on avait enlevé la marquise... qu'il paraissait aimer plus qu'il ne fallait...

      Et le mari de celle-ci avait disparu?...

      Évidemment la victime de la veille, ce gentilhomme inconnu, dont on cherchait le nom, c'était le marquis.

      M. de Marville tenta l'épreuve.

      On a vu comment elle réussit. La pâleur de Lavenay lui prouva qu'il avait touché juste.

      Cependant, la première surprise passée, le comte se remit:

      —Monsieur le lieutenant de police, dit-il, on a bien raison de prétendre qu'aucun fait ne vous est longtemps ignoré. Je vous donnerai tout à l'heure des explications qui vous satisferont, je l'espère. Cependant mes amis, MM. de Lacy et Maurevailles, attendent avec une impatience fébrile le résultat de ma démarche. Moi-même, je suis plus anxieux sur le sort de madame la marquise de Vilers que sur le mien propre. J'ai tué en duel loyal son mari, qui m'avait mortellement offensé. Mais un grand danger la menace, je le sens, j'en suis sûr. Si je ne puis courir sur les traces du ravisseur, permettez-moi au moins de prier mes amis, sur qui ne pèse aucune accusation, d'y aller à ma place.

      M. de Marville ne répondit pas, mais pour la seconde fois, il frappa sur le timbre.

      L'huissier

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