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les autres n’ont rien vu ! J’ai tout de suite mis le pied dessus et l’ai ainsi expédié derrière le zinc. » Je le remerciai, pris le morceau et le fis disparaître dans ma poche.

      Nous rejoignîmes le bistro. La pièce était pleine à craquer. Les gens aussi. Des petits groupes s’étaient formés, assis autour des quelques tables, les autres étaient debout, leur verre dans la main. Le serveur faisait le tour avec deux ou trois bouteilles dans les mains et remplissait. « Comment peut-il savoir qui a bu quoi et combien, et combien de tournées chacun a offert ? », s’étonnait mon cerveau imbibé d’anis. Ludwig était rouge vif, se cramponnait au bar et bredouillait des choses incompréhensibles même pour lui. Mais apparemment tout le monde bredouillait ou criait quelque chose, que personne n’était encore capable de comprendre. Et en plus le Pastis ballotait fortement les tympans. « Il faut déguerpir ! », criai-je en direction de Ludwig et le traînai vers la porte. « Un dernier pour la route ! », nous cria quelqu’un et nous colla un nouveau verre dans la main. J’avançais à la force des bras à travers le bruit et les amis accrochés à leurs verres jusqu’au barman. « Payer ! », criais-je, « combien ? » « Rien, tout est réglé ! », répondit celui-ci. Je ne voulais pas le croire et sortis un billet de cent francs de la poche. Il le repoussa vers moi. « Tout est déjà réglé ! », confirma-t-il. Je posai mon verre dans l’évier derrière le bar afin que plus personne ne puisse le remplir et vacillai à l’extérieur avec Ludwig. Je me sentais comme un capitaine qui quitte en premier son navire qui coule, balloté par les vagues.

      Cette fois-ci je ne remontai pas le mur de la berge. Nous appuyâmes nos fronts contre l’écorce rugueuse du seul arbre qui poussait dans la cour et partageâmes avec lui le jus d’anis de nos vessies. Puis nous escaladâmes avec un dernier effort la cabine du combi où je cherchai un moment infructueusement le trou du contact. « Il se peut que sur ce modèle-ci ils l’aient changé de place et je ne m’en étais pas encore rendu compte ! », me consolai-je. Finalement je le trouvai bien là où il aurait dû se trouver et la caisse finit par démarrer. Lentement elle vacilla à travers les quelques voitures garées et bifurqua toute seule à gauche, avant de monter le chemin délavé en grinçant. Il n’y avait pas beaucoup de virages sur le chemin, mais néanmoins Ludwig tomba malade et malgré la vitre ouverte se couvrit lui-même et le tableau de bord d’une couche d’anis liquide. En allant vers la caravane je fus moi aussi pris comme par une vague de compassion et ensemble, l’un à côté de l’autre, nous nous mîmes à genoux sur le bord du talus pour faire une offrande à Pan, le dieu de la forêt. Un peu soulagé nous rampâmes ensuite vers l’abreuvoir des vaches pour enlever la couche de colle de nos visages. « BRRR ! PLUS JAMAIS CA ! »

      Plus tard, nous parvînmes à dormir, bien que la caravane s’inclinât dans tous les sens dans une folle danse. Jusqu’au moment où une pression suraiguë dans nos vessies nous chassait des duvets. Le soleil commençait à dépasser la montagne, les oiseaux chantaient, le ruisseau murmurait et nos têtes buissonnaient. « Quelle matinée ! », m’exclamai-je. « Quelle soirée ! » Ludwig sondait sans doute encore dans les restes de sa mémoire. « Regarde, une espèce de porc a gerbé dans la bagnole ! », cria-t-il soudain. « ‘Une espèce de’ est un peu inexact. Tu te souviens comment nous sommes montés ici hier soir ? » « Non. En tout cas pas à pied, vu l’état dans lequel je me trouve ! » « Moi, n’étant plus capable de marcher, j’ai pris le volant », répliquai-je. « Et regarde, ce que le serveur a ramassé ! », dis-je en lui rendant sa boulette de shit. « Alors cette espèce de porc risque bien d’être moi-même ! », conclut-il et se mit à nettoyer la cabine.

      Un peu plus tard nous mîmes de l’eau à chauffer sur le trépied et prîmes une douche chaude avec l’arrosoir. Ensuite nous entassâmes nos fringues puant l’acide d’anis dans le chaudron et frottâmes jusqu’à ce que la planche à laver brillât. Nous tendîmes une corde et étendîmes tout au soleil pour sécher. Entre-temps il était déjà presque midi. « Temps d’aller chez les voisins d’en face, qui nous ont invité pour le déjeuner ! », constatai-je. « Manger ? Boire ? Je te prie de ne plus jamais prononcer ces mots ! », répliqua-t-il. « Le simple fait d’entendre leur son me donne mal au cœur ! Vas-y seul ! Je préfère m’allonger sur la colline au soleil et récupérer un peu de sommeil ! » Alors je descendis seul les quelques centaines de mètres dans la vallée, pendant qu’il grimpait la côte à la recherche d’un endroit un peu plat…

      En bas je me retrouvais devant un ruisseau tourbillonnant sans trouver de pont pour le traverser. Enfin je trouvai un endroit où quelques gros blocs dépassaient le courant, me permettant de traverser. Les berges du ruisseau étaient bordées de noisetiers qui venaient juste d’ouvrir leurs tresses pleines de pollen jaune. Les rives, par endroits creusées par l’eau, mettaient à nu une couche de terre peu épaisse, parsemée par de petits rochers, le lit était fait d’ardoise lisse et noire. Sur l’autre côté s’étendaient quelques prés étroits, séparés en petites parcelles par des haies de noisetiers, puis le terrain devenait plus raide et se couvrait progressivement de chênes maigres. A un endroit je passai devant la carcasse cabossée d’une 2 CV complètement désossée. Plus haut je rejoignis la route après avoir grimpé le talus escarpé. Ayant bien étudié le chemin à prendre depuis notre côté, je découvris bientôt le sentier qui me conduisait vers la maison des amis. En plus leur 2 CV était garée en bas.

      S’en suivit un accueil chaleureux. Des odeurs délicieuses s’échappaient de leur cuisine pendant que Frédéric m’offrit un Pastis. Ma barbe se mit à se hérisser ! Je n’avais pas le courage d’affronter ça ! Frédéric rangea alors la bouteille. « Moi aussi, je préfère une bière ! », dit-il et chercha deux canettes de Guinness. C’était déjà mieux ! J’appris que sa sœur était mariée avec un Irlandais. Cela expliquait son amour pour ce breuvage noir ! J’acceptai avec joie et nous levâmes les verres. J’appris que sa femme Joana était Polonaise. Lui-même avait le look hippie avec sa longue barbe. Mais c’était trompeur ! Il avait cette dégaine parce qu’il était motard ! Il louchait d’un œil, ce qui me perturbait au début. Je ne savais jamais avec quel œil il me dévisageait. Mais tous deux semblaient être ok. Ils voulaient que je rentre dans la maison. Mais je leur répondis que je préférais rester dehors pour profiter de la vue. Frédéric bourra sa pipe. « A l’intérieur je n’ai pas le droit de fumer à cause du petit ! » « La prochaine fois j’amènerai ma pipe ! », répondis-je. « Je fumais le même tabac à l’époque ! »

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      Juste en face s’étalait notre ferme ; comme sur un plan de cadastre coloré. Je reconnaissais les prés, les parcelles déjà reprises par la forêt, et, en plein milieu la maison, cachée en partie par un versant. Plus haut s’étalait la bande encore grise de la forêt de hêtres, surmontée par le dos blanc et brillant du Moussaou, notre montagne locale, qui s’élevait à plus de 1700 mètres. Et des deux côtés s’étendaient d’autres chaînes montagneuses luisantes touchant dans le lointain le ciel bleu clair. Je regardais un bon moment. « Idyllique » était un mot trop faible pour décrire un tel panorama ! Je me sentais heureux d’avoir échoué dans une telle région ! Puis je baissais un peu mon regard, pour le faire passer sur les terres, nos terres ! En tournant la tête plus vers la droite j’aperçus l’autre partie de notre vallée qui bifurquait sous mes pieds et s’orientait plein sud. En bas, au fond, des prés limités par des haies, des maisons solitaires, plus en recul un petit hameau. Après celui-ci, le terrain devenant plus pentu était couvert par la forêt et s’étirait vers une entaille dans laquelle j’aperçus un sommet brillant, blanc, sous la lumière du soleil. « Le Maubermé, 2880 mètres de haut ! », expliqua Frédéric ayant suivi mon regard d’un œil. « D’ici vous avez une vue comme d’une tour de guet ! », les mots s’échappèrent de ma bouche. « Je crois qu’au moyen-âge se trouvait une tour ici, parce que de cet endroit on peut scruter toutes les vallées et remarquer tout de suite si quelqu’un approche ! Sans aucun doute on communiquait alors avec des fumées ou des feux », expliqua Frédéric.

      Leurs terres, ils n’avaient que deux hectares, étaient très pentues. Quelques lopins de pré, le

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