Скачать книгу

le déjeuner fut prêt. Leur gamin avait fini son dodo et dans sa chaise haute il prit place parmi nous autour de la table. Entre-temps j’en avais appris un peu sur le rythme français : on prend son temps avant de commencer, on mange un plat après l’autre et il y a toujours des surprises qui arrivent. Tout ça accompagné par les vins correspondants (qui pour moi avaient tous le même goût, surtout après une soirée comme hier !). Quand tout ce cérémoniel fut finalement terminé, le soleil avait bien avancé et ses rayons ne caressaient que nos terres en face, le reste de la vallée étant empli d’ombre.

      Pendant qu’on mangeait, j’apprenais que Frédéric et Joana avaient fait un stage chez nos anciens propriétaires, car ils rêvaient aussi de s’installer à la campagne. Ainsi ils avaient déjà été au courant depuis un bon moment que notre ferme était à vendre. Mais les propriétaires refusaient de la leur vendre. Alors ils avaient décidé spontanément d’acquérir cette petite propriété, parce que la vallée leur plaisait. Malheureusement leurs terres étaient exploitées par un berger qui ne voulait pas les céder. Étant obligés de rembourser leur crédit pour la ferme ils continuaient à vivre ailleurs. Frédéric travaillait comme prof dans un lycée professionnel, Joana comme secrétaire pour une association.

      Je leur demandai comment la 2 CV était arrivée dans la forêt en dessous. Ils éclatèrent de rire. « C’était la nôtre ! Ça a été juste ! Ecoute ! », dit Joana et commença : « C’était en automne dernier. Arlo, le petit, venait juste de faire un an. On a été tous les trois en Andorre, plus exactement au Pas de la Case, un peu avant, où on peut tout acheter détaxé. On avait fait plein de courses, pour amortir le trajet, car aller-retour il y a près de six heures de route ! De l’huile d’olive, du vin, du tabac, de l’alcool et quelques sacs de sucre, pour faire de la confiture. Il faisait déjà nuit, le temps de revenir ici. Frédéric avait garé sa « Dedeuche » comme d’hab en bordure de la petite route. Le garçon dormait encore dans son siège et on s’est mis à décharger. Nous avons tout entassé au bord de la route. Nous avons seulement laissé le sucre dans le coffre, il pouvait attendre le lendemain ! Le gamin s’est réveillé et Frédéric l’a sorti de son siège. Il l’a posé à terre. A ce moment il nous a semblé que quelque chose avait bougé derrière nous. C’était la voiture ! Nous avons essayé de la retenir, mais elle était déjà trop loin sur le talus et commençait à dégringoler le pré. Et puis il y a eu quelques craquements horribles quand elle est entrée dans la forêt. Et puis - rien ! Elle était foutue ! Heureusement on avait sorti le gamin ! Nous avons réalisé quelle chance nous avons eu ! Alarmés par le vacarme les bergers sont sortis de leur maison. Ils nous observaient sûrement déjà depuis un moment. « Il n’y restera pas grand-chose ! », commenta l’un d’entre eux, « peut-être la roue de secours ! »

      « Bien, nous avons monté le garçon à la maison où je l’ai fait manger pendant que Frédéric montait les courses en plusieurs aller-retours. Et figure-toi, le lendemain c’étaient les « poulets », les « flics », qui nous ont sorti du lit ! Apparemment le voisin les avait appelés ! Nous avons dû tous les trois les accompagner au poste. Le côté de la route a été barré avec un ruban, et aussi la carcasse de la Deuch dans la forêt. Plusieurs gendarmes s’affairaient autour. On nous poussait dans l’Estafette et c’était parti vers Castillon pour un interrogatoire ! Nous ne comprenions plus rien ! Ils voulaient savoir si nous prenions des drogues. ‘Bien sûr, Guinness !’, répondit Frédéric. ‘Qu’est-ce que c’est ?’, demandèrent-ils. Nous leur avons expliqué. Là ils se sont fâchés. Ils nous ont demandé directement si nous dealions des drogues. Nous avons répondu par la négative en riant. De ce côté-là, on avait la conscience tranquille ! ‘Qu’est-ce que c’est que cette poudre blanche éparpillée dans toute la forêt et dans la voiture ?’ C’est là que nous avons compris leur comportement et nous nous sommes mis à rire encore plus fort ! Ils avaient pris le sucre pour de l’héroïne ou de la coke ! Vers midi ils ont eu le résultat de l’analyse du laboratoire : du sucre ! Grincheux ils nous ont dit qu’on pouvait s’en aller. ‘Aller ? Faire 15 kilomètres avec le gamin ?’ Frédéric commençait à s’énerver. ‘Vous nous avez emmenés ici, vous allez nous ramener là-bas !’ Et c’est ce qu'ils ont fait finalement. Quand après trois jours les barrières étaient encore là, nous sommes quand-même descendus. Le sucre avait disparu, jusqu’à la dernière graine ! Quel travail ! Mais ils ne nous l’ont jamais rendu. Ils continuaient à espérer que le laboratoire s’était trompé ! » Nous nous roulions presque par terre de rire, en nous imaginant la scène !

      Un troupeau relativement grand passait en contre-bas, accompagné par deux hommes un peu âgés et deux chiens. Les chiens nous aboyaient dessus depuis une distance avant de finir par suivre les brebis qui s’éloignaient. « Marcel, le berger et son domestique Philippe ! », expliqua Frédéric. Le soleil illuminait encore tout juste les plus hauts sommets et pour moi c’était l’heure de partir. Je leur dis « A bientôt ! » et commençai à redescendre la pente.

      *

      Malgré le crépuscule je trouvai le petit pont qui passait par-dessus le ruisseau. Il était situé un peu plus en amont de l’endroit où j’étais passé à l’aller. Bientôt je me trouvais en haut sur le chemin en terre, puis devant la caravane. Pas de lumière ! Un sentiment désagréable m’envahit. Je montai vite à la maison, pour aller à la rencontre de Ludwig. Mais là aussi : Personne ! « Peut-être qu’il est allé au troquet du village ! », me consolai-je en ramassant le linge sec. A cause de la fraîcheur du soir l’air était déjà un peu humide. Je descendis le linge vers la caravane et allumai une bougie. Entre-temps dehors il faisait nuit noire. De temps en temps j’entendais une chouette hululer. Puis une autre, plus loin, lui répondit. Cela me rappelait l’album « Umma Gumma » des Pink Floyd. Je scrutais la caravane. Là il y avait son duvet, son sac à dos, et même ses chaussures de montagne se trouvaient là ! « Il ne peut pas être bien loin ! », me dis-je et me mis à dormir. J’avais bien du sommeil à récupérer !

      Mais le seul qui arriva était Jean-Paul avec sa bouteille de lait vert. « Où est Ludwig ? », demanda-t-il. Savait-il quelque chose qu’il ne me disait pas ? « En route, il ne va pas tarder à arriver ! », répondis-je malgré mon pressentiment qui me disait qu’il ne viendrait plus ! Car il aurait dû être là, où qu’il ait été ou à quel point il avait picolé ! Est-ce qu’il lui était arrivé quelque chose ? Avait-il eu un accident ? Était-il tombé dans un trou ? Ou était-il rentré à la maison ? Mais je rejetais de suite cette dernière pensée. Car toutes ses affaires étaient là, même sa carte d’identité ! Et puis Rudi, notre copain autrichien voulait venir le récupérer dans dix jours. En plus, il m’avait promis de m’aider quatre semaines au chantier ! « Il peut déjà être loin ! », songea Jean-Paul. « Comment ça ? », voulus-je savoir. « Comme ça … peut-être même qu'il est mort… » Je cessai de parler de lui et attendis que l’adolescent s’en aille. « Un jour quelqu’un le trouvera ! », dit-il en s’allumant une clope. Puis il me fit un clin d’œil avant de descendre vers le village.

      *

      Aujourd’hui le travail ne voulait pas avancer. Je ne cessais de penser à Ludwig. Je me remémorais toutes les aventures que nous avions vécues ensemble. Non, c’était impossible qu’il ait foutu le camp comme ça, après toutes ces galères communes (voir mon livre : ‘Contes d’Hiver’) ! Je redescendis encore vers la caravane et fouillais partout à la recherche d’un mot ou d’un signe. Rien ! Je remontai vers la maison, mais bifurquai à droite en montant la colline. Je suivis chaque passage d’animaux, chaque trace qui aurait pu être de lui, étant préparé au pire ! Mais toujours rien ! J’arrivai à l’endroit où les terres en friche faisaient place à la forêt de hêtres et l’appelai. Mais le bruissement du ruisseau était la seule réponse que le vent me renvoyait, par vagues. En suivant ce bruissement je me trouvais bientôt devant un petit cours d’eau qui descendait impatiemment dans un ravin raide. Je le suivis en longeant son bord et me trouvai tout à coup devant des crevasses profondes, cachées par des feuilles, qui pénétraient dans la roche à travers la couche d’humus de la forêt. Elles avaient été faites par la main de l’homme. Ici, il y a longtemps, on avait fait des ardoises pour les toits.

Скачать книгу