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Peut-être aurais-je dû parler tout de suite. Je n’en ai pas eu le courage, en souvenir de mon vieil ami Kesselbach, dont elle portait le nom.

      « Et puis j’avais peur… Le jour où je l’ai démasquée, au Palais de Justice, j’avais lu dans ses yeux mon arrêt de mort.

      « Ma faiblesse me sauvera-t-elle ? »

      « Lui aussi, pensa Lupin, lui aussi, elle l’a tué ! Eh parbleu, il savait trop de choses ! Les initiales… ce nom de Laetitia… l’habitude secrète de fumer »

      Et il se rappela la nuit dernière, cette odeur de tabac dans la chambre.

      Il continua l’inspection du premier portefeuille.

      Il y avait des bouts de lettre, en langage chiffré, remis sans doute à Dolorès par ses complices, au cours de leurs ténébreuses rencontres…

      Il y avait aussi des adresses sur des morceaux de papier, adresses de couturières ou de modistes, mais adresses de bouges aussi, et d’hôtels borgnes… Et des noms aussi… vingt, trente noms, des noms bizarres, Hector le Boucher, Armand de Grenelle, le Malade…

      Mais une photographie attira l’attention de Lupin. Il la regarda. Et tout de suite, comme mû par un ressort, lâchant le portefeuille, il se rua hors de la chambre, hors du pavillon, et s’élança dans le parc.

      Il avait reconnu le portrait de Louis de Malreich, prisonnier à la Santé.

      Et seulement alors, seulement à cette minute précise, il se souvenait : l’exécution devait avoir lieu le lendemain.

      Et puisque l’homme noir, puisque l’assassin n’était autre que Dolorès, Louis de Malreich s’appelait bien réellement Léon Massier, et il était innocent.

      Innocent ? Mais les preuves trouvées chez lui, les lettres de l’Empereur, et tout, tout ce qui l’accusait indéniablement, toutes ces preuves irréfragables ?

      Lupin s’arrêta une seconde, la tête en feu.

      – Oh ! s’écria-t-il, je deviens fou, moi aussi. Voyons, pourtant, il faut agir… c’est demain qu’on l’exécute… demain… demain au petit jour… Il tira sa montre.

      – Dix heures… Combien de temps me faut-il pour être à Paris ? Voilà j’y serai tantôt oui, tantôt j’y serai, il le faut… Et, dès ce soir, je prends les mesures pour empêcher… Mais quelles mesures ? Comment prouver l’innocence ? Comment empêcher l’exécution ? Eh ! Qu’importe ! Je verrai bien une fois là-bas. Est-ce que je ne m’appelle pas Lupin ? Allons toujours…

      Il repartit en courant, entra dans le château, et appela :

      – Pierre ! Vous avez vu M. Pierre Leduc ? Ah ! Te voilà… écoute…

      Il l’entraîna à l’écart, et d’une voix saccadée, impérieuse :

      – écoute, Dolorès n’est plus là… Oui, un voyage urgent… elle s’est mise en route cette nuit dans mon auto… Moi, je pars aussi… Tais-toi donc ! Pas un mot, une seconde perdue, c’est irréparable. Toi, tu vas renvoyer tous les domestiques, sans explication. Voilà de l’argent. D’ici une demi-heure, il faut que le château soit vide. Et que personne n’y rentre jusqu’à mon retour ! Toi non plus, tu entends, je t’interdis d’y rentrer… je t’expliquerai cela… des raisons graves. Tiens, emporte la clef, tu m’attendras au village…

      Et de nouveau, il s’élança.

      Dix minutes après, il retrouvait Octave.

      Il sauta dans son auto.

      – Paris, dit-il.

      – 2 –

      Le voyage fut une véritable course à la mort.

      Lupin, jugeant qu’Octave ne conduisait pas assez vite, avait pris le volant, et c’était une allure désordonnée, vertigineuse. Sur les routes, à travers les villages, dans les rues populeuses des villes, ils marchèrent à cent kilomètres à l’heure. Des gens frôlés hurlaient de rage : le bolide était loin il avait disparu.

      – Patron, balbutiait Octave, livide, nous allons y rester.

      – Toi, peut-être, l’auto peut-être, mais moi j’arriverai, disait Lupin.

      Il avait la sensation que ce n’était pas la voiture qui le transportait, mais lui qui transportait la voiture, et qu’il trouait l’espace par ses propres forces, par sa propre volonté. Alors, quel miracle aurait pu faire qu’il n’arrivât point, puisque ses forces étaient inépuisables, et que sa volonté n’avait pas de limites ?

      – J’arriverai parce qu’il faut que j’arrive, répétait-il.

      Et il songeait à l’homme qui allait mourir s’il n’arrivait pas à temps pour le sauver, au mystérieux Louis de Malreich, si déconcertant avec son silence obstiné et son visage hermétique. Et dans le tumulte de la route, sous les arbres dont les branches faisaient un bruit de vagues furieuses, parmi le bourdonnement de ses idées, tout de même Lupin s’efforçait d’établir une hypothèse. Et l’hypothèse se précisait peu à peu, logique, invraisemblable, certaine, se disait-il, maintenant qu’il connaissait l’affreuse vérité sur Dolorès, et qu’il entrevoyait toutes les ressources et tous les desseins odieux de cet esprit détraqué.

      « Eh oui, c’est elle qui a préparé contre Malreich la plus épouvantable des machinations. Que voulait-elle ? épouser Pierre Leduc dont elle s’était fait aimer, et devenir la souveraine du petit royaume d’où elle avait été bannie. Le but était accessible, à la portée de sa main. Un seul obstacle… moi, moi, qui depuis des semaines et des semaines, inlassablement, lui barrais la route ; moi qu’elle retrouvait après chaque crime, moi dont elle redoutait la clairvoyance, moi qui ne désarmerais pas avant d’avoir découvert le coupable et d’avoir retrouvé les lettres volées à l’Empereur…

      « Eh bien ! Puisqu’il me fallait un coupable, le coupable ce serait Louis de Malreich ou plutôt Léon Massier. Qu’est-ce que ce Léon Massier ? L’a-t-elle connu avant son mariage ? L’a-t-elle aimé ? C’est probable, mais sans doute ne le saura-t-on jamais. Ce qui est certain, c’est qu’elle aura été frappée par la ressemblance de taille et d’allure qu’elle-même pouvait obtenir avec Léon Massier, en s’habillant comme lui de vêtements noirs, et en s’affublant d’une perruque blonde. C’est qu’elle aura observé la vie bizarre de cet homme solitaire, ses courses nocturnes, sa façon de marcher dans les rues, et de dépister ceux qui pourraient le suivre. Et c’est en conséquence de ces remarques, et en prévision d’une éventualité possible, qu’elle aura conseillé à M. Kesselbach de gratter sur les registres de l’état civil le nom de Dolorès et de le remplacer par le nom de Louis, afin que les initiales fussent justement celles de Léon Massier.

      « Le moment vient d’agir, et voilà qu’elle ourdit son complot, et voilà qu’elle l’exécute. Léon Massier habite la rue Delaizement ? Elle ordonne à ses complices de s’établir dans la rue parallèle. Et c’est elle-même qui m’indique l’adresse du maître d’hôtel Dominique et me met sur la piste des sept bandits, sachant parfaitement que, une fois sur la piste, j’irai jusqu’au bout, c’est-à-dire au-delà des sept bandits, jusqu’à leur chef, jusqu’à l’individu qui les surveille et les dirige, jusqu’à l’homme noir, jusqu’à Léon Massier, jusqu’à Louis de Malreich.

      « Et de fait, j’arrive d’abord aux sept bandits. Et alors, que se passera-t-il ? Ou bien je serai vaincu, ou bien nous nous détruirons tous les uns les autres, comme elle a dû l’espérer le soir de la rue des Vignes. Et, dans ces deux cas, Dolorès est débarrassée de moi.

      « Mais il advient ceci : c’est moi qui capture les sept bandits. Dolorès s’enfuit de la rue des Vignes. Je la retrouve dans la remise du Brocanteur. Elle me dirige vers Léon Massier, c’est-à-dire vers Louis de Malreich. Je découvre

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