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Arsène Lupin.

      Il cacheta la lettre et l’introduisit dans un flacon qu’il jeta par la fenêtre, sur la terre molle d’une platebande.

      Ensuite il fit un grand tas sur le parquet avec de vieux journaux, de la paille et des copeaux qu’il alla chercher dans la cuisine.

      Là-dessus il versa du pétrole.

      Puis il alluma une bougie qu’il jeta parmi les copeaux.

      Toute de suite, une flamme courut, et d’autres flammes jaillirent, rapides, ardentes, crépitantes.

      – En route, dit Lupin, le chalet est en bois : ça va flamber comme une allumette. Et quand on arrivera du village, le temps de forcer les grilles, de courir jusqu’à cette extrémité du parc… trop tard ! On trouvera des cendres, deux cadavres calcinés, et, près de là, dans une bouteille, mon billet de faire-part… Adieu Lupin ! Bonnes gens, enterrez-moi sans cérémonie… Le corbillard des pauvres… Ni fleurs, ni couronnes… Une humble croix, et cette épitaphe :

      CI-GÎT

      ARSÈNE LUPIN, AVENTURIER

      Il gagna le mur d’enceinte, l’escalada et, se retournant, aperçut les flammes qui tourbillonnaient dans le ciel…

      Il s’en revint à pied vers Paris, errant, le désespoir au cœur, courbé par le destin.

      Et les paysans s’étonnaient de voir ce voyageur qui payait ses repas de trente sous avec des billets de banque.

      Trois voleurs de grand chemin l’attaquèrent, un soir, en pleine forêt. À coups de bâton, il les laissa quasi morts sur place…

      Il passa huit jours dans une auberge. Il ne savait où aller… Que faire ? À quoi se raccrocher ? La vie le lassait. Il ne voulait plus vivre… il ne voulait plus vivre…

      – C’est toi !

      Mme Ernemont, dans la petite pièce de la villa de Garches, se tenait debout, tremblante, effarée, livide, les yeux grands ouverts sur l’apparition qui se dressait en face d’elle.

      Lupin !… Lupin était là !

      – Toi ! dit-elle… Toi !… Mais les journaux ont raconté…

      Il sourit tristement.

      – Oui, je suis mort.

      – Eh bien !… eh bien !… dit-elle naïvement…

      – Tu veux dire que, si je suis mort, je n’ai rien à faire ici. Crois bien que j’ai des raisons sérieuses, Victoire.

      – Comme tu as changé ! fit-elle avec compassion.

      – Quelques légères déceptions… Mais c’est fini. écoute, Geneviève est là ?

      Elle bondit sur lui, subitement furieuse.

      – Tu vas la laisser, hein ? Ah ! Mais cette fois, je ne la lâche plus. Elle est revenue fatiguée, toute pâlie, inquiète, et c’est à peine si elle retrouve ses belles couleurs. Tu la laisseras, je te le jure.

      Il appuya fortement sa main sur l’épaule de la vieille femme.

      – Je veux… tu entends… je veux lui parler.

      – Non.

      – Je lui parlerai.

      Il la bouscula. Elle se remit d’aplomb, et, les bras croisés :

      – Tu me passerais plutôt sur le corps, vois-tu. Le bonheur de la petite est ici, pas ailleurs… Avec toutes tes idées d’argent et de noblesse, tu la rendrais malheureuse. Et ça, non. Qu’est-ce que c’est que ton Pierre Leduc ? Et ton Veldenz ? Geneviève, duchesse ! Tu es fou. Ce n’est pas sa vie. Au fond, vois-tu, tu n’as pensé qu’à toi là-dedans. C’est ton pouvoir, ta fortune que tu voulais. La petite, tu t’en moques. T’es-tu seulement demandé si elle l’aimait, ton sacripant de grand-duc ? T’es-tu seulement demandé si elle aimait quelqu’un ? Non, tu as poursuivi ton but, voilà tout, au risque de blesser Geneviève, et de la rendre malheureuse pour le reste de sa vie. Eh bien ! Je ne veux pas. Ce qu’il lui faut, c’est une existence simple, honnête, et celle-là tu ne peux pas la lui donner. Alors, que viens-tu faire ?

      Il parut ébranlé, mais tout de même, la voix basse, avec une grande tristesse, il murmura :

      – Il est impossible que je ne la voie plus jamais. Il est impossible que je ne lui parle pas…

      – Elle te croit mort.

      – C’est cela que je ne veux pas ! Je veux qu’elle sache la vérité. C’est une torture de songer qu’elle pense à moi comme à quelqu’un qui n’est plus. Amène-la, Victoire.

      Il parlait d’une voix si douce, si désolée, qu’elle fut tout attendrie, et lui demanda :

      – écoute avant tout, je veux savoir. Ça dépendra de ce que tu as à lui dire… Sois franc, mon petit… Qu’est-ce que tu lui veux, à Geneviève ?

      Il prononça gravement :

      – Je veux lui dire ceci : « Geneviève, j’avais promis à ta mère de te donner la fortune, la puissance, une vie de conte de fées. Et ce jour-là, mon but atteint, je t’aurais demandé une petite place, pas bien loin de toi. Heureuse et riche, tu aurais oublié, oui, j’en suis sûr, tu aurais oublié ce que je suis, ou plutôt ce que j’étais. Par malheur, le destin est plus fort que moi. Je ne t’apporte ni la fortune, ni la puissance. Je ne t’apporte rien. Et c’est moi au contraire qui ai besoin de toi. Geneviève, peux-tu m’aider ? »

      – À quoi ? fit la vieille femme anxieuse.

      – À vivre…

      – Oh ! dit-elle, tu en es là, mon pauvre petit…

      – Oui, répondit-il simplement, sans douleur affectée… oui, j’en suis là. Trois êtres viennent de mourir, que j’ai tués, que j’ai tués de mes mains. Le poids du souvenir est trop lourd. Je suis seul. Pour la première fois de mon existence, j’ai besoin de secours. J’ai le droit de demander ce secours à Geneviève. Et son devoir est de me l’accorder… Sinon ?…

      – Tout est fini.

      La vieille femme se tut, pâle et frémissante. Elle retrouvait toute son affection pour celui qu’elle avait nourri de son lait, jadis, et qui restait, encore et malgré tout, « son petit ». Elle demanda :

      – Qu’est-ce que tu feras d’elle ?

      – Nous voyagerons… Avec toi, si tu veux nous suivre…

      – Mais tu oublies… tu oublies…

      – Quoi ?

      – Ton passé…

      – Elle l’oubliera aussi. Elle comprendra que je ne suis plus cela, et que je ne peux plus l’être.

      – Alors, vraiment, ce que tu veux, c’est qu’elle partage ta vie, la vie de Lupin ?

      – La vie de l’homme que je serai, de l’homme qui travaillera pour qu’elle soit heureuse, pour qu’elle se marie selon ses goûts. On s’installera dans quelque coin du monde. On luttera ensemble, l’un près de l’autre. Et tu sais ce dont je suis capable…

      Elle répéta lentement, les yeux fixés sur lui :

      – Alors, vraiment, tu veux qu’elle partage la vie de Lupin ?

      Il hésita une seconde, à peine une seconde et affirma nettement :

      – Oui, oui, je le veux, c’est mon droit.

      – Tu veux qu’elle abandonne tous les enfants auxquels elle s’est dévouée, toute cette existence de travail qu’elle aime et qui lui est nécessaire ?

      – Oui, je le veux, c’est son devoir.

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