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il perçut le bruit de sa fenêtre qui s’ouvrait. Nettement, à travers ses paupières closes, à travers l’ombre épaisse, il vit une forme qui avançait.

      Et cette forme se pencha sur lui.

      Il eut l’énergie incroyable de soulever ses paupières et de regarder, ou du moins il se l’imagina. Rêvait-il ? était-il éveillé ? Il se le demandait désespérément.

      Un bruit encore… On prenait la boîte d’allumettes, à côté de lui.

      « Je vais donc y voir, se dit-il avec une grande joie. »

      Une allumette craqua. La bougie fut allumée.

      Des pieds à la tête. Lupin sentit la sueur qui coulait sur sa peau, en même temps que son cœur s’arrêtait de battre, suspendu d’effroi. L’homme était là.

      était-ce possible ? Non, non… Et pourtant, il voyait… Oh ! Le terrifiant spectacle !… L’homme, le monstre, était là.

      – Je ne veux pas… je ne veux pas… balbutia Lupin, affolé.

      L’homme, le monstre était là, vêtu de noir, un masque sur le visage, le chapeau mou rabattu sur ses cheveux blonds.

      – Oh ! Je rêve… je rêve, dit Lupin en riant… c’est un cauchemar…

      De toute sa force, de toute sa volonté, il voulut faire un geste, un seul, qui chassât le fantôme.

      Il ne le put pas.

      Et tout à coup, il se souvint : la tasse de café ! Le goût de ce breuvage… pareil au goût du café qu’il avait bu à Veldenz… Il poussa un cri, fit un dernier effort, et retomba, épuisé.

      Mais, dans son délire, il sentait que l’homme dégageait le haut de sa chemise, mettait sa gorge à nu et levait le bras, et il vit que sa main se crispait au manche d’un poignard, un petit poignard d’acier, semblable à celui qui avait frappé M. Kesselbach, Chapman, Altenheim, et tant d’autres…

      – 3 –

      Quelques heures plus tard. Lupin s’éveilla, brisé de fatigue, la bouche amère.

      Il resta plusieurs minutes à rassembler ses idées, et soudain, se rappelant, eut un mouvement de défense instinctif comme si on l’attaquait.

      – Imbécile que je suis, s’écria-t-il en bondissant de son lit… C’est un cauchemar, une hallucination. Il suffit de réfléchir. Si c’était lui, si vraiment c’était un homme, en chair et en os, qui, cette nuit, a levé le bras sur moi, il m’aurait égorgé comme un poulet. Celui-là n’hésite pas. Soyons logique. Pourquoi m’aurait-il épargné ? Pour mes beaux yeux ? Non, j’ai rêvé, voilà tout…

      Il se mit à siffloter, et s’habilla, tout en affectant le plus grand calme, mais son esprit ne cessait pas de travailler, et ses yeux cherchaient…

      Sur le parquet, sur le rebord de la croisée, aucune trace. Comme sa chambre se trouvait au rez-de-chaussée et qu’il dormait la fenêtre ouverte, il était évident que l’agresseur serait venu par là.

      Or, il ne découvrit rien, et rien non plus au pied du mur extérieur, sur le sable de l’allée qui bordait le chalet.

      – Pourtant… pourtant…, répétait-il entre ses dents.

      Il appela Octave.

      – Où as-tu préparé le café que tu m’as donné hier soir ?

      – Au château, patron, comme tout le reste. Il n’y a pas de fourneau ici.

      – Tu as bu de ce café ?

      – Non.

      – Tu as jeté ce qu’il y avait dans la cafetière ?

      – Dame, oui, patron. Vous le trouviez si mauvais. Vous n’avez pu en boire que quelques gorgées.

      – C’est bien. Apprête l’auto. Nous partons.

      Lupin n’était pas homme à rester dans le doute. Il voulait une explication décisive avec Dolorès. Mais, pour cela, il avait besoin, auparavant, d’éclaircir certains points qui lui semblaient obscurs, et de voir Doudeville qui lui avait envoyé de Veldenz des renseignements assez bizarres. D’une traite, il se fit conduire au grand-duché qu’il atteignit vers deux heures. Il eut une entrevue avec le comte de Waldemar auquel il demanda, sous un prétexte quelconque, de retarder le voyage à Bruggen des délégués de la Régence. Puis il alla retrouver Jean Doudeville dans une taverne de Veldenz.

      Doudeville le conduisit alors dans une autre taverne, où il lui présenta un petit monsieur assez pauvrement vêtu : Herr Stockli, employé aux archives de l’état civil.

      La conversation fut longue. Ils sortirent ensemble, et tous les trois passèrent furtivement par les bureaux de la Maison de Ville. À sept heures, Lupin dînait et repartait. À dix heures, il arrivait au château de Bruggen et s’enquérait de Geneviève, afin de pénétrer avec elle dans la chambre de Mme Kesselbach.

      On lui répondit que Mlle Ernemont avait été rappelée à Paris par une dépêche de sa grand-mère.

      – Soit, dit-il, mais Mme Kesselbach est-elle visible ?

      – Madame s’est retirée aussitôt après le dîner. Elle doit dormir.

      – Non, j’ai aperçu de la lumière dans son boudoir. Elle me recevra.

      À peine d’ailleurs attendit-il la réponse de Mme Kesselbach. Il s’introduisit dans le boudoir presque à la suite de la servante, congédia celle-ci, et dit à Dolorès :

      – J’ai à vous parler, madame, c’est urgent… Excusez-moi… J’avoue que ma démarche peut vous paraître importune… Mais vous comprendrez, j’en suis sûr…

      Il était très surexcité et ne semblait guère disposé à remettre l’explication, d’autant plus que, avant d’entrer, il avait cru percevoir du bruit.

      Cependant, Dolorès était seule, étendue. Et elle lui dit, de sa voix lasse :

      – Peut-être aurions-nous pu demain.

      Il ne répondit pas, frappé soudain par une odeur qui l’étonnait dans ce boudoir de femme, une odeur de tabac. Et tout de suite, il eut l’intuition, la certitude qu’un homme se trouvait là, au moment où lui-même arrivait, et qu’il s’y trouvait encore, dissimulé quelque part…

      Pierre Leduc ? Non, Pierre Leduc ne fumait pas. Alors ?

      Dolorès murmura :

      – Finissons-en, je vous en prie.

      – Oui, oui, mais auparavant vous serait-il possible de me dire ? Il s’interrompit. À quoi bon l’interroger ? Si vraiment un homme se cachait, le dénoncerait-elle ? Alors, il se décida, et, tâchant de dompter l’espèce de gêne peureuse qui l’opprimait à sentir une présence étrangère, il prononça tout bas, de façon à ce que, seule, Dolorès entendît :

      – écoutez, j’ai appris une chose que je ne comprends pas et qui me trouble profondément. Il faut me répondre, n’est-ce pas, Dolorès ?

      Il dit ce nom avec une grande douceur et comme s’il essayait de la dominer par l’amitié et la tendresse de sa voix.

      – Quelle est cette chose ? dit-elle.

      – Le registre de l’état civil de Veldenz porte trois noms, qui sont les noms des derniers descendants de la famille Malreich, établie en Allemagne…

      – Oui, vous m’avez raconté cela…

      – Vous vous rappelez, c’est d’abord Raoul de Malreich, plus connu sous son nom de guerre, Altenheim, le bandit, l’apache du grand monde – aujourd’hui mort assassiné.

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