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souvent rien à manger. Comme nous avions besoin de chaque sou pour manger et nous loger, usant nos vieux vêtements sans acheter rien d’autre que pour nos deux enfants, je n’ai pas bu pendant deux ans. Je cherchais du travail. J’ai sonné aux portes partout en ville demandant un emploi. Ma femme m’accompagnait, elle sollicitait un côté de la rue pendant que je faisais l’autre. Nous n’avons rien négligé pour sur-vivre, mais nous n’arrivions toujours pas, à tel point que nous risquions de nous trouver dans la rue avec nos effets.

      Prenant mon courage à deux mains, j’ai parlé avec mon propriétaire qui avait des liens avec une grande entreprise d’immobilier qui gérait plusieurs propriétés.

      Nous devions six mois de loyer et ils ont pensé que la seule façon de récupérer le loyer en retard était de me donner quelques petits contrats. Ma femme a appris à faire fonctionner la machinerie pendant que je m’occupais de l’installation. L’entreprise immobilière a aimé mon travail et a commencé à me donner d’autres mandats. Pendant cette période sinistre, avec deux bébés à nourrir, je ne pouvais pas dépenser beaucoup pour boire. Je suis resté abstinent. Ma femme et moi avons même recommencé à fréquenter l’église et à rembourser nos dettes.

      C’était les années difficiles de la Dépression. Pendant trois ans, Noël pour notre petite famille n’était que le 25 décembre. Nos clients nous voyaient comme deux jeunes sérieux qui tentaient de tenir le coup pendant que la situation s’améliorait un peu, et nous avons commencé à obtenir de meilleurs contrats. Nous pouvions désormais embaucher des travailleurs compétents et nous avons acheté une voiture et plusieurs petits camions. Nous étions devenus prospères et avons emménagé dans une maison mieux équipée.

      Mes poches, vides pendant des années, contenaient désormais des billets. Les premiers billets sont rapidement devenus une liasse retenue par une bande élastique. J’étais bien connu des entreprises d’immobilier, des hommes d’affaires et des politiciens. On m’aimait et j’étais populaire. Une accalmie a succédé à une bonne saison. J’avais du temps libre et j’ai recommencé à boire. Cela a duré un mois, mais, grâce à l’aide de ma femme, je me suis repris à temps. « Souviens-toi comment nous avons perdu le magasin ! Souviens-toi du restaurant ! », disait ma femme. Je m’en souvenais trop bien. C’était trop récent et le souvenir en était trop amer. J’ai solennellement juré d’arrêter et je suis à nouveau devenu abstinent, cette fois pendant neuf longs mois.

      Les affaires continuaient de prospérer. Bientôt, il nous est apparu qu’en faisant bien attention, nous pourrions éventuellement avoir une assez bonne affaire, un revenu suffisant pour nous permettre de bien vivre et de donner une bonne éducation à nos enfants.

      Mes affaires sont saisonnières. L’automne et le début de l’hiver sont très occupés. Les premiers mois de l’année sont assez calmes. Mais malgré la réduction du volume, je faisais des contacts, je développais mes futures affaires et je rencontrais des gens qui pouvaient éventuellement me donner des contrats. Ne voyant pas de danger à l’horizon, malgré mon expérience passée, je refusais rarement les invitations de mes amis d’affaires à prendre un verre. Après quelque temps, je buvais chaque jour, et bientôt, je buvais bien plus que jamais auparavant, car j’avais toujours les poches pleines d’argent.

      Au début, je retrouvais ma femme et mes enfants le soir, un peu plus gai que d’habitude. Mais le joyeux drille de mari et père qu’ils avaient connu a cédé la place à un homme qui claquait la porte en rentrant. Ma femme, sérieusement inquiète après des semaines et des semaines sans un signe que j’allais cesser de boire, a tenté de me raisonner, mais ses arguments usés n’ont pas eu d’effet cette fois.

      L’été est arrivé et avec lui les contrats de réparation de toitures et de gouttières. Souvent, c’est ma femme qui ouvrait les chantiers le matin, faisait le travail dans l’atelier, tenait les livres, en plus de s’occuper de la maison et de la famille.

      Pendant huit mois, j’ai bu sans arrêt tous les jours. Même après m’être écroulé ivre mort dans le lit tard le soir, je me relevais en pleine nuit pour me rendre dans des débits qui ne fermaient pas où je pouvais obtenir ce que je souhaitais. Advienne que pourra, j’allais m’amuser.

      Je devenais de plus en plus maussade à la maison. J’étais le patron. J’étais le maître de ma maison, non ? Je suis devenu morose, avec quelques moments de lucidité entre mes bringues. Je ne voulais rien entendre et il était inutile de tenter de me raisonner. À mon insu, ma femme invitait à l’occasion quelques amis et associés d’affaires à la maison. La plupart étaient des non buveurs et ils finissaient habituellement par me faire de légers reproches.

      « Quelle jolie bande de consolateurs de Job », disais-je. Je croyais que le monde entier était contre moi, je croyais amèrement que ma femme ne m’aidait pas et je me disais que je n’avais pas de chance, que les gens exagéraient et en conséquence, qu’ils aillent tous au diable ! J’avais encore de l’argent et avec de l’argent, je pouvais toujours acheter du bonheur en bouteille. Ma femme persévérait toujours. Elle a demandé à notre pasteur de me parler. Cela n’a rien donné.

      Buvant constamment, et toujours saoul, même ma solide constitution a commencé à faiblir. Ma femme appelait les médecins qui me soulageaient pendant quelque temps.

      Puis, ma femme m’a quitté après une sérieuse dispute, en emmenant les enfants. Mon orgueil a été blessé et j’ai commencé à me considérer comme un mari blessé et un père non apprécié qui, au fond de luimême, raffolait de ses enfants. Je suis allée la voir et j’ai exigé de les voir. Je lui ai dit comme ça que je me foutais bien qu’elle ne revienne jamais, mais que je voulais les enfants. Ma femme, sage personne, croyait avoir une dernière chance de me sauver, de sauver notre foyer pour les enfants. Elle a refoulé sa peine, m’a confronté et m’a dit qu’elle revenait à la maison, que sans elle le foyer ne pourrait fonctionner, qu’elle m’avait aidé à bâtir ce que j’avais et qu’elle reviendrait à la maison pour en reprendre la direction. C’est ce qu’elle a fait. En ouvrant la porte, elle a été étonné par ce qu’elle a vu, les tentures par terre, la vaisselle non faite, les verres sales et des bouteilles vides partout.

      Tout alcoolique atteint le bout du rouleau un jour. Dans mon cas, le jour est arrivé où physiquement et mentalement, j’étais incapable de me rendre au bar pour boire. Je me suis couché. Pour la première fois, j’ai dit à ma femme que je voulais cesser de boire, mais que j’en étais incapable. Je lui ai demandé de m’aider. Par hasard, en parlant à une femme médecin, ma femme avait entendu parler d’un autre médecin qui, de façon mystérieuse, avait cessé de boire après trente ans et qu’il avait aidé avec succès quelques autres alcooliques à devenir abstinents. En dernier recours, ma femme a fait appel à ce médecin, qui a imposé des conditions avant d’accorder son aide ; l’expérience lui avait appris qu’à moins que ces conditions ne soient présentes, il n’y avait rien à faire pour aider un alcoolique.

      « Votre mari veut-il arrêter de boire, ou est-il seulement temporairement mal à l’aise ? Est-il rendu au bout du rouleau ? » a-t-il demandé à ma femme.

      Elle lui a dit que pour la première fois, j’avais exprimé le désir d’arrêter de boire, que je lui avais désespérément demandé de tenter de faire quelque chose, n’importe quoi pour l’aider à arrêter. Il a dit qu’il viendrait me voir le lendemain matin.

      Souhaitant un verre de tout mon être, je ne pouvais rester en place en attendant la visite de l’homme à qui j’avais parlé au téléphone, mais quelque chose m’a retenu à la maison. Je voulais entendre ce que cet homme proposait, car, comme il était médecin, j’avais quelques préjugés que je voulais lui exprimer. J’étais assez nerveux quand ma femme a ouvert la porte pour laisser entrer un grand professionnel, assez brusque, dont l’accent me disait qu’il venait de l’Est. Je ne sais pas ce à quoi je m’attendais, mais ses mots de salutation, destinés à m’ébranler, je le sais aujourd’hui, ont eu à peu près le même effet que la douche froide dans un bain turc.

      « On me dit que vous êtes

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