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      Jacques: «Non, mon général; c'est faux.»

      Le general: «Comment, c'est faux? Je suis donc un menteur, un calomniateur!»

      Jacques: «Non, non, mon bon, mon cher général! mais... je ne veux rien dire; papa m'a dit que c'était mal de vous tourmenter en rapportant de vos neveux et de vos nièces.»

      Le général se tourna vers Dérigny; son visage prit une expression plus douce, son regard devint affectueux.

      Le général: «Merci, mon brave Dérigny, de ménager mon mauvais caractère; et toi, Jacques, merci de ce que tu m'as dit et de ce que tu m'as caché. Mais je te prie de me raconter sincèrement ce qui s'est passé et de m'expliquer pourquoi ma nièce est si furieuse.»

      Jacques; avec hésitation: «Pardon, général... J'aimerais mieux ne rien dire... Vous seriez fâché peut-être,... ou bien vous ne me croiriez pas et alors c'est moi qui me fâcherais, et ce ne serait pas bien.»

      Le général, souriant:«Ah! tu te fâcherais? Et que ferais-tu? Tu me gronderais, tu me battrais?»

      Jacques: «Non, général; je ne commettrais pas une si mauvaise action; mais en moi-même je serais en colère contre vous, je ne vous aimerais plus pendant quelques heures; et ce serait très mal, car vous avez été si bon pour papa, maman, pour Paul, pour moi, que je serais honteux ensuite d'avoir pu vivre quelques heures sans vous aimer.

      —Bon, excellent garçon, dit le général attendri, en lui caressant la joue; tu m'aimes donc réellement malgré mes humeurs, mes colères, mes injustices?

      —Oh oui! général, beaucoup, beaucoup, répondit Jacques en appuyant ses lèvres sur la main du général, nous vous aimons tous beaucoup.»

      Le général: «Mes bons amis! et moi aussi je vous aime! Vous êtes mes vrais, mes seuls amis, sans flatterie et avec un véritable désintéressement. Je vous crois, je me fie à vous et je veux votre bonheur.»

      Le général, de plus en plus attendri, essuyait ses yeux d'une main, et de l'autre continuait à caresser les joues de Jacques. La porte s'entr'ouvrit doucement, et la tête de Yégor parut.

      «Mon oncle, maman vous fait demander de lui envoyer tout de suite le petit Français et la mère, pour les faire fouetter devant elle.»

      Le général se retourna; son visage devint flamboyant.

      «Entre!» cria-t-il d'une voix tonnante.

      Yégor entra.

      Le général: «Dis à ta mère que, si elle s'avise de toucher à un seul de mes Français, qui sont mes amis, mes enfants,... entends-tu? mes... en...fants! je la ferai fouetter elle-même devant moi, jusqu'à ce qu'elle n'ait plus de peau sur le dos. Va, petit gredin, petit menteur, va rejoindre tes scélérats de frères et soeurs. Et prenez garde à vous; si j'apprends qu'on ait maltraité mes petits amis Jacques et Paul, on aura affaire à moi.»

      Yégor se retira effrayé et tremblant; il courut dire à sa mère, à ses frères et à ses soeurs ce qu'il venait d'entendre de la bouche de son oncle.

      Mme Papofski pleura de rage, les enfants frémirent d'épouvante.

      Après quelques minutes données à la colère, Mme Papofski se souvint des six cent mille roubles de revenu de son oncle: elle réfléchit et se calma.

      «Ecoutez-moi, dit-elle à ses enfants; je veux que vous soyez doux, complaisants et même aimables pour ces Français. Si l'un de vous leur dit ou leur fait la moindre injure, leur cause la moindre contrariété, je le fouette sans pitié; et vous savez comme je fouette quand je suis fâchée!»

      Les enfants frémirent et promirent de ne jamais contrarier les petits Français.

      «Et, quand vous les verrez, vous leur demanderez pardon; entendez-vous?

      —Oui, maman, répondirent les enfants en choeur.

      —Et, quand vous causerez avec votre oncle, vous lui direz chaque fois que vous aimez tous ces Français.

      —Oui, maman, répétèrent les huit voix ensemble.

      —C'est bien. Allez-vous-en.»

      Les enfants se retirèrent dans leur chambre, et se regardèrent quelque temps sans parler.

      «Je déteste ces Français, dit enfin Anouchka, qui avait cinq ans.

      —Et moi aussi, dirent Sashineka, Nikalaï et Pavlouska.

      —Chut! taisez-vous, dirent Sonushka et Mitineka; si elle vous entendait, elle vous arracherait les cheveux.»

      La menace fit son effet; tous se turent.

      «Il faudra tout de même nous venger, dit Yégor, après un nouveau silence.

      —Nous verrons ça, mais plus tard», répondit Mitineka à voix basse.

       Table des matières

       Table des matières

      Pendant que Mme Papofski donnait à ses enfants des conseils de fausseté et de platitude, conseils dont ses enfants ne devaient guère profiter, comme on le verra plus tard, le général calmait Dérigny, qui était hors de lui à la pensée des mauvais traitements qu'auraient pu souffrir sa femme et son enfant sans l'intervention du bon général, auquel il raconta, sur son ordre, ce qui s'était passé entre ses enfants et ceux de Mme Papofski.

      Le général: «Ne vous effrayez pas, mon ami; je connais ma nièce, je m'en méfie, je ne la crois pas; et si l'un de vous avait à se plaindre de Maria Pétrovna ou de ses enfants, je les ferais tous partir dans la matinée. Je sais pourquoi ils sont venus à Gromiline. Je sais que ce n'est pas pour moi, mais pour mon argent; ils n'auront rien. Mon testament est fait; il n'y a rien pour eux. Je ne suis pas si sot que j'en ai l'air; je connais les amis et les ennemis, les bons et les mauvais. Au revoir, ma bonne Madame Dérigny; au revoir, mes bons petits Jacques et Paul. Venez, Dérigny; le dîner doit être servi, c'est vous qui êtes mon majordome; nous ne pouvons nous passer de vous. Vous reviendrez ensuite dîner et causer avec votre excellente femme et vos chers enfants.»

      Le général sortit, suivi de Dérigny, et se rendit au salon, où il trouva sa nièce avec ses quatre aînés, qui l'attendaient; les quatre autres, âgés de six, cinq, quatre et trois ans mangeaient encore dans leur chambre. Le général entra en fronçant les sourcils; il offrit pourtant le bras à sa nièce et la conduisit dans la salle à manger. Mme Papofski était embarrassée; elle ne savait quelle attitude prendre; elle regardait son oncle du coin de l'oeil. Quand le potage fut mangé, elle prit bravement son parti et se hasarda à dire:

      «Ah! mon oncle! comme j'ai ri quand Yégor m'a fait votre commission; vous êtes si drôle, mon oncle! Vous avez dit des choses si amusantes!»

      Le général: «Elles étaient trop vraies pour vous paraître amusantes, ce me semble, Maria Pétrovna. Ce que Yégor vous a dit, je le ferais ou je le ferai: cela dépend de vous.

      —Ah! mon oncle, reprit en riant Mme Papofski, qui étouffait de colère et la comprimait avec peine, vous avez cru ce que vous a dit ce niais de Yégor; il est bête, il n'a rien compris de ce que je disais.»

      Le général: «Mais moi j'ai bien compris et je le répète: Malheur à celui qui touchera à un cheveu de mes Français!»

      Madame Papofski: «Mais, mon oncle, Yégor a dit très mal! J'avais dit que vous m'envoyiez vos bons Français pour voir fouetter une de mes femmes qui a été impertinente. Vous, mon oncle, vous ne faites presque jamais fouetter; vous êtes si bon!

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