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des matières

      Le général finissait la revue des appartements, quand on entendit des cris et des vociférations qui venaient de la cour.

      Le général: «Qu'est-ce que c'est? Dérigny, vous qui êtes leste, courez voir ce qu'il y a, mon ami: quelque malheur arrivé à ma nièce ou à ses marmots probablement. Je vous suivrai d'un pas moins accéléré.»

      Dérigny partit; les domestiques russes étaient déjà disparus; on en. tendait leurs cris se joindre à ceux de leurs camarades; le général pressait le pas autant que le lui permettaient ses nombreuses blessures, son embonpoint excessif et son âge avancé; mais le château était grand; la distance longue à parcourir. Personne ne revenait; le général commençait à souffler, à s'irriter, quand Dérigny parut.

      «Ne vous alarmez pas, mon général: rien de grave. C'est la voiture de Mme Papofski qui vient d'arriver au grand galop des six chevaux, mais personne dedans.»

      Le général: «Et vous appelez ça rien de grave? Que vous faut-il de mieux; ils sont tous tués: c'est évident.»

      Dérigny: «Pardon, mon général; la voiture n'est pas brisée; rien n'indique un accident. Le courrier pense qu'ils seront tous descendus et que les chevaux sont partis avant qu'on ait pu les retenir.»

      Le général: «Le courrier est un imbécile. Amenez-le moi, que je lui parle.»

      Pendant que le général continuait à se diriger vers le perron et la cour, Dérigny alla à la recherche du courrier. Tout le monde était groupé autour de la voiture, et personne ne répondait à l'appel de Dérigny. Il parvint enfin jusqu'à la portière ouverte près de laquelle se tenait le courrier, et vit avec surprise un enfant de trois ou quatre ans étendu tout de son long sur une des banquettes et dormant profondément. Il se retira immédiatement pour rendre compte au général de ce nouvel incident. «Que le diable m'emporte si j'y comprends quelque chose!» dit le général en s'avançant toujours vers le perron.

      Il le descendit, approcha de la voiture, parla au courrier, écarta la foule à coups de canne, pas très fortement appliqués, mais suffisants pour les tenir tous hors de sa portée; les gamins s'enfuirent à une distance considérable.

      Le général: «C'est vrai; voilà un petit bonhomme qui dort paisiblement! Dérigny, mon cher, je crois que le courrier a raison: on aura laissé l'enfant dans la voiture parce qu'il dormait. Ma nièce est sur la route avec les sept enfants et les femmes.»

      Le général, voyant les chevaux de sa nièce trop fatigués pour faire une longue route, donna des ordres pour qu'on attelât ses chevaux à sa grande berline de voyage et qu'on allât au-devant de Mme Papofski.

      Rassuré sur le sort de sa nièce il se mit à rire de bon coeur de la figure qu'elle devait faire, à pied, sur la grand'route avec ses enfants et ses gens.

      «Dites donc, Dérigny, j'ai envie d'aller au-devant d'eux, dans la berline, pour les voir barboter dans la poussière. La bonne histoire! la voiture partie, eux sur la route, criant, courant, appelant. Ma nièce doit être furieuse; je la connais, et je la vois d'ici, battant les enfants, poussant ses gens, etc.»

      La berline du général attelée de six chevaux entrait dans la cour; le cocher allait prendre les ordres de son maître, lorsque de nouveaux cris se firent entendre:

      «Eh bien! qu'y a-t-il encore? Faites taire tous ces braillards, Sémeune Ivanovitch; c'est insupportable! On n'entend que des cris depuis une heure.»

      L'intendant, armé d'un gourdin, se mettait en mesure de chasser tout le monde, lorsqu'un nouvel incident vint expliquer les cris que le général voulait faire cesser. Un lourd fourgon apparut au tournant de l'avenue, tellement chargé de monde que les chevaux ne pouvaient avancer qu'au pas. Le siège, l'impériale, les marchepieds étaient garnis d'hommes, de femmes, d'enfants.

      Le général regardait ébahi, devinant que ce fourgon contenait, outre sa charge accoutumée, tous les voyageurs de la berline.

      Le général: «Sac à papier! voilà un tour de force! C'est plein à ne pas y passer une souris. Ils se sont tous fourrés dans le fourgon des domestiques. Ha, ha, ha! quelle entrée! Les pauvres chevaux crèveront avant d'arriver!... En voilà un qui bute!... La tête de ma nièce qui paraît à une lucarne! Sac à papier! comme elle crie! Furieuse, furieuse!...

      Et le général se frottait les mains comme il en avait l'habitude quand il était très satisfait, et il riait aux éclats. Il voulut rester sur le perron pour voir se vider cette arche de Noé. Le fourgon arriva et arrêta devant le perron. Mme Papofski ne voyait pas son oncle; elle poussa à droite, à gauche, tout ce qui lui faisait obstacle, descendit du fourgon avec l'aide de son courrier; à peine fut-elle à terre qu'elle appliqua deux vigoureux soufflets sur les joues rouges et suantes de l'infortuné.

      «Sot animal, coquin! je t'apprendrai à me planter là, à courir en avant sans tourner la tête pour me porter secours. Je prierai mon oncle de te faire donner cent coups de bâton.

      Le courrier: «Veuillez m'excuser, Maria Pétrovna: j'ai couru en avant d'après votre ordre! Vous m'aviez commandé de courir sans m'arrêter, aussi vite que mon cheval pouvait me porter.»

      Madame Papofski: «Tais-toi, insolent, imbécile! Tu vas voir ce que mon oncle va faire. Il te fera mettre en pièces!...

      Madame Papofski, embarrassée: «Comment, vous êtes là, mon oncle! Je ne vous voyais pas... Je suis si contente, si heureuse de vous voir, que j'ai perdu la tête; je ne sais ce que je dis, ce que je fais! J'étais si contrariée d'être en retard! J'avais tant envie de vous embrasser! Et Mme Papofski se jeta dans les bras de son oncle, qui reçut le choc assez froidement et qui lui rendit à peine les nombreux baisers qu'elle déposait sur son front, ses joues, ses oreilles, son cou, ce qui lui tombait sous les lèvres.

      Madame Papofski: «Approchez, enfants, venez baiser les mains de votre oncle, de votre bon oncle, qui est si bon, si courageux, si aimé de vous tous!»

      Et, saisissant ses enfants un à un, elle les poussa vers le général, qu'ils abordaient avec terreur; le dernier petit, qu'on venait d'éveiller et de sortir de la berline, se mit à crier, à se débattre.

      «Je ne veux pas, s'écriait-il. Il me battra, il me fouettera; je ne veux pas l'embrasser!»

      La mère prit l'enfant, lui pinça le bras et lui dit à l'oreille:

      «Si tu n'embrasses pas ton oncle, je te fouette jusqu'au sang!»

      Le pauvre petit Yvane retint ses sanglots et tendit au général sa joue baignée de larmes. Son grand-oncle le prit dans ses bras, l'embrassa et lui dit en souriant:

      «Non, enfant, je ne te battrai pas, je ne te fouetterai pas; qui est-ce qui t'a dit ça?»

      Yvane: «C'est maman et Sonushka. Vrai, vous ne me fouetterez pas?»

      Le général: «Non, mon ami; au contraire, je te gâterai.»

      Yvane: «Alors vous empêcherez maman de me fouetter?»

      Le général: «Je crois bien, sois tranquille!»

      Le général posa Ivane à terre, se secoua pour se débarrasser des autres enfants qui tenaient ses bras, ses jambes, qui sautaient après lui pour l'embrasser, et offrant le bras à sa nièce:

      «Venez, Maria Pétrovna, venez dans votre appartement. C'est arrangé à la

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