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avaient une querelle plus récente avec Pise au sujet d'une place de Sardaigne. Leurs alliés, en faisant la paix, n'avaient pas tenu compte de cette réclamation tardive, et ils restèrent seuls en état d'hostilités.

      Des événements si voisins, des périls si journaliers laissaient peu de place aux efforts qu'aurait exigés la défense des établissements de Syrie, et cependant un double danger les menaçait. La domination chrétienne chancelait dans la terre sainte, et la jalousie mercantile parmi les colonies maritimes rendait chaque jour plus sanglants les contrecoups de la discorde des métropoles1.

      (1230-1253) Frédéric II avait à peine regagné l'Europe que tout, en Palestine, avait été en confusion. On avait mal gardé les trêves avec les Sarrasins. Les barons du royaume avaient cessé de respecter les lieutenants de l'empereur. Les galères impériales assiégèrent dans Béryte les Lusignans de Chypre qui venaient revendiquer la souveraineté de la terre sainte. Les consuls de Gênes et de Pise, d'accord eu ce moment se présentèrent avec les évêques pour médiateurs, mais, n'ayant pu rien obtenir, ils se retirèrent dans Acre. Les galères génoises allèrent combattre celles de Frédéric; le dénoûment de cette guerre civile arriva par une nouvelle catastrophe (1244): la horde des Carismiens prit Jérusalem et ravagea le pays en tout sens. Le Soudan de Damas vint s'unir aux chrétiens sous les murs de Jaffa pour combattre ces nouveaux assaillants réunis aux Égyptiens. Mais une journée sanglante près de Gaza fut favorable à ceux-ci. Le soudan d'Égypte en recueillit seul le fruit; les Carismiens se dispersèrent après leur victoire, pillèrent la Syrie et disparurent comme un torrent.

      Conrad, fils de Frédéric II, devenu héritier du titre de roi qu'il tenait de son aïeul Brienne, ne parut point dans la terre sainte. Les barons confièrent la conduite des affaires à un bailli ou gouverneur électif. Ce gouvernement était misérable. La querelle européenne des guelfes et des gibelins avait passé la mer, même avant la venue de Frédéric, et elle resta après lui pour envenimer les autres sujets de discorde. Quand les templiers avaient négocié une trêve, les hospitaliers la faisaient rompre. Les Pisans s'étaient battus dans Acre avec leurs voisins, et, obligés de fuir, pour vengeance ils avaient mis le feu à la tour et au quartier des Génois. Gênes, pour les contraindre à réparer le dommage et à relever la tour, avait envoyé des galères contre eux, bravant toute prohibition; car on avait imposé à ces rivaux des trêves permanentes dans les colonies communes. Maintenant ils s'acharnaient dans Acre à des combats qu'on vit durer des mois entiers. Ils étaient livrés avec une telle fureur, que, suivant la remarque des historiens, on employa jusqu'à vingt-deux sortes de machines de destruction dans ces batailles données au milieu de la ville.

      L'arrivée du saint roi Louis, ses vertus, sa dignité dans le malheur vinrent arrêter quelque temps le cours de ces discordes scandaleuses. Son autorité contint tout le monde en paix.

      (1250) Quand Louis avait voulu partir pour la croisade, il avait envoyé des messages à Gênes afin de négocier son passage. Mais il avait cru de sa dignité de ne monter sur la mer que du bord d'une terre de sa domination. Il donna rendez-vous, dans le port d'Aigues-Mortes, à Lercari et Levanto, les deux amiraux génois élus pour le conduire. On partit de là. Il se rendit en Chypre et s'y arrêta jusqu'au printemps. Il paraîtrait, suivant Joinville, qu'en repartant il remonta sur les mêmes vaisseaux; suivant d'autres narrateurs, la flotte qui l'avait porté n'attendit pas l'hivernage; il fallut demander des navires aux colons génois et pisans des villes de Syrie, et l'on ne les obtint qu'à des conditions abusivement onéreuses. Enfin on fit voile vers l'Égypte. Nous ne redirons pas les tristes événements d'une expédition si connue. Lorsque le roi prisonnier dut être remis en liberté, un vaisseau génois se trouva prêt à le recevoir; il paraissait négligemment confié à un seul matelot qu'on voyait sur le tillac. Quand Louis et les musulmans qui le gardaient encore touchèrent au bord, un signal fit sortir du fond du navire cinquante hommes l'arbalète tendue, dont la présence subite écarta les Sarrasins et assura la délivrance du roi2. Ce prince et les débris de son armée furent transportés par les marins génois à Ptolémaïs. Il y séjourna deux ans afin de ne rien laisser en arrière de ses malheureux compagnons d'armes (1256).

      Cependant les Vénitiens, pendant la décadence de l'empire latin de Constantinople, s'étaient appliqués avec une nouvelle ardeur au commerce de Syrie. On reconnaît aux procédés des Génois, racontés par eux-mêmes, que ceux-ci voyaient de mauvais oeil des concurrents si puissants. La possession en commun de l'église de Saint-Sabbas dans la ville d'Acre devint un sujet d'animosité pour deux colonies jalouses resserrées entre les mêmes murailles. Un matelot maltraité dans une rixe fortuite suffit pour soulever les Génois. Ils coururent contre les Vénitiens, en blessèrent un grand nombre et poursuivirent les autres jusqu'au palais de Venise. Ils reconnurent cependant que cette violence avait été imprudente. On s'en excusa du mieux que l'on put, mais les offensés en conservèrent un vif ressentiment. A peine cet orage était apaisé qu'un navigateur génois ayant amené dans le port d'Acre un vaisseau qu'il disait avoir acheté d'un pirate, les Vénitiens qui le reconnurent pour leur propriété le revendiquèrent et s'en emparèrent sans autre explication. Une nouvelle émeute s'ensuivit. Les Génois prirent les armes, descendirent dans le port, attaquèrent les Vénitiens, et non- seulement leur arrachèrent le navire objet de la querelle, mais encore se rendirent maîtres de tous les bâtiments vénitiens qui se trouvaient à l'ancre. Un accord fut pourtant ménagé sur ces voies de fait, on convint de payer les dommages qu'on s'était faits; mais, pour en faire l'évacuation, il fut impossible de s'entendre. Les deux gouvernements auxquels leurs colonies en référèrent s'occupèrent de ce fâcheux incident. On avait pris rendez-vous à Bologne pour traiter, quand Venise accusant les Génois des longueurs qui faisaient traîner l'affaire, entreprit de se faire justice à elle-même. Le convoi ordinaire de ses vaisseaux marchands pour la Syrie fut renforcé de bâtiments armés en guerre qui, en arrivant, capturèrent tout ce qui se trouva de navires génois. On brûla même des maisons dans Acre. Mais la supériorité des Vénitiens ne tenait qu'à la présence de leurs flottes: dans l'intervalle de leur retour, les Génois étaient les plus forts, d'autant mieux que Gênes et Pise étaient alors en paix et que leurs établissements se prêtaient appui. Cette union alarma tellement les Vénitiens d'Acre qu'ils crurent nécessaire de se couvrir de la protection ecclésiastique; le pavillon du patriarche fut arboré sur leur palais public. Qu'on ne s'étonne pas de l'animosité excessive qui règne entre ces émules, ce n'est pas seulement d'ambition et de pouvoir qu'il s'agit entre eux. Ils se débattent pour les intérêts mercantiles, pour ces intérêts qui font dans les deux États, mais surtout à Gênes, toute la richesse publique et privée, qui couvrent toutes les fautes, qui réparent tous les désastres au milieu même des guerres civiles. Venise, sous les Latins de Constantinople, avait enlevé un grand commerce aux Génois; probablement elle leur avait fermé l'accès de la mer Noire. En Syrie, en Chypre, en Égypte elle balançait tout au moins leur ascendant; redoutable sur la mer, elle pouvait troubler la navigation là même où les habitudes et les alliances avaient le mieux établi les Génois. Il n'en fallait pas tant pour que les deux peuples marchands fussent irréconciliables.

      LIVRE QUATRIÈME.

       PREMIÈRE RÉVOLUTION POPULAIRE. - GUILLAUME BOCCANEGRA CAPITAINE DU

       PEUPLE. - CAPITAINES NOBLES. - GUELFES ANGEVINS. - GUERRE PISANE, GUERRE

       AVEC VENISE. - GUERRE CIVILE. - SEIGNEURIE DE L'EMPEREUR HENRI VI; - DE

       ROBERT, ROI DE NAPLES. - LE GOUVERNEMENT GUELFE DEVIENT GIBELIN. - SIMON

       BOCCANEGRA, DOGE.

       1257 - 1339.

      CHAPITRE PREMIER.

       Guillaume Boccanegra, capitaine du peuple. - Guerre avec les Vénitiens. -

       Rétablissement des empereurs grecs à Constantinople.

      L'autorité n'était pas contestée aux nobles; mais il y avait des familles devenues si considérables qu'un partage égal du pouvoir ne pouvait plus leur suffire, et l'équilibre menaçait de se rompre.

      La nation commençait aussi à se lasser de n'avoir pas la sécurité intérieure pour prix de l'abnégation avec laquelle elle se laissait gouverner. Les plébéiens riches devenaient exigeants et il fallait bien que l'on comptât

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