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vers l'ouest, je viens d'apercevoir…

      — Quoi donc?

      — Un phare!…

      Maxime eut un geste enjoué:

      — Ça, c'est ma partie! dit-il sur un ton qui rappelait de loin les intonations des boulevards parisiens. Tu sais que j'ai fait une étude spéciale des phares. Je crois connaître tous ceux qui existent, et j'aurai bien peu de chance si je ne mets pas du premier coup un nom sur celui qui s'offre à nos yeux.

      En parlant de la sorte, le jeune enseigne prit la longue-vue des mains du commandant, et se mit à regarder à son tour dans la direction qu'il lui indiqua.

      Quelques secondes se passèrent… puis une exclamation s'échappa des lèvres de Maxime.

      — C'est bien un phare, n'est-ce pas? insista Gaston, de Pradelle.

      — Le phare Saint-Laurent, répondit le jeune enseigne, sans cesser de tenir sa longue-vue braquée; un des plus remarquables qui aient été construits: 47 mètres 40 de hauteur, avec 13 mètres 70 de diamètre à sa base et 8 mètres 60 à son sommet. Il a été établi sur une chaîne de rochers qui affleure à marée basse et dont les pointes granitiques sont exceptionnellement dangereuses à marée haute.

      — Alors, nous sommes sur les côtes du Canada?

      — Précisément.

      — Cela suffit, et je vais donner des ordres en conséquence.

      Gaston allait, ainsi qu'il l'annonçait, commander la manoeuvre qui devait remettre la goélette dans la bonne route, quand Maxime lui fit un signe impérieux et bref.

      — Que veux-tu? interrogea le commandant surpris.

      — Attends encore… fit Maxime.

      — Pourquoi!

      — Plus j'observe, plus je suis frappé de certaines particularités insolites.

      — Lesquelles?

      — L'horizon est maintenant limpide; la galerie supérieure du phare se détache clairement sur le fond plus clair du ciel; on dirait que quelqu'un est là qui nous a vus et qui nous envoie des signaux.

      — Quels signaux?

      — C'est justement ce qui m'a semblé inexplicable car ils sont absolument inusités et incompréhensibles. Évidemment, c'est une main inexpérimentée qui les envoie — et à moins d'erreur que je n'admets pas, c'est un pavillon noir que l'on agite.

      Gaston de Pradelle ne perdit pas de temps à réfléchir, et son parti fut vite pris.

      D'un accent assuré et ferme, il donna aussitôt l'ordre de hisser toutes les voiles, et, reprenant la barre, il gouverna dans la direction du phare Saint-Laurent.

      Ce ne fut pas long.

      La goélette n'avait pas l'habitude de se faire prier, et elle obéissait au commandement avec une soumission et une précision qui l'avaient mise depuis longtemps hors de pair.

      Le phare n'était plus qu'à dix milles environ: en une heure, le trajet s'accomplit, et l'on put apercevoir, enfin, la silhouette de l'imposante construction, qui avait, comme eût dit Michelet, la sublime simplicité d'une gigantesque plante de mer.

      «Énorme, immobile, silencieuse, elle semble une sorte de défi jeté au démon des tempêtes par le génie de l'homme, et pendant qu'une mer incessamment déchaînée s'acharne à sa base et monte jusqu'à son sommet, impassible et immuable, elle indique aux navires l'entrée de la passe du fleuve, et les rochers sur lesquels ils iraient infailliblement se briser.»

      Cependant, les signaux avaient continué à mesure que l'Atalante approchait, et maintenant on distinguait presque à l'oeil nu, le pavillon noir que l'on agitait de la galerie.

      Quelque chose d'extraordinaire s'était évidemment passé, et l'on appelait au secours.

      Gaston se tourna vers Maxime.

      — Puisque tu as fait une étude spéciale des phares, dit-il à voix rapide, et que tu reconnais celui-ci, tu peux nous renseigner sur les abords de la côte.

      — Oh! parfaitement, répondit le jeune enseigne, nous pouvons approcher encore d'un mille au moins. Les abords sont très dangereux, mais la marée est haute, et il y a plus de deux brasses sur les barres. Avec la chaloupe, pendant trois heures il n'y a aucun danger d'accoster.

      — Que l'on mette donc le canot à la mer, ordonna Gaston, et j'irai moi-même au secours de ces malheureux.

      Maxime ne fît pas d'objection et alla tout préparer. Dix minutes plus tard, le canot glissait le long du navire avec six hommes d'équipage et un quartier-maître, et quand il fut paré, Gaston y descendit à son tour, emmenant le petit Bob, un jeune mousse qui ne le quittait pas et qui avait fait toute la campagne avec lui.

      — Pousse au large! commanda-t-il alors, en prenant place a l'arrière.

      Les six avirons s'abattirent immédiatement, et la frêle embarcation fendit les flots avec rapidité.

      Au bout d'un quart d'heure, ils rangeaient l'îlot de rochers sur lequel le phare est construit.

      À ce moment, la base était complètement immergée, ainsi que l'avait prévu Maxime, et le flot venait battre les flancs de la tour.

      Le canot alla s'engager dans une anse de sable; Gaston, Bob et deux matelots sautèrent à la mer, et, gagnant l'escalier ménagé dans le talus, ils commencèrent l'ascension.

      Ce n'était pas facile.

      Talus et escaliers étaient tapissés de varech, de fucus, et de petits limaçons de mer qui en rendaient la surface si glissante, que l'on ne pouvait s'y tenir debout, et Gaston commençait à s'étonner qu'on les eût appelés pour les laisser se morfondre ainsi sans indication sur la route à suivre, quand une échelle de cordes tomba tout à coup à ses pieds, en se déroulant du haut de la plate-forme.

      En même temps une voix arriva jusqu'à lui.

      — Attachez l'échelle aux deux montants de fer qui sont scellés dans le talus, dit cette voix, et hâtez-vous de monter, il y a des malheureux à sauver.

      Gaston éprouva un moment de stupéfaction profonde; cette voix qui venait de se faire entendre n'avait rien de masculin, et c'était bien manifestement une voix de femme!…

      Quel était ce mystère?

      L'imprévu de la situation éveilla au dernier point la curiosité du jeune marin, et ce fut avec une sorte d'impétuosité fiévreuse qu'il s'engagea le premier sur l'échelle de corde, et parvint en quelques secondes à la balustrade de fer qui entourait la plate- forme.

      Ses hommes le suivaient de près.

      Une fois là, n'apercevant personne, il entra dans la cage du phare, et pénétra dans les couloirs.

      Chose invraisemblable! il n'y trouva aucun être vivant!

      C'était la tour enchantée des légendes de chevalerie.

      Mais il n'était pas de nature patiente, et, après une courte attente, il se mit à frapper à une porte de bronze devant laquelle il s'était arrêté.

      L'effet ne se fit pas longtemps désirer.

      Presque aussitôt, la porte roula sur ses gonds, et à peine eut-il pénétré dans la chambre, un peu sombre, sur laquelle elle ouvrait, qu'il se trouva en présence d'une belle jeune femme, fort élégante, qui lui fit une révérence de l'air le plus naturel du monde.

      Gaston ne put réprimer un geste de surprise.

      L'aventure prenait des proportions de conte de fée! et il se demandait si vraiment il était bien éveillé.

      La jeune femme sourit tristement:

      — Pardon de vous avoir fait attendre, commandant, dit-elle avec un geste gracieux; — mais je n'ai pas voulu me présenter devant vous dans une

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