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De nos jours c'est encore de même, il en est plus d'un et plus d'une que je pourrais citer: et vous?

      On appelait poste royale, une poste qui se payait double, à l'entrée et à la sortie de quelques grandes villes, et de celles où résidait la Cour.

      Quand on voulait être bien mené, il suffisait de dire aux postillons ces mots magiques: En avant et doubles guides. Cela voulait dire que si l'on était content, on payerait I fr. 50 au lieu de 75 centimes par poste et par postillon; alors les chevaux ne quittaient pas le galop de tout le relai.

      Lorsqu'on était pressé, et qu'on ne regardait pas à la dépense pour voyager en prince, on envoyait un courrier en avant. Un postillon à cheval partait à franc-étrier, arrivait au premier relai avant vous, et faisait préparer le nombre de chevaux dont vous aviez besoin; cela se répétait à chaque changement de chevaux. De cette manière on ne perdait point de temps aux relais.

      Il paraît que dans tout pays la poste était chère, il y a un proverbe italien qui dit: La posta e spesa di principe ed un mestière di facchino. La poste dépense de prince est métier d'homme de peine.

      On peut se rendre compte de ce que coûtait un voyage de Lyon à Paris et réciproquement, pour une ou deux personnes.

      Quand on avait sa chaise, la traction seule s'élevait à 400 francs environ, plus ou moins, suivant l'état des chemins et la saison.

      Si l'on n'avait pas de chaise il fallait en louer une, ce qui coûtait une centaine de francs en moyenne, ce prix était variable suivant les circonstances. C'était donc une dépense d'environ 500 francs, sans compter les frais des hôtels qui l'augmentaient beaucoup, si l'on ne marchait pas jour et nuit.

      Ce chiffre peut être considéré comme exact. Au moment de la première invasion du choléra à Paris en 1832, qui débuta d'une manière foudroyante, emportant Casimir Périer, alors président du conseil des ministres, mes parents furent très inquiets, et se décidèrent à venir me chercher. On était si terrifié qu'ils arrivèrent seuls à Paris dans une grande diligence à vingt places; celles qu'ils rencontraient en sens inverse étaient au contraire toutes pleines de fuyards.

      M'ayant trouvé bien portant et pas effrayé du tout, ils durent repartir tout de suite, par l'ordre des médecins; mais toutes les voitures publiques, malles et diligences étant encombrées, ils ne purent partir qu'en poste, en louant une calèche à Paris.

      Ils me laissèrent 500 francs pour prendre aussi la poste et revenir à Lyon au galop, si le choléra arrivait à l'Ecole polytechnique.

      Quoique fortement menacée au milieu du quartier Mouffetard, où les habitants étaient décimés, grâce à Dieu l'Ecole fut préservée, fort heureusement pour moi, pour mes 500 francs et pour beaucoup d'autres.

      Le prix du voyage par la malle était beaucoup moins cher, 92 francs par personne; mais il était fort difficile d'avoir des places sans les retenir longtemps d'avance.

      Pour ceux qui n'en avaient pas l'habitude, le règlement avec les postillons était ennuyeux et souvent compliqué. Mon père, fort expert dans cette manière de voyager, m'y avait initié de bonne heure.

      Nous allions souvent à Sury, près de Montbrison; pour faire la course en une journée, il n'y avait que la poste. Longtemps avant que j'eusse barbe au menton, on m'avait confié ce service, qui n'était pas toujours commode.

      Un jour nous partîmes de Lyon dans une petite calèche avec un seul cheval, le nôtre; à la poste de Brignais, naturellement, on en mit deux; à Rive-de-Gier on en mit encore deux, mais on en fit payer trois; à Saint-Chamond on voulait en mettre trois et nous en faire payer quatre.

      Exaspéré de cette progression croissante, je fis mettre les quatre chevaux et deux postillons. C'est ainsi que nous fîmes une entrée triomphante à Saint-Etienne, sur la place Chavannel, dans la cour de la manufacture d'armes, qu'habitait mon oncle.

      Les officiers d'artillerie se mettaient aux fenêtres, croyant à une inspection imprévue du ministre de la guerre; ce n'était qu'un écolier en vacances qui avait voulu faire claquer son fouet tout comme un autre.

      Lorsque mon grand-père conduisait sa famille à Sury, avec sa voiture et ses chevaux, il couchait toujours en route.

      Les chemins étaient si mauvais avant 1820, qu'il était tout à fait extraordinaire si, pendant le trajet, on ne versait qu'une fois.

      Fâcheuses conséquences des guerres de Napoléon Ier, qui avait supprimé l'entretien des routes pour mieux assurer l'entretien de ses armées.

      C'était une belle institution, la poste aux chevaux, surtout dans le moment de sa grande activité. Rien n'était plus vivant, et ne donnait plus envie de voyager, que de voir une grande berline avec siège devant et derrière, attelée de quatre beaux chevaux conduits par des postillons alertes, en habits bleus, bordés de rouge et galonnés, avec leurs grosses bottes, assez dures pour les préserver du contact des brancards et des timons.

      De loin on entendait le claquement des fouets se mêlant au bruit joyeux des grelots, pour faire écarter les autres voitures; car c'était un privilège de la poste royale. On devait lui laisser le haut du pavé, ou le milieu de la chaussée.

      C'était ordinairement de cette manière que faisaient leurs voyages de noces les jeunes mariés de bonne maison.

      Mais quelques-uns partant à la nuit tombante, n'allaient que jusqu'au premier relai, revenaient en ville à la nuit close, et rentraient discrètement à pied dans leur maison, où personne ne venait les voir pendant quinze jours.

      Sur les lettres d'invitation au mariage, on imprimait régulièrement en post-scriptum: On part pour la campagne, cela voulait dire: nous n'avons pas besoin de vous, ce n'est donc pas la peine de vous déranger. Ce n'était point un mensonge; on partait bien, en effet, pour le pays de Tendre; car alors, si l'on ne lisait déjà plus l'Astrée d'Honoré d'Urfé et les romans de Mlle de Scudéri, on en conservait encore les traditions.

      Comme beaucoup de choses de ce monde, hélas! le postillon a disparu; ce n'est plus sur son cheval, mais seulement sur la scène, qu'on pourra voir encore le Postillon de Lonjumeau, quand l'Opéra-Comique sera reconstruit, car lui aussi vient de disparaître dans un affreux désastre, sans emporter cependant nos anciens souvenirs.

      Les maîtres de poste ont fait comme le postillon; j'ai connu les deux derniers de Paris et de Lyon, MM. Dailly et Mottard; tous deux aimaient tant leurs chevaux qu'ils n'ont pas voulu s'en séparer.

      C'est une affection que je comprends; car, si quelquefois ces rudes serviteurs ont des caprices, et qui n'en a pas! souvent ils montrent leur reconnaissance, en léchant la main qui les nourrit; et surtout jamais ils ne disent du mal de vous. Il y a cependant des savants qui ne connaissent ces nobles bêtes que sous le nom de moteurs animés.

      Avez-vous jamais, lecteur, conduit à grandes guides un quadrige de superbes normands ou de vigoureux Percherons?

      Je pourrais, je crois, parier cent contre un, que cela ne vous est jamais arrivé.

      Avez-vous jamais dirigé une véritable locomotive?

      Il y a encore moins de chances pour que vous me donniez une réponse affirmative.

      Eh bien! par extraordinaire et volontairement, je me suis trouvé dans des circonstances qui m'ont permis de me livrer à ces deux exercices.

      De 1841 à 1845, avant l'ouverture du chemin de fer du Nord, pour le service de la navigation, j'allais plusieurs fois la semaine à Pontoise, par la berline qui, en partant de Paris, traversait les Champs-Elysées.

      Du conducteur je m'étais fait un ami, pour que cette liaison me mît en rapport direct avec ses magnifiques gris-pommelés.

      J'avais obtenu la faveur de me placer à côté de lui sur son siège, et tout naturellement ses guides passaient souvent de ses mains dans les miennes; car les hommes de travail perdent rarement une bonne occasion qui se présente de se reposer.

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