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galop. Ces gardes, voyant Mounier et les députés, avec l'étrange cortége qu'on leur faisait par honneur, crurent apparemment voir là les chefs de l'insurrection, voulurent dissiper cette masse, et coururent tout au travers. Les inviolables échappèrent comme ils purent, et se sauvèrent dans la boue. Qu'on juge de la rage du peuple, qui se figurait qu'avec eux il était sûr d'être respecté!

      Deux femmes furent blessées, et même de coups de sabre, selon quelques témoins[3]. Cependant le peuple ne fit rien encore. De trois heures à huit heures du soir, il fut patient, immobile, sauf des cris, des huées, quand passait l'uniforme odieux des gardes du corps. Un enfant jeta des pierres.

      On avait trouvé le roi; il était revenu de Meudon sans se presser. Mounier, enfin reconnu, fut reçu avec douze femmes. Il parla au roi de la misère de Paris, aux ministres de la demande de l'Assemblée, qui attendait l'acceptation pure et simple de la Déclaration des droits et autres articles constitutionnels. Le roi cependant écoutait les femmes avec bonté. La jeune Louison Chabry avait été chargée de porter la parole; mais, devant le roi, son émotion fut si forte, qu'elle put à peine dire: «Du pain!» et elle tomba évanouie. Le roi, fort touché, la fit secourir, et, lorsqu'au départ elle voulut lui baiser la main, il l'embrassa comme un père.

      Elle sortit royaliste, et criant: Vive le roi! Celles qui attendaient sur la place, furieuses, se mirent à dire qu'on l'avait payée; elle eut beau retourner ses poches, montrer qu'elle était sans argent; les femmes lui passaient au cou leurs jarretières pour l'étrangler. On l'en tira, non sans peine. Il fallut qu'elle remontât au château, qu'elle obtînt du roi un ordre écrit pour faire venir des blés, pour lever tout obstacle à l'approvisionnement de Paris.

      Aux demandes du président, le roi avait dit tranquillement: «Revenez sur les neuf heures.» Mounier n'en était pas moins resté au château, à la porte du conseil, insistant pour une réponse, frappant d'heure en heure, jusqu'à dix du soir. Mais rien ne se décidait.

      Le ministre de Paris, M. de Saint-Priest, avait appris la nouvelle fort tard (ce qui prouve combien le départ pour Versailles fut imprévu, spontané). Il proposa que la reine partît pour Rambouillet, que le roi restât, résistât, et, au besoin, combattît; le seul départ de la reine eût tranquillisé le peuple et dispensé de combattre. M. Necker voulait que le roi allât à Paris, qu'il se confiât au peuple, c'est-à-dire qu'il fût franc, sincère, acceptât la révolution. Louis XVI, sans rien résoudre, ajourna le conseil, afin de consulter la reine.

      Elle voulait bien partir, mais avec lui, ne pas laisser à lui-même un homme si incertain; le nom du roi était son arme pour commencer la guerre civile. Saint-Priest, vers sept heures, apprit que M. de la Fayette, entraîné par la garde nationale, marchait sur Versailles. «Il faut partir sur-le-champ, dit-il. Le roi, en tête des troupes, passera sans difficulté.» Mais il était impossible de le décider à rien. Il croyait (et bien à tort) que, lui parti, l'Assemblée ferait roi le duc d'Orléans. Il répugnait aussi à fuir, il se promenait à grands pas, répétant de temps en temps: «Un roi fugitif! un roi fugitif!» La reine cependant insistant sur le départ, l'ordre fut donné pour les voitures. Déjà il n'était plus temps.

      Un milicien de Paris, qu'une troupe de femmes avait pris, malgré lui, pour chef, et qui, exalté par la route, s'était trouvé à Versailles plus ardent que tous les autres, se hasarda à passer derrière les gardes du corps; là, voyant la grille fermée, il aboyait après le factionnaire placé au dedans, et le menaçait de sa baïonnette. Un lieutenant des gardes et deux autres tirent le sabre, se mettent au galop, commencent à lui donner la chasse. L'homme fuit à toutes jambes, veut gagner une baraque, heurte un tonneau, tombe, toujours criant au secours. Le cavalier l'atteignait, quand les gardes nationaux de Versailles ne purent plus se contenir; l'un d'eux, un marchand de vin, sort des rangs, le couche en joue, le tire, et l'arrête net; il avait cassé le bras qui tenait le sabre levé.

      D'Estaing, le commandant de cette garde nationale, était au château, croyant partir avec le roi. Lecointre, le lieutenant-colonel, restait sur la place, demandait des ordres à la municipalité, qui n'en donnait pas. Il craignait avec raison que cette foule affamée ne se mît à courir la ville, ne se nourrît elle-même. Il alla les trouver, demanda ce qu'il fallait de vivres, sollicita la municipalité, n'en tira qu'un peu de riz, qui n'était rien pour tant de monde. Alors il fit chercher partout, et, par sa louable intelligence, soulagea un peu le peuple.

      En même temps, il s'adressait au régiment de Flandre, demandait aux officiers, aux soldats, s'ils tireraient. Ceux-ci étaient déjà pressés par une influence bien autrement puissante. Des femmes s'étaient jetées parmi eux, et les priaient de ne pas faire de mal au peuple. L'une d'elles apparut alors, que nous reverrons souvent, qui ne semble pas avoir marché dans la boue avec les autres, mais qui vint plus tard sans doute, et tout d'abord se jeta au travers des soldats. C'était la jolie mademoiselle Théroigne de Méricourt, une Liègeoise, vive et emportée, comme tant de femmes de Liège qui firent les révolutions du quinzième siècle et combattirent vaillamment contre Charles le Téméraire. Piquante, originale, étrange, avec son chapeau d'amazone et sa redingote rouge, le sabre au côté, parlant à la fois, pêle-mêle, avec éloquence pourtant, le français et le liégeois... On riait, mais on cédait... Impétueuse, charmante, terrible, elle ne sentait nul obstacle...

      Théroigne, ayant envahi ce pauvre régiment de Flandre, lui tourna la tête, le gagna, le désarma si bien, qu'il donnait fraternellement ses cartouches aux gardes nationaux de Versailles.

      D'Estaing fit dire alors à ceux-ci de se retirer. Quelques-uns partent; d'autres répondent qu'ils ne s'en iront pas que les gardes du corps ne soient partis les premiers. Ordre aux gardes de défiler. Il était huit heures, la soirée fort sombre. Le peuple suivait, pressait les gardes avec des huées. Ils avaient le sabre à la main, ils se font faire place. Ceux qui étaient à la queue, plus embarrassés que les autres, tirent des coups de pistolet; trois gardes nationaux sont touchés, l'un à la joue, les deux autres reçoivent les balles dans leurs habits. Leurs camarades répondent, tirent aussi. Les gardes du corps ripostent de leurs mousquetons.

      D'autres gardes nationaux entraient dans la cour, entouraient d'Estaing, demandaient des munitions. Il fut lui-même étonné de leur élan, de l'audace qu'ils montraient, tout seuls au milieu des troupes: «Vrais martyrs de l'enthousiasme,» disait-il plus tard à la reine.

      Un lieutenant de Versailles déclara au garde de l'artillerie que, s'il ne donnait de la poudre, il lui brûlerait la cervelle. Il en livra un tonneau qu'on défonça sur la place, et l'on chargea des canons qu'on braqua vis-à-vis la rampe, de manière à prendre en flanc les troupes qui couvraient encore le château, et les gardes du corps qui revenaient sur la place.

      Les gens de Versailles avaient montré la même fermeté de l'autre côté du château. Cinq voitures se présentaient à la grille pour sortir; c'était la reine, disait-on, qui partait pour Trianon. Le suisse ouvre, la garde ferme. «Il y aurait danger pour Sa Majesté, dit le commandant, à s'éloigner du château.» Les voitures rentrèrent sous escorte. Il n'y avait plus de passage. Le roi était prisonnier.

      Le même commandant sauva un garde du corps que la foule voulait mettre en pièces, pour avoir tiré sur le peuple. Il fit si bien, qu'on laissa l'homme; on se contenta du cheval, qui fut dépecé; on commençait à le rôtir sur la place d'armes; mais la foule avait trop faim; il fut mangé presque cru.

      La pluie tombait. La foule s'abritait où elle pouvait; les uns enfoncèrent la grille des Grandes-Écuries, où était le régiment de Flandre, et s'y mirent pêle-mêle avec les soldats. D'autres, environ quatre mille, étaient restés dans l'Assemblée. Les hommes étaient assez tranquilles, mais les femmes supportaient impatiemment cet état d'inaction; elles parlaient, criaient, remuaient. Maillard seul pouvait les faire taire, et il n'en venait à bout qu'en haranguant l'Assemblée.

      Ce qui n'aidait pas à calmer la foule, c'est que des gardes du corps vinrent trouver les dragons qui étaient aux portes de l'Assemblée, demander s'ils voudraient les aider à prendre les pièces qui menaçaient le château. On allait se jeter sur eux; les dragons les firent échapper.

      À huit heures, autre tentative.

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