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suisse tira l'épée, courut sur Maillard, qui tira la sienne... Une portière heureusement frappe à propos d'un bâton, le suisse tombe, un homme lui met la baïonnette à la poitrine. Maillard l'arrête, désarme froidement les deux hommes, emporte la baïonnette et les épées.

      La matinée avançait, la faim augmentait. À Chaillot, à Auteuil, à Sèvres, il était bien difficile d'empêcher les pauvres affamées de voler des aliments. Maillard ne le souffrit pas. La troupe n'en pouvait plus à Sèvres; il n'y avait rien, même à acheter; toutes les portes étaient fermées, sauf une, celle d'un malade qui était resté; Maillard se fit donner par lui, en payant, quelques brocs de vin. Puis il désigna sept hommes, et les chargea d'amener les boulangers de Sèvres, avec tout ce qu'ils auraient. Il y avait huit pains en tout, trente-deux livres pour huit mille personnes... On les partagea, et l'on se traîna plus loin. La fatigue décida la plupart des femmes à jeter leurs armes. Maillard leur fit sentir d'ailleurs que, voulant faire visite au roi, à l'Assemblée, les toucher, les attendrir, il ne fallait pas arriver dans cet équipage guerrier. Les canons furent mis à la queue, et cachés en quelque sorte. Le sage huissier voulait un amener sans scandale, pour dire comme le palais. À l'entrée de Versailles, pour bien constater l'intention pacifique, il donna le signal aux femmes de chanter l'air d'Henri IV.

      Les gens de Versailles étaient ravis, criaient: Vivent nos Parisiennes! Les spectateurs étrangers ne voyaient rien que d'innocent dans cette foule qui venait demander secours au roi. Un homme, peu favorable à la Révolution, le Genévois Dumont, qui dînait au palais des Petites-Écuries, et regardait d'une fenêtre, dit lui-même: «Tout ce peuple ne demandait que du pain.»

      L'Assemblée avait été, ce jour-là, fort orageuse. Le roi, ne voulant sanctionner ni la Déclaration des droits, ni les arrêtés du 4 août, répondait qu'on ne pouvait juger des lois constitutives que dans leur ensemble, qu'il y accédait néanmoins, en considération des circonstances alarmantes, et à la condition expresse que le pouvoir exécutif reprendrait toute sa force.

      «Si vous acceptez la lettre du roi, dit Robespierre, il n'y a plus de constitution, aucun droit d'en avoir une.» Duport, Grégoire, d'autres députés, parlent dans le même sens. Pétion rappelle, accuse l'orgie des gardes du corps. Un député, qui lui-même avait servi parmi eux, demande, pour leur honneur, qu'on formule la dénonciation, et que les coupables soient poursuivis. «Je dénoncerai, dit Mirabeau, et je signerai, si l'Assemblée déclare que la personne du roi est la seule inviolable.» C'était désigner la reine. L'Assemblée entière recula: la motion fut retirée; dans un pareil jour, elle eût provoqué un meurtre.

      Mirabeau lui-même n'était pas sans inquiétude pour ses tergiversations. Il s'approche du président, et lui dit à demi-voix: «Mounier, Paris marche sur nous... croyez-moi, ne me croyez pas, quarante mille hommes marchent sur nous... Trouvez-vous mal, montez au château, et donnez-leur cet avis, il n'y a pas une minute à perdre...—Paris marche? dit sèchement Mounier (il croyait Mirabeau un des auteurs du mouvement); eh bien, tant mieux! nous en serons plus tôt république.»

      L'Assemblée décide qu'on enverra vers le roi, pour demander l'acceptation pure et simple de la Déclaration des droits. À trois heures, Target annonce qu'une foule se présente aux portes sur l'avenue de Paris.

      Tout le monde savait l'événement. Le roi seul ne le savait pas. Il était parti le matin, comme à l'ordinaire, pour la chasse; il courait les bois de Meudon. On le cherchait; en attendant, on battait la générale; les gardes du corps montaient à cheval, sur la place d'armes, et s'adossaient à la grille; le régiment de Flandre, au-dessous, à leur droite, près de l'avenue de Sceaux; plus bas encore, les dragons; derrière la grille, les Suisses.

      Cependant Maillard arrivait à l'Assemblée nationale. Toutes les femmes voulaient entrer. Il eut la plus grande peine à leur persuader de ne faire entrer que quinze des leurs. Elles se placèrent à la barre, ayant à leur tête le garde française dont on a parlé, une femme qui au bout d'une perche portait un tambour de basque, et, au milieu, le gigantesque huissier, en habit noir déchiré, l'épée à la main. Le soldat, avec pétulance, prit la parole, dit à l'Assemblée que le matin, personne ne trouvant de pain chez les boulangers, il avait voulu sonner le tocsin, qu'on avait failli le pendre, qu'il avait dû son salut aux dames qui l'accompagnaient. «Nous venons, dit-il, demander du pain et la punition des gardes du corps qui ont insulté la cocarde... Nous sommes de bons patriotes; nous avons sur notre route arraché les cocardes noires... Je vais avoir le plaisir d'en déchirer une sous les yeux de l'Assemblée.»

      À quoi l'autre ajouta gravement: «Il faudra bien que tout le monde prenne la cocarde patriotique.» Quelques murmures s'élevèrent.

      «Et pourtant nous sommes tous frères!» dit la sinistre figure.

      Maillard faisait allusion à ce que la municipalité de Paris avait déclaré la veille: Que la cocarde tricolore ayant été adoptée comme signe de fraternité, elle était la seule que dût porter le citoyen.

      Les femmes impatientes criaient toutes ensemble: «Du pain! du pain!»—Maillard commença alors à dire l'horrible situation de Paris, les convois interceptés par les autres villes, ou par les aristocrates. «Ils veulent, dit-il, nous faire mourir. Un meunier a reçu deux cents livres pour ne pas moudre, avec promesse d'en donner autant par semaine.»—L'Assemblée: «Nommez! nommez!»—C'était dans l'Assemblée même que Grégoire avait parlé de ce bruit qui courait; Maillard l'avait appris en route.

      «Nommez!» Des femmes crièrent au hasard: «C'est l'archevêque de Paris.»

      Robespierre prit une grave initiative. Seul, il appuya Maillard, dit que l'abbé Grégoire avait parlé du fait, et sans doute donnerait des renseignements.

      D'autres membres de l'Assemblée essayèrent des caresses ou des menaces. Un député du clergé, abbé ou prélat, vint donner sa main à baiser à l'une des femmes. Elle se mit en colère, et dit: «Je ne suis pas faite pour baiser la patte d'un chien.» Un autre député, militaire, décoré de la croix de Saint-Louis, entendant dire à Maillard que le grand obstacle à la constitution était le clergé, s'emporta, et lui dit qu'il devrait subir sur l'heure une punition exemplaire. Maillard, sans s'épouvanter, répondit qu'il n'inculpait aucun membre de l'Assemblée, que sans doute le clergé ne savait rien de tout cela, qu'il croyait rendre service en leur donnant cet avis. Pour la seconde fois, Robespierre soutint Maillard, calma les femmes. Celles du dehors s'impatientaient, craignaient pour leur orateur; le bruit courait parmi elles qu'il avait péri. Il sortit, et se montra un moment.

      Maillard, reprenant alors, pria l'Assemblée d'inviter les gardes du corps à faire réparation pour l'injure à la cocarde.—Des députés démentaient... Maillard insista en termes peu mesurés:—Le président Mounier le rappela au respect de l'Assemblée, ajoutant maladroitement que ceux qui voulaient être citoyens pouvaient l'être de leur plein gré... C'était donner prise à Maillard; il s'en saisit, répliqua: «Il n'est personne qui ne doive être fier de ce nom de citoyen. Et, s'il était, dans cette auguste Assemblée, quelqu'un qui s'en fît déshonneur, il devrait en être exclu.» L'Assemblée frémit, applaudit: «Oui, nous sommes tous citoyens.»

      À l'instant on apportait une cocarde aux trois couleurs, de la part des gardes du corps. Les femmes crièrent: «Vive le roi! vivent messieurs les gardes du corps!» Maillard, qui se contentait plus difficilement, insista sur la nécessité de renvoyer le régiment de Flandre.

      Mounier, espérant alors pouvoir les congédier, dit que l'Assemblée n'avait rien négligé pour les subsistances, le roi non plus; qu'on chercherait de nouveaux moyens, qu'ils pouvaient aller en paix.—Maillard ne bougeait, disant: «Non, cela ne suffit pas.»

      Un député proposa alors d'aller représenter au roi la position malheureuse de Paris. L'Assemblée le décréta, et les femmes, se prenant vivement à cette espérance, sautaient au cou des députés, embrassaient le président, quoi qu'il fît. «Mais où donc est Mirabeau? disaient-elles encore, nous voudrions bien voir notre comte de Mirabeau!»

      Mounier, baisé, entouré, étouffé presque, se mit tristement en route avec la députation et une

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