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paraît tenir.»

      L'Anglais se laissa tourner et retourner par Bonard devant un feu flamboyant; Mme Bonard repassait et repliait les papiers pendant que l'Anglais était enveloppé de la vapeur qu'exhalaient ses habits humides. Il fallut une demi-heure pour réchauffer l'homme et faire sécher ses vêtements.

      Lorsqu'il se sentit sec et chaud, il dit à Bonard d'un ton radouci et modeste:

      «J'espérais avoir mon turkey, my dear sir (mon cher Monsieur).

      BONARD.—Ecoutez, mon bon Monsieur, et tâchez de comprendre. La dinde que vous appelez Turkey (je ne sais pourquoi) n'est pas à vous, mais à moi.»

      L'Anglais fait un mouvement.

      BONARD.—Permettez; laissez-moi achever. C'est Alcide qui vous l'a vendue?

      L'ANGLAIS.—Oh yes! Alcide. Good fellow! il vendait à moi si bonnes turkeys!

      BONARD.—Eh bien, Alcide me l'a volée et il vous l'a vendue.

      L'ANGLAIS.—Oh! Alcide! si bonne fellow! Et Fridrick aussi!

      BONARD.—Il vous en a déjà vendu deux autres, n'est-ce pas?

      L'ANGLAIS.—Oh oui! excellentes!

      BONARD.—Alcide les avait volées à Julien.

      L'ANGLAIS.—Oh! my goodness! Comment! Alcide était une malhonnête, une voleure? Et le Fridrick aussi?

      BONARD.—Combien vous les a-t-il vendues?

      L'ANGLAIS.—Deux premièrs, six: lé grosse dernièr, houit. Il disait c'était plus grosse.

      BONARD.—Ce fripon vous a volé et moi aussi.

      L'ANGLAIS, inquiet.—Et jé mangeais plus vos grosses turkeys?

      BONARD.—Si fait: je vous en vendrai à quatre francs tant que j'en aurai.

      L'ANGLAIS, riant et se frottant les mains.—Oh! very well, nous bonnes amis alorse. Oh! lé fripone Alcide, là fripone Fridrick! Il m'avait vendu deux premièrs. Quand jé lé revois, jé lui fais tous deux une boxe terrible. Good bye, master Bonarde. Good bye, excellent madme Bonarde. Je viendrai beaucoup souvent. Mes papers, s'il vous plaisait.

      MADAME BONARD.—Voilà, Monsieur: ils sont bien secs, bien repassés, il n'y paraît pas: un peu jaunes seulement.

      L'ANGLAIS.—Ça faisait riène du tout. Good bye

      M. Georgey fit un dernier salut et s'en alla.

      Bonard regarda sa femme qui s'essuyait les yeux.

      BONARD.—Tu pleures, femme? Et tu as raison; pour un rien je ferais comme toi. Frédéric, notre fils, un voleur!

      MADAME BONARD.—C'est Alcide qui l'aura entraîné. bien sûr! A lui tout seul, il n'aurait jamais commis une si mauvaise action!

      BONARD.—Je l'espère. Et voilà ce qu'il a gagné à ne pas m'obéir; je lui avais défendu bien des fois de fréquenter ce mauvais garnement d'Alcide... Quand il sera de retour, je lui donnerai son compte.

      MADAME BONARD.—Oh! Bonard, ménage-le! Pense donc qu'il a été entraîné.

      BONARD.—Un honnête garçon ne se laisse pas entraîner. Vois Julien; il est bien plus jeune que Frédéric, il n'a que douze ans, et il a résisté, lui.»

      Pendant que le mari et la femme causaient tristement en attendant Frédéric, Julien avait rentré son troupeau et soignait les chevaux. Il vit la tête de Frédéric qui apparaissait derrière un tas de paille.

      JULIEN, riant.—Tiens! qu'est-ce que tu fais là? Pourquoi t'es-tu fourré là-dedans?

      FRÉDÉRIC.—Chut! Prends garde qu'on ne t'entende. J'ai aperçu l'Anglais dans la salle. Est-il parti?

      JULIEN.—Oui, il vient de s'en aller. Pourquoi as-tu peur de cet Anglais? Il a l'air tout drôle, mais il n'est pas méchant, malgré tout ce qu'il dit. D'où le connais-tu toi?

      FRÉDÉRIC.—Je ne le connais pas beaucoup, seulement pour l'avoir rencontré avec Alcide. Qu'est-ce qu'il a dit? Pourquoi est-il venu ici?

      JULIEN.—Je n'en sais trop rien; il me demandait son tarké; il paraît que c'est comme ça qu'il appelle les dindons.

      FRÉDÉRIC.—Oui, oui; mais qu'a-t-il dit?

      JULIEN.—Ma foi, je n'y ai pas compris grand'chose. Il voulait me boxer et puis ton père. Il demandait toujours son tarké; il m'appelait voleur, malhonnête. Je crois bien qu'il n'a pas sa tête; il a un peu l'air d'un fou.

      FRÉDÉRIC.—A-t-il parlé de moi?

      JULIEN.—Non, je ne pense pas; mais qu'est-ce que cela te fait?

      FRÉDÉRIC.—Tu es sûr qu'il n'a rien dit de moi?

      JULIEN.—Je n'ai rien entendu toujours.

      FRÉDÉRIC.—Alors je peux rentrer?

      JULIEN.—Pourquoi pas? Mais qu'as-tu donc? tu as l'air tout effaré.

      FRÉDÉRIC.—Papa est-il dans la salle?

      JULIEN.—Je pense que oui; je ne l'ai pas vu sortir.»

      Frédéric, rassuré, sortit de derrière la porte et se dirigea vers la maison. La porte s'ouvrit et Bonard parut.

      «Suis-moi», dit-il à Frédéric d'une voix qui réveilla toutes ses craintes.

      «Suis-moi, reprit-il; viens à l'écurie. Et toi, Julien, va-t'en.»

      Julien obéit, presque aussi tremblant que Frédéric.

      Bonard ferma la porte et décrocha le fouet de charretier. Frédéric devint pâle comme un mort.

      BONARD.—Comment connais-tu cet Anglais qui sort d'ici?»

      Frédéric ne répondit pas; ses dents claquaient. Bonard lui appliqua sur les épaules un coup de fouet qui lui fit jeter un cri aigu.

      BONARD.—D'où connais-tu cet Anglais?

      FRÉDÉRIC, pleurant.—Je l'ai... rencontré... avec Alcide.

      BONARD.—Pourquoi étais-tu avec Alcide, malgré ma défense? Pourquoi, d'accord avec Alcide, as-tu volé mes dindons pour les vendre à cet Anglais? Pourquoi m'as-tu laissé deux fois gronder Julien, le sachant innocent et te sentant coupable?

      FRÉDÉRIC, pleurant.—Ce n'est... pas moi... mon père,... c'est... Alcide.»

      Puis, se jetant à genoux devant son père, il lui dit en sanglotant: «Mon père, pardonnez-moi, c'est Alcide qui a volé les dindons. J'ai seulement eu tort de le voir après que vous me l'avez défendu.

      BONARD.—Tu mens. Je sais tout; avoue ta faute franchement. Raconte comment la chose est arrivée, et comment Alcide a pu vendre mes dindons à l'Anglais.

      FRÉDÉRIC.—Alcide était convenu de me rencontrer dans le petit bois le soir quand je serais seul; il m'attendait. J'ai envoyé Julien les deux fois me faire une commission, pour qu'il ne me vît pas avec Alcide: j'ai couru dans le bois; je l'ai trouvé avec l'Anglais; puis Alcide a disparu un instant; il est revenu avec un dindon sous le bras. Avant que j'aie pu l'en empêcher, il a fait le marché avec l'Anglais, qui est parti tout de suite emportant le dindon. Alcide m'a donné deux francs, me demandant de n'en rien dire; j'étais tout ahuri, je ne savais ce que je faisais; Alcide s'est sauvé, et moi je m'en suis allé aussi.

      BONARD.—Et les deux francs?

      FRÉDÉRIC.—Je n'ai pu les rendre, Alcide s'était sauvé.

      BONARD.—Et la seconde fois?

      FRÉDÉRIC.—Ça s'est fait de même.

      BONARD.—Et

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