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que c'est? Un rat! Comment un rat s'est-il niché dans le sac? Attrape-le; tue-le.»

      Frédéric commença la chasse au rat, mais il le manquait toujours. Bonard appela Julien.

      «Viens vite nous donner un coup de main, Julien, pour tuer un rat.»

      Julien accourut avec son balai; il en donna un coup au rat, qui n'en courut que plus vite; un second coup l'étourdit. Bonard l'acheva d'un coup de talon.

      JULIEN.—D'où vient-il donc, ce rat?

      BONARD.—Il a sauté hors du sac. Comment y est-il entré? c'est ce que je demande à Frédéric.

      FRÉDÉRIC.—Il y était sans doute avant qu'on ait mesuré le son.

      BONARD.—C'est drôle tout de même! Comment s'y serait-il laissé enterrer sans essayer d'en sortir?»

      Tout en parlant, Bonard mit les mains dans le sac pour en tirer du son. Il poussa une exclamation de surprise. Ce n'était pas du son, mais de l'orge qu'il retirait.

      «Ah çà! Frédéric, dis donc, tu me rapportes de l'orge quand je demande du son.»

      Frédéric, aussi étonné que son père, ne répondait pas; il regardait bouche béante.

      BONARD.—Me répondras-tu, oui ou non? Tu me dis qu'il y a bonne mesure et tu fais mesurer de l'orge pour du son?»

      Bonard était en colère: Julien, voulant éviter une semonce à Frédéric, répondit pour lui.

      «Ce n'est pas la faute de Frédéric, m'sieur Bonard, c'est la mienne. Quand j'ai été au moulin, j'étais pressé; Frédéric m'avait dit de me bien dépêcher pour que vous trouviez le son en rentrant. Ils m'ont donné un sac préparé d'avance: il y en avait plusieurs; ils se seront trompés, ils m'ont donné de l'orge pour du son.

      BONARD, à Frédéric.—Pourquoi as-tu envoyé Julien? Pourquoi n'y as-tu pas été toi-même? Pourquoi as-tu attendu jusqu'au soir?

      FRÉDÉRIC, embarrassé.—J'avais de l'ouvrage, je n'ai pas trouvé le moment.

      BONARD.—Et pourquoi est-ce Julien qui y a été? Tu as eu peur de te fatiguer, paresseux! Va vite reporter ce sac et demande du son.

      FRÉDÉRIC.—Mais, mon père, on va souper. Je puis bien y aller après.

      BONARD.—Tu iras tout de suite. Entends-tu?»

      Frédéric obligé d'obéir à son père, y mit toute la mauvaise grâce possible; il marcha lentement, après avoir perdu du temps à chercher la brouette, à trouver un sac vide, le secouer, à reprendre le sac d'orge, à le charger sur la brouette. Julien voulut l'aider, mais Bonard l'en empêcha.

      «Le voilà enfin en route, dit Bonard quand Frédéric fut parti. Et toi, Julien, je te défends à l'avenir de faire son ouvrage. Il devient paresseux, coureur; il s'est lié avec ce mauvais garnement Alcide, le fils du cafetier; je le lui ai défendu, mais il le voit tout de même, je le sais. Vient-il ici quand je n'y suis pas?

      JULIEN.—Jamais, M'sieur. Depuis que M'sieur l'a chassé, il y a bientôt trois mois, il n'est pas venu une seule fois.

      BONARD.—As-tu compté tes dindes ce soir? Y sont-elles toutes?

      JULIEN.—Oui, M'sieur, elles y sont; j'en ai compté quarante-sept. C'est Frédéric qui les a rentrées pendant que j'étais au moulin pour avoir du son.

      BONARD.—Je n'aime pas cet échange de travail; c'était à toi de rentrer tes dindes, et Frédéric devait aller lui-même au moulin. Je te répète qu'à l'avenir je veux que chacun fasse son ouvrage; tous ces mélanges et complaisances n'amènent rien de bon; il en résulte que les uns n'en font pas assez et que les autres en font trop.

      JULIEN.—Je suis bien fâché de vous avoir mécontenté, M'sieur; je croyais bien faire en obéissant au fils de M'sieur, car je sais bien que je suis le dernier dans la maison de M'sieur qui a été si bon pour moi et qui m'a recueilli quand tout le monde me repoussait.

      BONARD.—Ecoute, Julien; si tu es reconnaissant du bien que je te fais, tu me le témoigneras en ne favorisant pas la paresse de Frédéric. C'est un défaut dangereux qui mène à beaucoup de sottises, et je veux que Frédéric reste bon sujet.

      JULIEN.—Je vous obéirai, M'sieur; je sais que c'est mon devoir.»

      Tout en causant, Bonard avait donné de l'avoine aux chevaux, pendant que Julien faisait la litière. Quand les chevaux furent servis et arrangés, Bonard rentra pour souper; Julien le suivit de près.

      MADAME BONARD.—Ah! te voilà, mauvais garnement! Tu as encore perdu une dinde, et cette fois je ne te le passerai pas. Tu n'auras que de la soupe et du pain sec pour ton souper, et je te retiendrai le prix de la dinde sur les soixante francs que te donne Bonard pour ton entretien; ainsi, mon garçon, compte sur cinquante-six francs au lieu de soixante pour cette année.»

      Julien était consterné. Toutes ses dindes y étaient (il en était bien certain) quand Frédéric l'avait envoyé au moulin, et personne n'avait pu ni les prendre, ni les laisser courir... excepté Frédéric lui-même.

      Julien raconta à Mme Bonard comment les choses s'étaient passées, comment c'était Frédéric qui s'était chargé de faire rentrer les dindes, de les enfermer, et que, bien certainement, les quarante-sept s'y trouvaient, puisqu'il les avait comptées devant Frédéric.

      «C'est impossible, lui répondit Mme Bonard, puisque c'est moi, moi-même, qui ai trouvé les dindes abandonnées dans la cour, personne pour les garder et les rentrer; c'est moi qui les ai comptées, et je n'en ai trouvé que quarante-six.

      —Frédéric m'avait pourtant bien promis de les rentrer tout de suite, répondit tristement Julien, et je suis sûr que c'est bien quarante-sept dindons que je lui ai remis avant d'aller au moulin.»

      Bonard écoutait et paraissait contrarié.

      «Ecoute, ma femme, dit-il, attendons Frédéric pour éclaircir l'affaire, et, en attendant, donne à Julien son souper complet; il a expliqué la chose comme un honnête garçon, et il dit vrai, je te le garantis. C'est drôle tout de même que deux jeudis de suite il nous disparaisse une dinde et que Frédéric ne le voie pas.

      MADAME BONARD.—Quoi donc? Que veux-tu dire? Quelle est ton idée? car tu en as une, je le vois bien.

      BONARD.—Certainement, j'en ai une; peut-être est-elle bonne, peut-être mauvaise.

      MADAME BONARD.—Mais quelle est-elle? Dis toujours.

      BONARD.—Eh bien, je dis que le jeudi est la veille du vendredi.

      MADAME BONARD, riant.—Voilà une idée neuve! nous n'avions pas besoin de toi pour faire cette découverte.

      BONARD.—Oui, mais tu oublies que le vendredi est jour de marché à la ville; qu'on y vend des volailles, et qu'un mauvais sujet a bientôt fait de saisir une dinde, de l'étouffer et de l'emporter.

      MADAME BONARD.—Ça, c'est vrai. Mais comment veux-tu qu'un étranger vienne jusque dans notre cour sans être vu, qu'il ait le temps de courir après les dindes et de faire son choix pour mettre la main sur la plus grasse, la plus belle?

      BONARD.—C'est précisément là que j'ai mon idée: je te la dirai plus tard. Donne-nous à souper en attendant.»

      La femme Bonard regarda son mari avec inquiétude; elle commençait à avoir une crainte vague de l'idée de son mari; elle se sentait troublée. Pourtant elle ne dit rien et commença les préparatifs du souper. Elle posa sur la table une terrine de soupe bien chaude et un plat de petit salé aux choux dont le fumet réjouit le coeur de Julien et lui fit vivement apprécier la bonté de son maître.

      «Sans m'sieur Bonard, pensa-t-il, je n'aurais pas goûté de ces excellents choux et du petit salé, tout ce que j'aime!»

      Frédéric rentra au moment

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