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Mademoiselle de Cérignan. Maurice Sand
Читать онлайн.Название Mademoiselle de Cérignan
Год выпуска 0
isbn 4064066085070
Автор произведения Maurice Sand
Жанр Языкознание
Издательство Bookwire
—Pourquoi m'appelez-vous de Coulanges?
—J'ai ouï dire que votre mère était noble.
—Mais mon père Haudouin ne l'est pas. Il m'a donné les deux noms; je ne les sépare jamais.
—Vous avez bien peur qu'on vous prenne pour un ci-devant! Vous êtes un républicain obstiné, je sais cela; mais vous n'en êtes pas moins un homme de cœur.
—Vous n'en savez rien encore, mademoiselle de Cérignan.
—Pardon, je vous connais beaucoup et depuis longtemps.
—Comment cela?
—Quand vous étiez à Arras, vous avez sauvé de la guillotine une parente à moi[B], mon amie intime, et vous avez failli monter sur l'échafaud à sa place. Elle m'a parlé de vous avec une vive reconnaissance. Ces choses-là ne s'oublient pas, monsieur de Coulanges, pardon, monsieur Haudouin! Croyez bien que les familles nobles ne sont pas toutes vouées à l'ingratitude.
Elle me paraissait très-émue; mais elle changea aussitôt de sujet pour me demander si Louis m'avait parlé. Je lui rapportai les trois mots qu'il m'avait adressés.
—Mon pauvre frère, dit-elle avec un soupir, et non mon fils, je vous prie de le croire, s'ennuie partout, cela tient à son état maladif. J'espère que le climat de l'Égypte lui fera du bien.
—Vous allez en Égypte dans ce seul but?
—Sans doute! Devant le dépérissement de cet enfant et d'après le conseil des médecins, mon père n'a pas hésité à demander à être adjoint à l'expédition en qualité d'administrateur.
—Mais vous ne suivrez pas l'armée au milieu des dangers de toutes sortes qu'elle va affronter? Monsieur votre père n'est plus d'un âge...
—Vous voulez dire qu'il est vieux? Ah! il s'en plaint assez! mais il n'est pas nécessaire qu'il s'expose aux coups et aux fatigues, il restera dans les bureaux.
—Je ne crois pas qu'il y ait beaucoup de bureaux dans le désert.
—On en fera pour moi, dit-elle en souriant.
Et elle rentra chez elle.
Pendant qu'elle parlait, je l'avais bien regardée, et je lui trouvai un grand charme et une rare distinction.
Pour être la mère d'un enfant de treize ans, non! C'était impossible. Elle ne paraissait pas avoir plus que l'âge qu'elle se donnait, et elle avait l'air chaste d'une jeune fille.
La cabotine Sylvie l'avait jugée d'après elle-même.
Le 30 juin, aux derniers rayons du soleil couchant, nous aperçûmes enfin la colonne de Pompée, le phare, la tour des Arabes et les grêles minarets d'Alexandrie.
Bonaparte, craignant que la flotte anglaise, qui cherchait la nôtre et qui avait croisé l'avant-veille sur la côte, ne vînt le surprendre, donna sur-le-champ le signal du débarquement. Malgré une mer furieuse et l'obscurité de la nuit, trois mille hommes d'infanterie gagnèrent la terre, et, sous la conduite des généraux Bonaparte, Kléber, Bon et Menou, s'élancèrent à l'assaut. Après une résistance de six heures, la ville se rendit. Notre armée n'avait perdu que quarante hommes. L'artillerie et la cavalerie à pied ne débarquèrent que le lendemain avec les trois cents chevaux embarqués à Toulon et destinés à former un escadron prêt à tout événement.
Je fus entièrement déçu en voyant ce qu'était devenue Alexandrie, le siége de l'empire des Ptolémées, le centre du commerce de l'Orient et le rendez-vous des poëtes et des savants de l'antiquité. Où sont ses douze mille tours et son mur d'enceinte, ses quatre mille palais, ses quatre mille bains, ses cinq cents théâtres et ses douze mille boutiques? Ils jonchent le sol de leurs débris. La cité antique est un amas de ruines sur lesquelles sont groupées des maisons basses, construites avec de l'argile et de la paille, habitées par une misérable population de fellahs et de juifs. La ville arabe, occupée par les Turcs, les Égyptiens opulents et les commerçants francs, est bâtie sur l'Heptastadion (c'est-à-dire les sept stades, en raison de sa longueur). Cette jetée, construite par Ptolémée Soter pour séparer les deux ports et rattacher le phare à la terre ferme, s'est élargie peu à peu par suite des attérissements, et a aujourd'hui un quart de lieue de large.
Le général en chef s'occupa sur-le-champ de faire réparer le mur d'enceinte des Arabes et ordonna la construction de quelques forts, pour protéger la garnison qui devait rester dans la ville sous le commandement de Kléber; ce général avait été blessé à la tête en montant à l'assaut.
Aller prendre de ses nouvelles était une bonne occasion de renouveler connaissance avec lui. Je le trouvai, la tête enveloppée de linges, et, comme je me réjouissais d'apprendre que sa blessure n'était pas grave:
—Parbleu! c'est Haudouin, s'écria-t-il; touche-là, mon brave! te voilà officier supérieur, très-bien! je ne te félicite pas, moi, d'être venu dans ce pays maudit! c'est un trou à vermine. Si le reste de l'Égypte ressemble à l'échantillon que nous voyons aujourd'hui, il y aura de quoi crever d'ennui et de faim. On était mieux à Mayence!
Je trouvai que Kléber était injuste; à peine arrivé, il blâmait déjà l'expédition. Il faut dire que c'était un peu l'habitude des généraux de l'armée du Rhin de critiquer et de dénigrer ceux de l'armée d'Italie. Kléber surtout, fantasque et frondeur, semblait ne vouloir ni commander, ni obéir. Il obéissait pourtant à Bonaparte, mais en murmurant. Jusque-là, il n'y avait pourtant rien à dire contre les mesures prises par le général en chef, elles étaient sages et habiles.
Il avait mandé près de lui le gouverneur de la ville, les chefs arabes qui n'avaient pas pris la fuite, les imans, les mollahs, le cady, et il les avait confirmés dans leurs emplois et dignités en leur demandant de prêter serment de fidélité à la république française; puis, il fit publier en langue arabe et distribuer aux habitants une proclamation empreinte de la couleur orientale imprimée en pleine mer à bord de l'Orient et dans laquelle il disait n'être venu que pour délivrer l'Égypte de la tyrannie des mameluks. Il leur prouvait que les Français étaient aussi de vrais musulmans; n'avaient-ils pas détruit le pape et les chevaliers de Malte, qui voulaient l'anéantissement des mahométans? Il se disait l'ami du Grand-Turc et l'ennemi de ses ennemis. Il terminait en promettant bonheur, fortune et prospérité à ceux qui seraient avec lui, et menaçait de mort ceux qui s'armeraient pour les mameluks.
Cette proclamation rassura tous les esprits; on admira la clémence du vainqueur, les fugitifs rentrèrent en ville et nous apportèrent des provisions. Quinze des chefs arabes qui, à la tête de leur cavalerie irrégulière avaient combattu contre nous sous les murs d'Alexandrie, s'engagèrent à nous prêter main-forte contre les mameluks.
Je dois dire tout de suite quelle était la situation de l'Égypte quand nous y arrivâmes et par quelles races elle était habitée. Cette exposition est absolument nécessaire à l'intelligence des aventures dont j'entreprends le récit.
Les Cophtes, d'abord au nombre de cent cinquante mille, passent pour les plus anciens habitants du pays. Ils descendent des familles chrétiennes épargnées par les kalifes, et vivent pour la plupart dans les cloîtres. Ceux qui habitent les villes représentent fort mal l'élément chrétien. Ils exercent les plus vils métiers, hommes d'affaires et percepteurs des finances pour le compte des mameluks, pourvoyeurs d'eunuques, etc.
Les Arabes, que l'on doit séparer en trois classes, forment la masse réelle de la population. Ils descendent des compagnons du prophète qui conquirent l'Égypte sur les Cophtes;