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depuis Bruxelles et que si je le trouvais bon, il augmenterait mon train et serait de ma suite. Je crus qu'il raillait et je lui répondis en plaisantant; mais il ajouta que les chemins étaient si remplis de neige qu'effectivement il lui serait impossible d'aller en poste, qu'il pourrait bien faire sur des chevaux de plus grandes traites que s'il allait en litière, mais que l'honneur de m'accompagner, etc... Enfin, je connus qu'il était fort honnête et qu'il ne démentait point la galanterie naturelle aux cavaliers espagnols; je regardai comme un très-grand secours d'avoir un homme de cette qualité et du pays qui saurait se faire entendre et encore mieux obéir par les muletiers, qui ont des têtes de fer et des âmes de boue.

      Je lui dis que j'étais fort aise de l'avoir rencontré et que les fatigues du chemin me seraient bien adoucies par une aussi bonne compagnie que la sienne. Il commanda aussitôt son gentilhomme d'aller chercher une litière pour lui. Il était déjà tard, il prit congé de moi et je me couchai après avoir fort bien soupé; car, ma chère cousine, je ne suis pas une héroïne de roman, qui ne mange point.

      «Je commençais à peine à m'endormir, lorsque j'entendis quelqu'un parler français si proche de moi, que je crus d'abord que c'était dans ma chambre; mais ayant écouté avec plus d'attention, je connus que c'était dans une chambre qui n'était séparée de la mienne que par une cloison d'ais assez mal joints. J'ouvris mon rideau du côté de la ruelle, j'aperçus de la lumière au travers des planches, et je vis deux filles dont la plus âgée paraissait avoir dix-sept à dix-huit ans; ni l'une ni l'autre n'étaient pas de ces beautés sans défauts, mais elles avaient tant d'agréments, le son de la voix si beau et une si grande douceur sur le visage, que j'en fus charmée.

      »La plus jeune, qui semblait continuer la conversation, disait à l'autre: «Non, ma sœur, il n'y a point de remèdes à nos maux, il faut mourir ou les tirer des mains de cet indigne vieillard. Je suis résolue à tout, dit l'autre en poussant un profond soupir, m'en dût-il coûter la vie; qu'avons-nous à ménager? n'avons-nous pas tout sacrifié pour eux? Alors, faisant réflexion sur leurs infortunes, elles s'embrassèrent et se mirent à pleurer fort douloureusement, et après avoir consulté et dit encore quelques paroles dont je perdais la plus grande partie à cause de leurs sanglots, elles conclurent qu'il fallait qu'elles écrivissent; chacune le fit de son côté, et voici à peu près ce qu'elles se lurent l'une à l'autre:

      »Ne juge pas de mon amour et de ma douleur par mes paroles, je n'en sais point t'exprimer l'un et l'autre; mais souviens-toi que tu vas me perdre si tu ne te portes aux dernières extrémités contre celui qui nous persécute.

      »Il vient de me faire dire que si je tarde à partir, il nous fera arrêter. Juge par cet indigne traitement de ce qu'il mérite et souviens-toi que tu me dois tout, puisque tu me dois mon cœur.»

      »Il me semble que l'autre billet était en ces termes:

      «Si je pouvais assurer ton repos en perdant le mien, je t'aime assez pour t'en faire le sacrifice. Oui, je te fuirais si tu pouvais être heureux sans moi, mais je connais trop ton cœur pour t'en croire capable. Cependant tu restes aussi tranquille dans ta prison que si tu me voyais sans cesse; romps tes chaînes sans différer, punis l'ennemi de notre amour, mon cœur en sera la récompense.»

      «Après avoir fermé ces billets, elles sortirent ensemble, et je vous avoue que j'eus de l'inquiétude pour elles et beaucoup d'envie de savoir ce qui pouvait être arrivé à deux si jolies personnes. Cela m'empêcha de me rendormir et j'attendais qu'elles revinssent, quand tout d'un coup, l'on entendit un grand bruit dans la maison. Dans ce moment, je vis un vieillard qui entrait dans cette chambre, suivi de plusieurs valets; il tenait les cheveux d'une de ces belles filles tortillés autour de son bras et la tirait après lui comme une misérable victime; sa sœur n'était pas traitée avec moins de cruauté par ceux qui la menaient. «Perfides, leur disait-il, vous n'êtes pas contentes du tort irréparable que vous faites à mes neveux; vous voulez leur persuader d'être mes bourreaux: si je ne vous avais surprises avec ces billets séducteurs, qu'en pouvait-il arriver? Quelles suites funestes n'aurais-je pas eu lieu d'en craindre? Mais vous me paierez tout pour une bonne fois. Dès que le jour paraîtra, je vous ferai punir comme vous le méritez.»—«Ah! seigneur, dit celle des deux qu'il tenait encore, considérez que nous sommes des filles de qualité et que notre alliance ne peut vous déshonorer; que vos neveux nous ont donné leur foi et reçu la nôtre; que dans un âge si peu avancé nous avons tout quitté pour les suivre; que nous sommes étrangères et abandonnées de tout le monde. Que deviendrons-nous? Nous n'oserions retourner chez nos parents, et si vous voulez nous y contraindre ou nous mettre en prison, donnez-nous plutôt la mort tout d'un coup.» Les larmes qu'elle versait en abondance achevèrent de me toucher sensiblement, et si le vieillard avait été aussi attendri que moi, il leur aurait bientôt rendu le repos et la joie.

      »Mes femmes, qui avaient entendu un si grand bruit et si proche de ma chambre, se levèrent dans la crainte qu'il ne me fût arrivé quelque accident; je leur fis signe de s'approcher doucement et de regarder à travers les planches ce triste spectacle.

      »Nous écoutions ce qu'ils disaient, lorsque deux hommes, l'épée à la main, entrèrent dans ma chambre, dont mes femmes avaient laissé la porte ouverte; ils avaient le désespoir peint sur le visage et la fureur dans les yeux; j'en eus une si grande frayeur, que je ne vous la puis bien exprimer; ils se regardèrent sans rien dire, et ayant entendu la voix du vieillard, ils coururent de ce côté-là.

      »Je ne doutai point que ce fût les deux amants, et c'était eux, en effet, qui entrèrent comme deux lions dans cette chambre; ils inspirèrent une si grande terreur à ces marauds de valets, qu'il n'y en eut aucun qui osât s'approcher de son maître pour le défendre, quand ses neveux s'avancèrent vers lui et lui mirent l'épée sur la gorge. «Barbare, lui dirent-ils, pouvez-vous traiter ainsi des filles de qualité que nous devons épouser? Pour être notre tuteur, avez-vous droit d'être notre tyran? Et n'est-ce pas nous arracher la vie que de nous séparer de ce que nous aimons? Nous pourrions bien à présent vous en faire porter une juste punition, mais nous sommes incapables de nous venger d'un homme de votre âge qui n'est pas en état de se défendre. Donnez-nous votre parole et nous jurez sur ce qu'il y a de plus saint, qu'en reconnaissance de la vie que nous vous laissons, vous contribuerez à notre bonheur et que vous souffrirez que nous exécutions ce que nous avons promis.»

      »Le pauvre vieillard était si transi que les paroles lui mouraient dans la bouche; il jura plus qu'on ne le voulait; il se mit à genoux, il baisa plus de cent fois son pouce mis en croix sur un autre de ses doigts, à la manière d'Espagne. Il leur dit néanmoins qu'en tout ce qu'il avait fait, il n'avait envisagé que leurs propres intérêts; que sans cette vue, il devait lui être fort indifférent qu'ils se mariassent à leur fantaisie, et qu'enfin cela était résolu, qu'il ne s'y opposerait de sa vie. Deux de ses domestiques le prirent sous le bras et l'emportèrent plutôt qu'ils ne lui aidèrent à marcher. Alors les cavaliers se voyant libres, se jetèrent entre les bras de leurs maîtresses; ils se dirent les uns aux autres tout ce que la douleur, l'amour et la joie peuvent inspirer dans de pareilles occasions. Mais, en vérité, il faudrait avoir le cœur aussi touché et aussi content qu'était le leur pour redire toutes ces choses. Elles ne sont propres qu'aux personnes plus tendres que vous ne l'êtes, ma chère cousine; dispensez-moi donc de vous en fatiguer. J'étais si fatiguée moi-même de n'avoir pas encore dormi, que je ne les entendais plus que confusément; mais pour ne plus les entendre du tout, je m'enfonçai dans mon lit et je me couvris la tête de ma couverture.

      »Le lendemain, Don Fernand de Tolède m'envoya des vins de liqueur avec une grande quantité de confitures et d'oranges. Dès qu'il crut que l'on me pouvait voir, il y vint. Après l'avoir remercié de son présent, je lui demandai s'il n'avait rien entendu de ce qui s'était passé pendant la nuit; il me dit que non, parce qu'il était dans un autre corps de logis, mais qu'il en avait déjà appris quelque chose. J'allais lui raconter ce que j'en savais, lorsque notre hôtesse entra dans ma chambre. Elle me venait prier de la part des deux cavaliers qui m'avaient fait si grand'peur, l'épée à la main, de vouloir bien recevoir leurs excuses. Elle me dit aussi que deux demoiselles qui étaient proche de Blaye souhaitaient de me faire la révérence. Je répondis à ces honnêtetés comme je devais, et ils ne tardèrent guère sans venir.

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