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La cour et la ville de Madrid vers la fin du XVIIe siècle. Madame d' Aulnoy
Читать онлайн.Название La cour et la ville de Madrid vers la fin du XVIIe siècle
Год выпуска 0
isbn 4064066082901
Автор произведения Madame d' Aulnoy
Жанр Книги о Путешествиях
Издательство Bookwire
»A peine étaient-ils remis de cette première émotion où le cœur n'écoute que ses mouvements, lorsque le marquis entra dans la chambre. Il vint embrasser Don Louis avec tous les témoignages d'une parfaite amitié; il fut inconsolable quand il apprit qu'il partait pour Naples. Il n'omit rien pour l'en dissuader; il lui montra inutilement toute sa douleur, il ne s'y rendit point; il prit congé de la marquise sur-le-champ et ne la revit plus. Le marquis sortit avec lui, il ne le quitta point jusqu'au moment de son départ. C'était une augmentation de peine pour Don Louis, il aurait bien voulu rester seul pour avoir une entière liberté de s'affliger.
»La marquise fut sensiblement touchée de cette séparation; elle s'était aperçue qu'il l'aimait avant qu'il l'eût bien connu lui-même, et elle lui trouvait un mérite si distingué, qu'à son tour elle l'avait aimé sans le savoir; mais elle ne le sut que trop après son départ. Comme elle sortait d'une grande maladie dont elle n'était pas encore bien remise, ce surcroît de chagrin la fit tomber dans une langueur qui la rendit bientôt méconnaissable; son devoir, sa raison, sa vertu la persécutaient également; elle sentait avec une extrême reconnaissance les bontés de son mari, et elle ne pouvait souffrir qu'avec beaucoup de douleur qu'un autre que lui occupât ses pensées et remplît sa tendresse; elle n'osait plus prononcer le nom de Don Louis; elle ne s'informait jamais de ses nouvelles; elle s'était fait un devoir indispensable de l'oublier. Cette attention qu'elle avait sur elle-même lui faisait souffrir un continuel martyre; elle en fit la confidence à une de ses filles qu'elle aimait chèrement.—Ne suis-je pas bien malheureuse, lui dit-elle? il faut que je souhaite de ne jamais revoir un homme pour lequel je ne suis plus en état d'avoir de l'indifférence; son idée m'est toujours présente; trop ingénieux à me nuire, je crois même le voir en la personne de mon époux; la ressemblance qui est entre eux ne sert qu'à entretenir ma tendresse. Ah! Marianne, il faut que je meure pour expier ce crime, bien qu'il soit involontaire; il ne me reste que ce moyen de me défaire d'une passion dont je n'ai pu jusqu'ici être maîtresse. Hélas! que n'ai-je point fait pour l'étouffer, cette passion qui ne laisse pas que de m'être chère!» Elle accompagnait ces paroles de mille soupirs; elle fondait en larmes, et bien que cette fille eût de l'esprit et beaucoup d'attachement pour sa maîtresse, elle ne pouvait lui rien dire qui fût capable de la consoler.
»Cependant le marquis reprochait tous les jours à sa femme son indifférence pour Don Louis. «Je ne puis souffrir, lui disait-il, que vous ne pensiez plus à l'homme du monde que j'aime davantage et qui avait pour vous tant de complaisance et tant d'amitié. Je vous avoue que c'est une espèce de dureté qui fait mal juger de la bonté de votre cœur; mais convenez au moins, Madame, qu'il n'était pas encore parti que vous l'aviez déjà oublié.—De quoi lui servirait mon souvenir? disait la marquise avec une langueur charmante; ne voyez-vous point qu'il nous fuit? Ne serait-il pas encore avec nous s'il nous avait véritablement aimés? Croyez-moi, Seigneur, il mérite un peu qu'on l'abandonne à son tour.» Tout ce qu'elle pouvait dire ne rebuta point le marquis; il la persécutait sans cesse pour qu'elle écrivît à Don Louis de revenir. Un jour, entre autres, qu'elle était entrée dans son cabinet pour lui parler de quelques affaires, elle le trouva occupé à lire une lettre de Don Louis qu'il venait de recevoir.
»Elle voulut se retirer, mais il prit ce moment pour l'obliger de faire ce qu'il souhaitait. Il lui dit fort sérieusement, qu'il ne pouvait plus supporter l'absence de son cousin; qu'il était résolu de l'aller trouver; qu'il y avait déjà deux ans qu'il était parti sans témoigner aucun désir de revoir son pays et ses amis; qu'il était persuadé qu'il aurait plus de déférence pour ses prières que pour les siennes; qu'il la conjurait de lui écrire, et qu'enfin elle pouvait choisir ou de lui donner cette satisfaction ou de se résoudre à le voir partir pour Naples, où Don Louis devait faire quelque séjour. Elle demeura surprise et embarrassée de cette proposition; mais connaissant qu'il attendait avec une extrême inquiétude qu'elle se fût déterminée: «Que voulez-vous que je lui mande, Seigneur? lui dit-elle d'un air triste. Dictez-moi cette lettre, je l'écrirai; c'est tout ce que je puis, et je crois même que c'est plus que je ne dois.» Le marquis, transporté de joie, l'embrassa tendrement; il la remercia de sa complaisance et lui fit écrire ces paroles devant lui:
«Si vous avez de l'amitié pour nous, ne différez pas votre retour, j'ai des raisons pressantes pour le souhaiter; je vous veux du mal que vous songiez si peu à revenir, et c'est payer les sentiments que l'on a pour vous d'une indifférence qui n'est pas ordinaire. Revenez, Don Louis, je le souhaite, je vous en prie, et s'il m'était permis de me servir de termes plus pressants, je dirais peut-être que je vous l'ordonne.»
»Le marquis fit un paquet seul de cette fatale lettre, afin que Don Louis ne pût croire que c'était par son ordre que la marquise la lui avait écrite; et l'ayant envoyé au courrier, il en attendait le succès avec une impatience qui n'est pas concevable. Que devint cet amant à la vue d'un ordre si cher et si peu espéré? Bien qu'il eût remarqué des dispositions de tendresse dans les regards de cette belle personne, il n'aurait osé se promettre qu'elle eût souhaité son retour, sa raison se révoltait contre sa joie. «Que je suis malheureux! disait-il; j'adore la plus aimable de toutes les femmes et je n'ose lui vouloir plaire; elle a de la bonté pour moi; l'honneur et l'amitié me défendent d'en profiter. Que ferai-je donc, ô ciel! que ferai-je? Je m'étais flatté que l'absence me pourrait guérir; hélas! c'est un remède que j'ai tenté inutilement; je n'ai jamais jeté les yeux sur son portrait, que je ne me sois trouvé plus amoureux et plus misérable que lorsque je la voyais tous les jours. Il faut lui obéir: elle ordonne mon retour, elle veut bien me revoir et elle ne peut ignorer ma passion. Lorsque je pris congé d'elle, mes yeux lui déclarèrent le secret de mon cœur, et quand je me souviens de ce que je vis dans les siens en ce moment, toutes mes réflexions deviennent inutiles, et je me résous plutôt à mourir à ses pieds que de vivre éloigné d'elle.»
»Il partit sans différer d'un seul jour et sans dire adieu à ses amis; il laissa un gentilhomme pour l'excuser auprès d'eux et pour régler ses affaires. Il avait tant d'empressement de revoir la marquise, qu'il fit, pour se rendre auprès d'elle, une diligence que personne que lui n'aurait pu faire. En arrivant à Cagliari, capitale de la Sardaigne, il apprit que le marquis et sa femme étaient à une magnifique maison de campagne, où le vice-roi les était allé voir avec toute sa cour. Il sut encore que le marquis de Barbaran lui préparait une grande fête où il se devait faire une course de cañas, à l'ancienne manière des Maures. Il était le tenant et devait soutenir avec sa quadrille: qu'un mari aimé est plus heureux