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s'y dégorge, la mer y remonte fort haut et les grandes barques viennent commodément dans le quai. On dit que les matelots en sont très-habiles à la pêche de la baleine et de la morue. On nous y fit fort bonne chère et telle que la table était couverte de pyramides de gibier; mais les lits ne répondaient point à cette bonne chère, il leur manque des matelas; ils mettent deux ou trois lits de plumes de coq les uns sur les autres, et les plumes sortant de tous les côtés font fort mal passer le temps. Je croyais, lorsqu'il fallut payer, que l'on m'allait demander beaucoup; mais ils ne me demandèrent qu'un demi-louis, et assurément il m'en aurait coûté plus de cinq pistoles à Paris.

      La situation de Saint-Jean de Luz est extrêmement agréable. On trouve dans la grande place une belle église bâtie à la moderne. L'on passe en ce lieu la rivière de Nivelle sur un pont de bois d'une extraordinaire longueur. Il y a là des péagers qui font payer le droit des marchandises et des bardes que l'on porte avec soi. Ce droit n'est réglé que par leur volonté, et il est excessif quand ils voient des étrangers. Je me tuais de parler français et de protester que je n'étais pas Espagnole, ils feignaient de ne me pas entendre, ils me riaient au nez: et s'enfonçant la tête dans leurs capes de Béarn, il me semblait voir des voleurs déguisés en capucins. Enfin, ils me taxèrent à dix-huit écus; ils trouvaient que c'était grand marché, et pour moi je trouvais bien le contraire: mais je vous l'ai déjà dit, ma chère cousine, quand on voyage en ce pays-ci, il faut faire provision de bonne heure de patience et d'argent.

      Je vis le château d'Artois qui paraît assez fort; et un peu plus loin Orognes, où l'on ne parle que biscayen, sans se servir de la langue française ni de l'espagnole. Je n'avais dessein que d'aller coucher à Irun, qui n'est éloigné de Saint-Jean de Luz que de trois petites lieues, et j'étais partie après midi. Mais la dispute que nous avions eue avec les gardes du pont, la peine que nous eûmes à passer les montagnes de Béobie, et le mauvais temps joint à d'autres petits embarras qui survinrent, furent cause que nous n'arrivâmes qu'à la nuit au bord de la rivière de Bidassoa qui sépare la France de l'Espagne. Je remarquai le long du chemin, depuis Bayonne jusque-là, des petits chariots sur lesquels on met toutes les choses que l'on transporte; il n'y a que deux roues qui sont de fer, et le bruit en est si grand, qu'on les entend d'un quart de lieue lorsqu'il y en a plusieurs ensemble, ce qui arrive toujours, car on en rencontre soixante et quatre-vingts à la fois[2]. Ce sont des bœufs qui les traînent. J'en ai vu de pareils dans les landes de Bordeaux, et particulièrement du côté de Dax.

      La rivière de Bidassoa est d'ordinaire fort petite: mais les neiges fondues l'avaient grossie à tel point, que nous n'eûmes pas peu de peine à la passer, les uns en bateau et les autres à la nage sur leurs mulets. Il faisait un grand clair de lune, à la faveur duquel on me fit remarquer à main droite l'île de la Conférence, où s'est fait le mariage de notre roi avec Marie-Thérèse, infante d'Espagne. Je vis peu après la forteresse de Fontarabie qui est au Roi d'Espagne; elle est à l'embouchure de cette petite rivière. Le flux et le reflux de la mer y entrent. Nos rois prétendaient autrefois qu'elle leur appartenait, et ceux d'Espagne le prétendaient aussi; il y a eu de si grandes contestations là-dessus, particulièrement entre les habitants de Fontarabie et ceux d'Andaye, qu'ils en sont venus plusieurs fois aux mains. Cette raison obligea Louis XII et Ferdinand de régler qu'elle serait commune aux deux nations. Les Français et les Espagnols partagent les droits de la barque; ces derniers tirent le payement de ceux qui passent en Espagne, et les premiers le reçoivent de ceux qui vont en France, mais des deux côtés l'on rançonne également.

      La guerre n'empêche point le commerce sur cette frontière; il est vrai que c'est une nécessité dont leur vie dépend; ils mourraient de misère, s'ils ne s'entr'assistaient[3]. Ce pays appelé la Biscaye est plein de hautes montagnes, où l'on trouve beaucoup de mines de fer. Les Biscayens grimpent sur les rochers aussi vite et avec autant de légèreté que ferait un cerf. Leur langue (si l'on peut appeler langue un tel baragouin) est si pauvre, qu'un même mot signifie plusieurs choses. Il n'y a que les naturels du pays qui se puissent entendre; l'on m'a dit qu'afin qu'elle leur soit plus particulière, ils ne s'en servent pas pour écrire; ils font apprendre à leurs enfants à lire et à écrire en français ou espagnol, selon le roi duquel ils sont sujets[4]. Il est vrai qu'aussitôt que j'eus passé la petite rivière de Bidassoa, on ne m'entendait plus à moins que je ne parlasse castillan; et ce qui est de singulier, c'est qu'un demi-quart d'heure auparavant on ne m'aurait pas entendue si je n'avais parlé français.

      Je trouvai de l'autre côté de cette rivière un banquier de Saint-Sébastien à qui j'étais recommandée; il m'attendait avec deux de ses parents. Les uns et les autres étaient vêtus à la Schomberg, c'est proprement à la manière de France, mais d'une manière ridicule; les justaucorps sont courts et larges, les manches ne passent pas le coude et sont ouvertes par devant; celles de leurs chemises sont si amples, qu'elles tombent plus bas que le justaucorps. Ils ont des rabats sans avoir de collets au pourpoint, des perruques où il y a plus de cheveux qu'il n'en faut pour en faire quatre autres bien faites, et ces cheveux sont plus frisés que du crin bouilli; l'on ne peut voir des gens plus mal coiffés. Ceux qui ont leurs cheveux les portent fort longs et fort plats; ils les séparent sur le côté de la tête, et en passent une partie derrière les oreilles: mais quelles oreilles, bon Dieu! je ne crois pas que celles de Midas fussent plus grandes, et je suis persuadée que, pour les allonger, ils se les tirent étant encore petits; ils y trouvent sans doute quelque sorte de beauté.

      Mes trois Espagnols me firent en mauvais français de très-grands et très-ennuyeux compliments. Nous passâmes le bourg de Tran, qui est à peu près à un quart de lieue de la rivière, et nous arrivâmes ensuite à Irun, qui en est éloigné d'un autre quart de lieue. Cette petite ville est la première d'Espagne que l'on trouve en sortant de France. Elle est mal bâtie. Les rues en sont inégales, et il n'y a rien dont on puisse parler. Nous entrâmes dans l'hôtellerie par l'écurie, où donne le pied du degré par où l'on monte à la chambre: c'est l'usage du pays. Je trouvai cette maison fort éclairée par une quantité de chandelles qui n'étaient guère plus grosses que des allumettes; il y en avait bien quarante dans ma chambre, attachées sur des petits morceaux de bois; l'on avait mis au milieu un brasier plein de noyaux d'olives en charbon pour ne pas faire mal à la tête.

      L'on me servit un grand souper que les galants Espagnols m'avaient fait préparer; mais tout était si plein d'ail, de safran et d'épice, que je ne pus manger de rien; et j'aurais fait fort mauvaise chère si mon cuisinier ne m'eût accommodé un petit ragoût de ce qu'il put trouver le plus tôt prêt.

      Comme je ne voulais aller le lendemain qu'à Saint-Sébastien, qui n'est éloigné que de sept à huit lieues, je crus que je devais dîner avant que de partir. J'étais encore à table, lorsqu'une de mes femmes m'apporta ma montre pour la monter à midi, comme c'était ma coutume; c'était une montre d'Angleterre de Tampion, qui me rappelait les heures et qui me coûtait cinquante louis. Mon banquier, qui était auprès de moi, me témoigna quelque envie de la voir; je la lui donnai avec la civilité que l'on a d'ordinaire, lorsque l'on présente ces sortes de choses; c'en fut assez: mon homme se lève, me fait une profonde révérence et me dit «qu'il ne méritait pas un présent si considérable; mais qu'une dame comme moi n'en pouvait faire d'autre; qu'il m'engageait sa foi et sa parole qu'il garderait ma montre toute sa vie et qu'il m'en avait la dernière obligation». Il la baisa en achevant ce beau compliment, et l'enfonça dans une poche plus creuse qu'une besace. Vous m'allez trouver bien sotte de ne rien dire à tout cela; j'en tombe d'accord, mais je vous avoue que je demeurai si surprise de son procédé, que la montre avait déjà disparu avant que je pusse bien déterminer ce que je voulais faire. Mes femmes et ceux de mes gens qui se trouvèrent présents me regardaient, je les regardais aussi, toute rouge de honte et de chagrin d'être prise pour dupe. Je ne l'aurais pas été longtemps; car, grâce à Dieu, je sais fort bien comme on refuse ce que l'on ne veut pas donner, mais je fis réflexion que cet homme devait me compter une grosse somme pour achever mon voyage et pour renvoyer de l'argent à Bordeaux où j'en avais pris; que j'avais des lettres de crédit pour lui, sur lesquelles, en cas de fâcheries, il pouvait me faire attendre et dépenser deux fois la valeur de la montre. Enfin, je la lui laissai, et j'essayai de me faire honneur d'une chose qui me faisait grand dépit.

      J'ai su depuis cette petite aventure que c'est la mode

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