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mille lieues qui vous arrête? Mais songez que l'humanité terrestre est jeune sur son globe et, si vous tenez compte de la marche constante du progrès, vous admettrez bien qu'un jour la science et l'industrie fourniront à nos descendants le procédé véritable d'abandonner notre mondicule pour visiter, non seulement la lune—qui sera tôt envahie par des légions d'émigrants,—mais encore le système solaire tout entier. Le vieillard s'était levé et, debout devant Gontran ébahi, il parlait d'une voix vibrante, comme inspiré.

      —Et ce jour-là, ajouta-t-il d'un ton mystérieux, ce jour-là luira peut-être plus tôt qu'on ne pense.

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      D'un pas rapide, Ossipoff alla à sa bibliothèque, l'ouvrit, et, étendant la main vers les volumes empilés sur les rayons:

      —Je possède, dit-il, tous les voyages imaginaires écrits depuis l'antiquité et qui ont les astres pour objet, et il semble que la lune ait été le rendez-vous de tous les conteurs et de tous les pseudo-voyageurs... Voici, par exemple, l'Histoire véritable écrite par Lucien de Samosate, cinq cents ans avant notre ère; la Face qu'on voit dans la lune, de Plutarque; l'Homme dans la lune, de Goodwin, un Anglais qui imagine de se faire traîner jusqu'à notre planète par un attelage de grands cygnes... Si nous arrivons à ce que j'appellerai la période moderne, je vous citerai entre autres ouvrages: l'Histoire des États et Empires de la Lune et du Soleil, de l'un de vos compatriotes, Cyrano de Bergerac; Les Découvertes dans la lune, de l'Américain Locke; les Voyages à la lune, d'Edgard Poë, du docteur Cathelineau, et bien d'autres encore qu'il est inutile de vous citer, mais qui sont là, côte à côte, se reposant des nombreuses fatigues auxquelles je les ai soumis... Chaque voyageur, poussé par son imagination, a adopté un mode particulier de locomotion... mais il faut avouer qu'ils sont tous le moins scientifiques possible.

      Le comte de Flammermont, qui avait religieusement écouté cette longue tirade, la voyant finie, se leva.

      —Monsieur Ossipoff, dit-il d'un ton grave, je désirerais vous poser une question.

      —Parlez.

      —Le charme de votre conversation est tel, monsieur, dit le jeune homme, et j'éprouve un tel contentement à entendre discuter des sujets que vous avez bien voulu effleurer devant moi, que j'avais totalement oublié le but de ma visite. C'est là un crime de lèse-galanterie dont je demande pardon à mademoiselle Séléna...

      Et, s'inclinant sérieusement devant le vieillard:

      —Monsieur Ossipoff, dit-il d'une voix grave, j'ai l'honneur...

      Le savant étendit la main.

      —Je sais, je sais, fit-il, mais nous ferons de cela, si vous voulez bien, l'objet d'un entretien particulier... après le thé, car vous prendrez bien le thé avec nous?

      Et sans attendre la réponse du jeune homme, Mickhaïl Ossipoff fit un signe à Séléna.

      Celle-ci se leva, prit le samovar qui fumait en ronronnant sur le poêle et versa le liquide ambré et odorant dans trois tasses de fine porcelaine du Japon.

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      Puis, s'approchant, une tasse à la main, de Gontran, qui la suivait de l'œil, muet et comme en extase, elle murmura:

      —Ne restez point ainsi sans rien dire, n'attendez pas que mon père vous pose une question embarrassante... allez au-devant.

      Fort embarrassé, Gontran réfléchit quelques instants, puis, enfin, après avoir absorbé gravement une gorgée de thé, il dit non sans une certaine désinvolture:

      —Mon Dieu! du moment que certains considèrent la lune comme un monde habitable pour des hommes de même espèce que nous, il est tout naturel qu'elle ait toujours été l'objet des rêves et des aspirations des voyageurs célestes.

      Ce qui m'étonne, c'est qu'on n'ait point plutôt pensé à visiter les étoiles mystérieuses qui scintillent si poétiquement dans la nuit transparente.

      Ossipoff sursauta sur son siège et Séléna se mordit les lèvres.

      Gontran, lui, inconscient de ce qu'il venait de dire, promenait ses regards de l'un à l'autre, cherchant à deviner sur leur visage l'énormité de ses paroles.

      —Si vous réfléchissiez, répliqua le vieillard d'un ton quelque peu dédaigneux, et si vous revoyiez, par la pensée, les distances colossales où gravitent,—je ne parle pas des étoiles,—mais les planètes du système solaire, vous comprendriez la difficulté d'aller jusque dans ces mondes lointains... et d'abord la lune, qui tourne en vingt-sept jours et demi autour de nous est la première étape, la première station d'un voyage céleste.

      Le comte de Flammermont, tout penaud, baissait la tête, fixant avec obstination la peau d'ours qui couvrait le plancher, comme s'il eût espéré y trouver une idée géniale.

      —Eh! parbleu! monsieur Ossipoff, fit-il, je n'ignore pas les distances immenses qui séparent les astres du ciel et la disposition de l'univers n'a, comme bien vous pensez, rien d'inconnu pour moi.

      Et il ajouta d'un ton emphatique, en se penchant un peu en arrière pour mieux saisir ce que Séléna lui chuchotait tout bas à l'oreille:

      —Qui ne sait que le soleil est immobile au centre de notre système et qu'il soutient les mondes sur le puissant réseau de son attraction!

      Et s'emballant devant les hochements de tête approbateurs d'Ossipoff, sentant la nécessité de faire disparaître complètement la mauvaise impression produite par la malencontreuse phrase de tout à l'heure, il poursuivit:

      —Ces mondes... ces mondes... c'est d'abord...

      —C'est d'abord?... demanda le vieillard.

      —Ces mondes, répéta Gontran en se penchant en arrière à perdre équilibre, c'est d'abord...

      Mais Séléna demeurant muette,—pour quelle cause il l'ignorait,—il ne pouvait faire autrement que de l'imiter.

      Surpris de ce silence, Ossipoff regardait le jeune homme, assailli tout à coup par des doutes touchant les connaissances cosmographiques de celui qui aspirait à devenir son gendre.

      —Eh bien! demanda-t-il avec une sorte d'étonnement impatienté... ces mondes...

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      Le comte de Flammermont tressaillit comme sortant d'un rêve et répondit en désignant Séléna qui s'approchait de son père, une tasse de thé à la main:

      —Excusez-moi, mon cher monsieur Ossipoff, si je suis descendu de l'immensité où je m'étais élevé avec vous; mais n'ai-je point sous les yeux ici même, chez vous, une image des phénomènes célestes: cette étoile de beauté gravitant autour de ce soleil de science!

      La jeune fille devint toute rose de contentement; quant à Ossipoff, son front se dérida et, flatté dans son amour paternel et dans son orgueil de savant, il adressa à Gontran un regard reconnaissant.

      Par une habile manœuvre, la jeune fille était passée derrière le fauteuil de son père sur lequel elle s'accouda quelques secondes.

      —Mais, pour en revenir à notre conversation, reprit le vieillard, vous disiez donc?

      Le corps ployé en deux, les coudes sur les genoux, il avait plongé la tête dans ses mains, les yeux fermés, concentrant toute son attention sur ce qu'allait répondre Gontran.

      Celui-ci haussait désespérément les épaules en regardant Séléna.

      Soudain celle-ci sourit radieusement, comme si une idée géniale lui eût subitement traversé l'esprit. Sans bruit, elle s'écarta du fauteuil, se retourna vers le mur que couvrait un immense tableau noir

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