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ne doit rien renier d'un tel passé. L'histoire d'un pareil souverain ne saurait que lui inspirer des idées hautes, des sentiments dignes d'elle et de lui. Il lutta jusqu'au bout contre les puissances coalisées, et quand on prononçait en Europe ce mot unique: le roi, chacun savait de quel monarque il s'agissait. Ah! cette statue est bien l'image de l'homme habitué à vaincre, à dominer et à régner, du potentat qui triomphait de la rébellion avec un regard mieux que Richelieu avec la hache.

      Laissons les coryphées de l'école révolutionnaire chercher en vain à dégrader ce bronze impérissable. La boue qu'ils voudraient jeter au monument n'atteindra pas même le piédestal. Dans cette nuit où les canons de la Commune répondaient à ceux du Mont-Valérien, la statue me semblait plus imposante que jamais. On eût dit qu'elle s'animait, comme celle du Commandeur. Le geste avait quelque chose de plus fier et de plus impérieux que dans les époques moins troublées. Son bâton de commandement à la main, le Grand Roi, dont le regard est tourné du côté de Paris, semblait dire à la ville insurgée, comme le convive de marbre à don Juan: «Repens-toi.»

      III

       Table des matières

      La profonde impression que Versailles m'avait produite pendant les jours de la Commune est loin de s'être affaiblie depuis ce moment. Des circonstances bien imprévues ont fait occuper les appartements de la reine par la direction politique du ministère des Affaires étrangères. Ma modeste table de travail a été, une année, placée au bout de la salle du Grand-Couvert, en face du tableau qui représente le doge Imperiali s'humiliant devant Louis XIV, et j'ai eu le temps de réfléchir sur les péripéties étranges, sur les caprices du sort, par suite desquels les employés du ministère dont je fais partie étaient, pour ainsi dire, campés au milieu de ces salles légendaires.

      Les cinq pièces qui composent l'appartement de la reine ont toutes une importance historique. A chacune se rattachent les plus curieux souvenirs. Vous montez l'escalier de marbre. A droite est la salle des gardes de la reine. C'est là que, le 6 octobre 1789, à 6 heures du matin, les gardes du corps, victimes de la fureur populaire, défendirent avec tant de courage, contre une bande d'assassins, l'entrée de l'appartement de Marie-Antoinette. La salle suivante est celle du Grand-Couvert. C'est là que les reines dînaient solennellement, en compagnie des rois; ces festins d'apparat avaient lieu plusieurs fois par semaine, et le peuple était admis à les contempler. Non seulement comme reine, mais déjà comme dauphine, Marie-Antoinette se soumit à cette bizarre coutume. «Le dauphin dînait avec elle, nous dit Mme Campan dans ses Mémoires, et chaque ménage de la famille royale avait tous les jours son dîner public. Les huissiers laissaient entrer tous les gens proprement mis. Ce spectacle faisait le bonheur des provinciaux. A l'heure des dîners, on ne rencontrait dans les escaliers que de braves gens qui, après avoir vu la dauphine manger sa soupe, allaient voir les princes manger leur bouilli et qui couraient ensuite, à perte d'haleine, pour aller voir Mesdames manger leur dessert.»

      Après la salle du Grand-Couvert est le salon de la Reine. Le cercle de la souveraine se tenait dans cette pièce, où l'on faisait les présentations. Son siège était placé au fond de la salle, sur une estrade couverte d'un dais dont on voit encore les pitons d'attache dans la corniche en face des fenêtres. C'est là que brillèrent les beautés célèbres de la cour de Louis XIV, avant que le roi allât s'emprisonner dans les appartements de Mme de Maintenon. C'est là que le président Hénault et le duc de Luynes venaient sans cesse causer avec cette aimable et bonne Marie Leczinska, en qui chacun se plaisait à reconnaître les vertus d'une bourgeoise, les manières d'une grande dame, la dignité d'une reine. C'est là que Marie-Antoinette, la souveraine à la taille de nymphe, à la marche de déesse, à l'aspect doux et fier digne de la fille des Césars, recevait, avec cet air royal de protection et de bienveillance, avec ce prestige enchanteur dont les étrangers emportaient le souvenir à travers l'Europe comme un éblouissement.

      La pièce suivante est, de toutes, celle qui évoque le plus de souvenirs. C'est la chambre à coucher de la reine, la chambre où sont mortes deux souveraines: Marie-Thérèse et Marie Leczinska; deux dauphines: la dauphine de Bavière et la duchesse de Bourgogne;--la chambre où sont nés dix-neuf princes et princesses du sang, et parmi eux deux rois, Philippe V, roi d'Espagne, et Louis XV, roi de France;--la chambre qui, pendant plus d'un siècle, a vu les grandes joies et les suprêmes douleurs de l'ancienne monarchie.

      Cette chambre a été occupée par six femmes: d'abord par la vertueuse Marie-Thérèse, qui s'y installa le 6 mai 1682, et y rendit le dernier soupir, le 30 juillet de l'année suivante;--ensuite par la femme du Grand Dauphin, la dauphine de Bavière, qui y mourut le 20 avril 1690, à l'âge de vingt-neuf ans; puis par la charmante duchesse de Bourgogne, qui s'y établit dès son arrivée à Versailles, le 8 novembre 1696, y mit au monde trois princes, dont le dernier seul vécut et régna sous le nom de Louis XV, et y mourut le 12 février 1712, à l'âge de vingt-six ans;--puis par cette infante d'Espagne, Marie-Anne-Victoire, qui était fiancée avec le jeune roi de France, et qui demeura là, depuis le mois de juin 1722 jusqu'au mois d'avril 1725, époque où le mariage projeté fut rompu;--ensuite par la pieuse Marie Leczincka, qui s'installa dans cette chambre le 1er décembre 1725, y donna naissance à ses dix enfants, y habita pendant un règne de quarante-trois ans, y mourut le 24 juin 1768, entourée de la vénération universelle;--enfin par la plus poétique des femmes, par celle qui résume en elle les triomphes et les humiliations, les joies et les douleurs, par celle dont le nom seul inspire l'attendrissement et le respect, par Marie-Antoinette. C'est là que vinrent au monde ses quatre enfants et qu'elle faillit mourir à la naissance de sa première fille, la future duchesse d'Angoulême. Une antique et bizarre étiquette autorisait le peuple à s'introduire, en pareil cas, dans le palais des rois. La galerie des Glaces, les salons, l'oeil-de-Boeuf, la chambre de la reine, étaient envahis par la foule. Marie-Antoinette, manquant d'air respirable, perdit connaissance pendant trois quarts d'heure. Quand elle revint à elle, Louis XVI lui présenta la princesse qui venait de naître:

      «Pauvre petite, dit-elle, vous n'étiez pas désirée, mais vous n'en serez pas moins chère. Un fils eût plus particulièrement appartenu à l'État; vous serez à moi, vous aurez tous mes soins, vous partagerez mon bonheur et vous adoucirez mes peines.»

      Ce fut là aussi que virent le jour les deux fils du roi et de la reine martyrs: l'un, né le 22 octobre 1781, mort le 4 juin 1789; l'autre, né le 27 mars 1785, connu sous le nom de duc de Normandie, et qui devait plus tard s'appeler Louis XVII.

      Dans cette chambre mémorable à tant de titres, commença l'agonie de la royauté française. Marie-Antoinette y dormait le matin du 6 octobre 1789, quand elle fut réveillée par l'insurrection. Au fond de la chambre, dans le panneau où est actuellement le portrait de la reine par Mme Lebrun, une petite porte conduisait aux appartements du roi. C'est par là que la malheureuse souveraine s'échappa pour aller chercher un refuge auprès de Louis XVI, pendant que les émeutiers assassinaient les gardes du corps. Quelques instants après elle quittait Versailles, qu'elle ne devait jamais revoir. Depuis lors, aucune femme n'occupa les appartements de la reine. Le théâtre subsiste, les décors sont à peine modifiés; mais il faut faire sortir de la poussière du temps les acteurs, les actrices surtout.

      L'année que j'ai passée dans ces salles encore si pleines de leur souvenir m'a donné la première idée du travail que je publie aujourd'hui. Que de fois j'ai cru apercevoir, comme autant de gracieux fantômes, les femmes illustres qui ont aimé, qui ont souffert, qui ont pleuré dans ce séjour! Je voudrais me rendre un compte minutieux du rôle qu'elles y ont joué, mentionner avec précision les appartements qu'elles ont habités, montrer en détail l'existence qu'elles menaient, indiquer, pour nous servir d'une expression de Saint-Simon, ce qu'on pourrait appeler la mécanique de la vie de la cour.

      Je veux essayer l'histoire du château de Versailles lui-même par les femmes qui l'ont habité depuis 1682, époque où Louis XIV y fixa sa résidence, jusqu'au 6 octobre 1789, jour fatal où Louis XVI et Marie-Antoinette le quittèrent sans retour. Le sanctuaire de la monarchie absolue devait être également son tombeau.

      Ni les

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