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et que tu as ma tante, nous sommes absolument de même pour tout. Je me trouve heureux, et toi tu te plains de tout.

      JEANNOT.

      Nous ne sommes pas de même; ainsi tu as je ne sais combien d'argent, et moi je n'ai que deux francs.

      JEAN.

      Si ton malheur ne tient qu'à ça, je vais bien vite te le faire passer, car je vais partager avec toi.

      JEANNOT, un peu honteux.

      Non, non, je ne dis pas cela; ce n'est pas ce que je te demande ni ce que je voulais.

      JEAN.

      Mais, moi, c'est ce que je demande et c'est ce que je veux. Nous faisons route ensemble; nous arriverons ensemble et nous resterons ensemble: il est juste que nous profitions ensemble de la bonté de nos amis.»

      Et, sans plus attendre, Jean tira de sa poche la vieille bourse en cuir toute rapiécée qu'y avait mise sa mère, s'assit à la porte de la chapelle, fit asseoir Jeannot près de lui, vida la bourse dans sa main et commença le partage.

      «Un franc pour toi, un franc pour moi.»

      Il continua ainsi jusqu'à ce qu'il eût versé dans les mains de Jeannot la moitié de son trésor, qui montait à huit francs vingt-cinq centimes pour chacun d'eux.

      Jeannot remercia son cousin avec un peu de confusion; il prit l'argent, le mit dans sa poche.

      «J'ai deux francs de plus que toi, dit-il.

      JEAN.

      Comment cela? J'ai partagé bien exactement.

      JEANNOT.

      Parce que j'avais deux francs que m'a donnés le curé.

      JEAN.

      Ah! c'est vrai! Te voilà donc plus riche que moi. Tu vois bien que tu n'es pas si malheureux que tu le disais.

      JEANNOT.

      Je n'en sais rien. J'ai du guignon. Un voleur viendra peut-être m'enlever tout ce que j'ai.

      —Tu ne croyais pas être si bon prophète», dit une grosse voix derrière les enfants.

      Les enfants se retournèrent et virent un homme jeune, de grande taille, aux robustes épaules, à la barbe et aux favoris noirs et touffus; il les examinait attentivement.

      Jean sauta sur ses pieds et se trouva en face de l'étranger.

      JEAN.

      Je ne crois pas, monsieur, que vous ayez le coeur de dépouiller deux pauvres garçons obligés de quitter leur mère et leur pays pour aller chercher du pain à Paris, parce que leurs parents n'en ont plus à leur donner.»

      L'étranger ne répondit pas; il continuait à examiner les enfants.

      JEAN.

      Au reste, monsieur, voici tout ce que j'ai: huit francs vingt-cinq centimes que nos amis m'ont donnés pour mon voyage.»

      L'étranger prit l'argent de la main de Jean.

      L'ÉTRANGER.

      Et avec quoi vivras-tu jusqu'à ton arrivée à Paris?

      JEAN.

      Le bon Dieu me donnera de quoi, monsieur, comme il a toujours fait.

      —Et toi, dit l'étranger en se tournant vers Jeannot, qu'as-tu à me donner?

      JEANNOT, tombant à genoux et pleurant.

      Je n'ai rien que ce qu'il me faut tout juste pour ne pas mourir de faim, monsieur. Grâce pour mon pauvre argent! Grâce, au nom de Dieu!

      L'ÉTRANGER.

      Pas de grâce pour l'ingrat, le lâche, l'avide, le jaloux. J'ai tout entendu. Donne vite.»

      L'étranger mit sa main dans la poche de Jeannot, et enleva les dix francs vingt-cinq centimes qui s'y trouvaient. Jeannot se jeta à terre et pleura.

      «Monsieur, dit Jean, touché des larmes de son cousin et un peu ému lui-même de la perte de sa fortune, ayez pitié de lui; rendez-lui son argent.

      L'ÉTRANGER.

      Pourquoi le rendrais-je à lui et pas à toi?

      JEAN.

      Parce que moi j'ai du courage, monsieur; et lui est faible. C'est le bon Dieu qui nous a faits comme ça; ce n'est pas par orgueil que je le dis.

      L'ÉTRANGER.

      Tu es un bon et brave petit garçon, et nous en reparlerons tout à l'heure. Où allez-vous?

      JEAN.

      A Paris, monsieur.

      L'ÉTRANGER.

      C'est donc bien décidé? Et comment y arriverez-vous sans argent?

      —Oh! monsieur, je n'en suis pas inquiet. De même que nous avons eu le malheur de vous rencontrer, de même nous pouvons rencontrer une bonne âme charitable qui nous viendra en aide.»

      L'étranger sourit et ne put s'empêcher de donner une petite tape amicale sur la joue fraîche de Jean.

      L'ÉTRANGER.

      Ton camarade n'en dit pas autant, ce me semble.

      JEAN.

      C'est qu'il est terrifié, monsieur. Il a toujours peur, ce pauvre Jeannot.

      L'ÉTRANGER, avec ironie.

      Ah! il s'appelle Jeannot! Beau nom! Bien porté! Et toi, quel est ton nom?

      JEAN.

      C'est Jean, monsieur.

      L'ÉTRANGER.

      Vrai beau nom, celui-là? Et tu me fais l'effet de devoir faire honneur à tes saints patrons. Allons, Jean et Jeannot, marchons; je vais vous escorter, de peur d'accident. Tiens, mon brave petit Jean, voici tes huit francs vingt-cinq centimes, auxquels j'ajoute vingt francs pour payer ton voyage. Et toi, pleurard, poltron, voici tes dix francs vingt-cinq centimes, auxquels j'ajoute la défense de rien recevoir de Jean. Si j'apprends que tu as encore accepté un partage, tu auras affaire à moi. Suivez-moi tous deux; je veux vous faire déjeuner à Auray, dont nous ne sommes pas éloignés.

      JEAN, les yeux brillants de joie et de reconnaissance.

      Vous avez bien de la bonté, monsieur; je suis bien reconnaissant; je ne sais comment vous remercier, monsieur.

      L'ÉTRANGER.

      En mangeant de bon appétit le déjeuner que je vais te donner, mon petit Jean.

      JEAN.

      Tiens! vous dites comme maman: petit Jean

      Et les yeux de petit Jean se mouillèrent de larmes.

       Table des matières

       Table des matières

      Les enfants suivirent l'étranger, Jean remerciant le bon Dieu et la sainte Vierge de la rencontre d'un si bon, si riche et si généreux voleur, et Jeannot déplorant son guignon et enviant le bonheur de Jean.

      Pendant le trajet d'une lieue qui séparait la chapelle de la ville, l'étranger chercha à faire causer les enfants, Jean surtout lui plaisait

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