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      J'ai peur de votre cheval qui court à tout briser, et puis j'ai peur de vous aussi. Est-ce que je sais qui vous êtes?

      L'HOMME.

      Comment? Polisson, vaurien! J'ai la bonté de te ramasser sur la route, et tu oses me faire entendre que je suis un mauvais garnement, un voleur, un assassin, peut-être. Si ce n'était ton camarade, je te flanquerais dehors et je te laisserais faire ta route à pied.

      JEAN.

      Oh! monsieur, pardonnez-lui! Il ne sait ce qu'il dit quand il a peur. C'est une nature comme ça? Il s'effraye de tout, et tout lui déplaît.

      L'HOMME.

      Pas une nature comme la tienne, alors: tu me fais l'effet d'être un brave garçon.

      JEAN.

      Dame! monsieur, je suis comme le bon Dieu m'a créé et comme maman m'a élevé. Je n'y ai pas de mérite, assurément. Le pauvre Jeannot, monsieur, il est un peu en dessous, un peu timide, parce qu'il a perdu sa mère, qui était ma tante; c'est ça qui l'a aigri.

      L'HOMME.

      Tant pis pour lui. Je ne veux seulement pas le regarder; son visage pleurard n'est pas agréable à l'oeil ni doux au coeur. Et quant à ce que disait ce polisson, qu'il ne savait pas qui j'étais, je m'en vais te le dire, moi. Je suis un fermier d'auprès de Sainte-Anne? je vais à Vannes pour acheter des porcs, et je m'appelle Kersac.

      JEAN.

      Merci, monsieur Kersac; nous sommes heureux de vous avoir rencontré. C'est une journée de route que vous nous avez épargnée.

      KERSAC.

      Je puis faire mieux que ça. Je passe deux heures à Vannes; j'en repars vers cinq heures pour aller à six lieues plus loin, à Malansac. Je puis vous mener jusque-là; ce sera encore une journée de sauvée. Nous serons avant huit heures à Malansac, où je couche; pour le coup, mon cheval aura fait ses douze lieues et bien gagné son avoine.

      JEAN, tout joyeux.

      Merci bien, monsieur. Si nous faisons souvent des rencontres comme celle d'aujourd'hui, nous ne tarderons pas à arriver à Paris.... Remercie donc, Jeannot.

      KERSAC.

      Laisse-le tranquille. Est-ce que j'ai besoin de son remerciement! C'est pour toi, ce que j'en fais; ce n'est pas pour lui.»

      Jean eut beau faire des signes à Jeannot, il n'en put obtenir une parole. Kersac s'apercevait, sans en avoir l'air, du manège de Jean et de son air inquiet: il souriait et s'amusait à exciter les supplications muettes de Jean, en se retournant de temps en temps et en lançant à Jeannot des regards mécontents. Jean croyait découvrir de la colère dans les yeux menaçants de Kersac; il s'efforça de la détourner par des observations aimables sur la beauté du cheval, qui était bon, mais pas beau; ensuite sur la douceur de la carriole, qui les secouait comme un panier à salade; sur les charmes de la route, qui était une plaine aride.

      Plus Kersac s'amusait des efforts visibles du pauvre Jean pour conjurer l'orage qu'il redoutait pour Jeannot, plus ses yeux devenaient terribles, plus ses lèvres se contractaient, plus son front se plissait; ses sourcils se fronçaient; sa bouche prenait un aspect presque féroce; sa main, dégagée des rênes, se crispait. Enfin, il arrêta son cheval et se retourna vers Jeannot. Le visage de Jean exprima la consternation, celui de Jeannot la frayeur.

      Après quelques minutes d'immobilité pendant lesquelles le cheval reprenait haleine, Kersac, voyant la terreur visible de Jeannot et l'inquiétude croissante de Jean, s'adressa au premier d'une voix formidable.

      «Jeannot, tu es un petit gredin! Tu vois les supplications de ton cousin, qui redoute pour toi (ce qui va t'arriver) des coups de fouet. Tu t'entêtes à ne pas lui accorder les excuses qu'il te demande à m'adresser. Je te dis à mon tour que tu vas de suite nous demander pardon de ta maussaderie, ou bien.... Allons, à genoux dans la carriole, et un PARDON bien prononcé.»

      Jeannot ne bougea pas. Kersac leva son fouet; Jean lui demanda grâce pour son cousin; mais Kersac, indigné de l'obstination de Jeannot, lui appliqua un léger coup de fouet sur les épaules. Jeannot poussa un cri, Kersac frappa un second coup. Jeannot n'attendit pas le troisième; il se jeta à genoux et cria Pardon! de toute la force de ses poumons.

      «A la bonne heure! dit Kersac en se remettant en face de son cheval et en le faisant repartir. Et toi, mon pauvre garçon, ajouta-t-il en s'adressant à Jean et en reprenant sa voix calme, ne t'afflige pas. Ce vaurien a besoin d'avoir les épaules un peu caressées par le fouet; tant que nous serons ensemble, je le rendrai docile sinon aimable.»

      Jean ne répondit pas; il avait eu peur pour Jeannot, et il craignait que ce dernier n'excitât encore la colère de Kersac. Quant à Jeannot, il faisait, comme d'habitude, des réflexions douloureuses sur le guignon qui le poursuivait et sur la bonne chance de Jean.

      On arriva ainsi à Vannes. Kersac détela son cheval; Jean lui offrit de le mener à l'écurie, de lui donner son avoine et de le bouchonner.

      KERSAC.

      Tu sais bouchonner un cheval, toi?

      JEAN.

      Je crois bien, monsieur; j'en ai bouchonné plus d'un à l'auberge de Kérantré.

      KERSAC.

      Très bien, mon garçon; tu me rendras service, car je suis pressé d'aller à mes affaires pour les porcs. Attends-moi ici; je serai de retour dans deux heures. Après l'avoine tu feras boire mon cheval.

      JEAN.

      Oui, oui, monsieur, je sais bien; et du foin après avoir bu.

      KERSAC.

      C'est ça! Au revoir.»

      Jean s'empressa de mener le cheval à l'écurie.

      «Allons, Jeannot, dit-il, viens m'aider; tu bouchonneras d'un côté et moi de l'autre.

      JEANNOT.

      Plus souvent que je toucherai au cheval de ce méchant homme. Toi qui es son favori, tu peux l'aider; mais moi, je n'ai pas de remerciements à lui faire.

      JEAN.

      Écoute, mon Jeannot, avoue que tu as été maussade et qu'il n'a pas tapé fort.

      JEANNOT.

      Fort ou non, il a tapé, et il n'avait pas le droit de me taper.

      JEAN.

      Voyons, Jeannot; si ce n'est pas pour lui, fais-le pour moi, pour m'aider.

      JEANNOT.

      Ma foi non, tu es trop ami avec lui.

      JEAN.

      Et comment ne serais-je pas ami avec lui, puis-qu'il nous avance de douze lieues en nous voiturant comme il le fait. C'est bon de sa part, tout de même.

      JEANNOT.

      Qu'est-ce que ça lui coûte de nous laisser monter dans sa voiture?

      JEAN.

      Je ne dis pas, mais c'est tout de même bon à lui, et il y en a beaucoup qui n'y auraient pas pensé.»

      Jean eut beau dire, Jeannot alla s'étendre dans un coin de l'écurie sur un tas de paille, et il laissa son cousin s'occuper tout seul du cheval qui les avait menés si bon train, et qui devait leur faire faire six lieues encore. Quand il eut fini, il alla s'asseoir près de Jeannot.

      JEAN.

      Dis donc, Jeannot, est-ce que tu ne te sens pas besoin de manger?

      JEANNOT.

      Manger et boire aussi.

      JEAN.

      Si nous entamions nos provisions?

      JEANNOT.

      Ce

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