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Janeiro.

      Lennon avait raconté à Darwin que peu de temps avant, un de ses esclaves qui s’était enfui revint apeuré à sa plantation parce que deux de ces chasseurs le poursuivaient et il savait que s’ils le capturaient ils le tueraient.

      Au cours de la même promenade, Lennon emmena Darwin et Earle jusqu’à une pierre qui se projetait comme un balcon au dessus d’un précipice de 300 pieds de hauteur. Il y a quelques temps, un petit groupe d’esclaves échappés s’était installé non loin de là. Ils furent repérés et encerclés par plusieurs chasseurs d’esclaves. Tous se rendirent à l’exception d’une des femmes qui courut jusqu’à cette pierre et sauta dans le vide. Elle avait préféré mourir plutôt que de retourner à l’esclavage.

      — Il y a des histoires déchirantes. — dit Fitz Roy- Je me rappelle que le capitaine Paget du H.M.S. Samarang m’avait raconté qu’il avait demandé à un des esclaves d’une plantation ce qu’il désirait le plus dans la vie. Celui-ci lui avait répondit que son vœu le plus cher était de revoir ses enfants qui avaient été vendus à une autre plantation. L’esclavage nécessite des patrons responsables avec une conscience pour que cela puisse se passer de manière humaine.

      — Même avec des patrons responsables capitaine ! —dit Darwin- Je peux vous dire que Patrick Lennon est un des patrons les plus aimables avec ses esclaves, cependant, ce pouvoir absolu sur la vie des autres personnes fait que le patron perd toute perspective de ce que signifie « conscience et responsabilité ». Une après midi nous étions Earle et moi dans sa plantation et nous avons vu un fait lamentable. Lennon commença à discuter avec son contremaître d’un sujet sans la moindre importance, mais le ton monta jusqu’à ce qu’ils se crient l’un sur l’autre. Alors, Lennon dit au contremaître qu’il vendrait ses deux filles, toutes deux esclaves à la plantation, pour qu’il ne les revoit jamais plus. Avec Earle, nous réussîmes à calmer les deux hommes mais le lendemain Lennon insista pour vendre les deux filles pour échauder le contremaître. Finalement nous l’avons convaincu de ne pas le faire mais je suis sûr qu’il n’attendait que notre départ pour les vendre.

      — Mon cher Darwin, évidemment je ne suis pas en faveur de l’esclavage, cependant il faut tenir compte du fait que cela existe depuis des millénaires. On le mentionnait déjà dans la Bible, cela existait dans la Rome antique, et en Angleterre le régime de servitude au Moyen Age n’était pas très différent de l’esclavage. Bien que je sois fier que l’esclavage n’existe pas au Royaume Uni, on ne peut nier que cela fonctionne convenablement dans plusieurs pays comme les Etats-Unis d’Amérique par exemple ou dans l’empire du Brésil que nous venons de voir. Dans les deux cas, il s’agit de sociétés à chaque fois plus justes avec une économie puissante.

      — Comment pouvez vous me dire une chose pareille, capitaine ! Vous ne pouvez pas parler de société juste, alors qu’il y a des personnes que l’on peut tuer, vendre, voiler ou séparer de ses enfants !

      A ce moment là, Darwin parlait avec un ton résolument exalté, Fitz Roy, en revanche, continuait de parler avec une froideur qui indiquait qu’il faisait un effort pour se contenir.

      — Mr Darwin, pendant que vous étiez à Rio de Janeiro, j’ai moi aussi eu l’opportunité de visiter à Bahia une plantation avec des esclaves. J’ai vu où ils vivaient et dormaient et je peux vous assurer que leurs logements étaient meilleurs que celles de la majorité des paysans en Angleterre. A ma demande, le propriétaire de la plantation a réuni plusieurs esclaves et je leur ai demandé s’ils préféreraient être libres et tous m’ont répondu que non.

      Darwin perdit toute prudence et demanda au capitaine presque en criant s’il pensait réellement que les esclaves pouvaient dire autre chose sans être rossés ou tués quelques heures plus tard. Le capitaine se leva et regarda Darwin avec les yeux pleins de fureur.

      — C’en est trop, Mr Darwin, Vous pensez que je ne me rends pas compte lorsque les gens sont sincères ? Mais si vous pensez que je suis un idiot, alors il n’y a pas de place pour nous deux dans cette cabine et peut être pas dans ce bateau non plus !

      Fitz Roy était totalement hors de lui. Il ouvrit la porte de la cabine et cria : —Wickham! Reconduisez Mr Darwin hors de ma cabine !- Darwin n’attendit pas que Wickham arrive.

      — Je n’ai pas besoin d’être guidé hors de votre cabine, capitaine — dit il sur un ton de défi, et il sortit. A peine eut- il franchi le seuil de la porte que Fitz Roy la claqua bruyamment derrière lui, ce qui était un message en soi.

      * * *

      Wickham emmena Darwin à la salle des officiers, où ils étaient en train de finir le déjeuner. Le naturaliste tremblait de rage à la perspective de voir s’arrêter ici le voyage. Il était sûr que Fitz Roy le ferait descendre dans le premier port et le renverrait en Angleterre. Les autres officiers ne semblaient pas partager ses peurs, ils connaissaient le capitaine dans ses bons jours comme dans ses mauvais jours et ils s’imaginaient déjà comment allaient se dérouler les choses.

      Sullivan apporta un plat à Darwin et Wickham s’assit face à lui pour lui raconter comment était Fitz Roy réellement.

      — Mr Darwin, vous savez ce que signifie Fitz Roy, n’est ce pas ?

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      Scènes d'esclavage, par F. Denis et C. Famin.

      — Oui, cela vient de l’antique normand-français « fils du roi ».

      — Exactement. Le nom tient son origine dans le fait que la famille du capitaine descend du roi Charles II à travers son fils illégitime avec Barbara Villiers. Mais vous verrez que dans le capitaine cohabitent deux personnes qu’il appelle lui-même Fitz, le fils, et Roy, le roi. Fitz, c’est le fils, l’ami loyal, éduqué, confiant, compréhensif de la nature humaine et un meneur d’hommes responsable. Mais il existe aussi Roy, le roi hautain qui a mauvais caractère, qui n’accepte pas les opinions différentes des siennes, humiliant et familier des méthodes drastiques. Aujourd’hui, vous avez rencontré Roy.

      — Bien Mr Wickham, ce sera donc Roy qui m’aura congédié du Beagle et lui qui m’empêchera de continuer mon travail. Cela ne change pas grand-chose.

      — Je ne crois pas. L’autre aspect de la personnalité de notre capitaine est que Fitz est généralement celui qui est aux commandes et qui maintient Roy sous contrôle, comme prisonnier. Mais parfois Roy réussit à s’échapper de Fitz et il prend le contrôle avec les conséquences que vous venez de subir. La bonne nouvelle c’est qu’en général Roy ne réussit pas à garder le contrôle très longtemps. En peu de temps, Fitz redevient celui qui domine et les choses reviennent à leur place. Ceci est exactement ce qui va se passer dans une ou deux heures, vous verrez.

      — Mais alors, Wickham, le capitaine est totalement imprévisible.

      — Pas exactement, la vérité c’est qu’il est assez prévisible. La seule chose qu’il faut, avant de lui demander quelque chose ou de lui exposer un problème, c’est de savoir à qui vous avez à faire, Fitz ou Roy. Si c’est Fitz, il n’y a pas de problèmes, le capitaine sera totalement rationnel. Par contre, si c’est Roy, il est plus sage de l’éviter, de ne rien lui exposer et d’attendre que revienne Fitz.

      — Comment savez vous si vous êtes face à Fitz ou face à Roy ?

      Les officiers présents rirent. Darwin était en train de demander l’un des secrets les mieux gardés. Sullivan lui dit —Nous envoyons Wickham dans la cage du lion pour voir son humeur —tous rirent à nouveau.

      — C’est un peu vrai, sourit Wickham, tous les matins je suis le premier à parler au capitaine et je lui glisse une question ou un commentaire auquel réagirait Roy. Par exemple, si je lui dis que le pont est sale, Fitz dirait : quand le changement de gardes se fera, assurez vous que ceux qui s’en aillent le nettoient avant de partir. Par contre Roy hurlerait : Découvrez qui en est le responsable et mettez-le au cachot jusqu’à la nuit.

      —

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