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en étudiant la médecine, je me rendis compte que le sang et les douleurs humaines me faisaient me sentir mal. Je crois que je ne m’y serai jamais habitué, comme peut être jamais je ne m’habituerai au mal de mer. Ca n’a pas plu à mon père lorsque je lui ai dit que je ne serai pas médecin. Je pensais qu’être pasteur serait très semblable. Il dit toujours qu’il n’y a pas grand-chose qu’il puisse faire contre les maladies, sa tâche principale est de réconforter le patient qui récupère ainsi ou alors se résigne au mal dont il souffre. Donc, je lui avais expliqué que la tâche du pasteur n’était pas très différente de celle d’un médecin de campagne sauf qu’au lieu de traiter les maux du corps, on traite les maux de l’âme.

      — Mais Charles, pour être pasteur, il faut avoir une grande foi. D’après ce que vous me dites, vous n’aviez pas reçu « l’appel divin ».

      — En effet, je suppose que j’attendais que « l’appel divin » comme vous dites vienne avec le temps. Mais la vérité, c’est que j’ai choisi cette profession pour ne pas contrarier mon père.

      — Vous respectez beaucoup votre père.

      — Bien sûr que je le respecte, mais je n’ai pas fait ce choix pour une question de respect, mais plutôt parce que mon père est quelqu’un de très sage et qu’il sait clairement ce qui est le mieux pour moi.

      — Je comprends Charles… alors j’imagine que maintenant, loin de votre père pour si longtemps, vous sentez qu’il vous manque un guide ?

      — Je pensais qu’il en serait ainsi, cependant je suppose que je dois déjà avoir mûri. Je sens que je fais ce qui est juste, bien qu’il ne soit pas là pour me donner son approbation.

      — Qu’est ce qu’il a pensé de l’idée de ce voyage ?

      — D’abord, il pensa que c’était une ruse pour ne devenir ni médecin, ni pasteur, ni rien. Mais ensuite, il fit son enquête sur Fitz Roy, il parla avec mon oncle, un autre homme sage, et il fut finalement convaincu que c’était une opportunité unique. Il s’imagina qu’à mon retour, je pourrais devenir professeur d’université à Cambridge comme naturaliste, et que peut être c’était là ma vraie vocation. En résumé, il pense que je n’ai pas reçu « l’appel divin » mais « l’appel de la nature ».

      — Oui, oui ! En Galles, nous disons « l’appel de la nature » pour autre chose.

      — Je vois, dit Darwin qui essayait de réprimer un rire, dans le Shropshire nous disons cela aussi de quelqu’un qui se voit forcé de satisfaire rapidement ses besoins.

      Les deux jeunes hommes rirent un bon moment avant de redevenir silencieux. Quelques minutes plus tard, Darwin lui demanda :

      — Et vous John, comment êtes vous arrivé ici ?

      — J’ai rejoint la Marine lorsque j’avais quatorze ans. Dans ma maison, j’avais lu tout jeune les récits des voyages de Cook dans les lointaines terres du Pacifique. J’ai pleuré lorsque j’ai lu la partie dans laquelle les aborigènes de Hawai le tuèrent. Cela m’a coûté, mais je réussis à convaincre ma mère de me laisser aller à l’école des cadets. En peu de temps, je me suis retrouvé à voyager aux confins du monde. Pour moi cela signifiait, et signifie toujours, réaliser le rêve de ma vie. Ma grande aspiration serait d’être au commandement d’une expédition à explorer l’Australie. Je crois que je n’en aurai jamais l’opportunité.

      — Pourquoi pas ? Vous acquérez de l’expérience et le capitaine semble avoir une grande confiance en vous. Bientôt vous gravirez les échelons, vous êtes sur la bonne voie.

      Tout à coup, ils remarquèrent que le reste de l’équipage s’était tendu. « Le Capitaine arrive », leur dirent ils. Et effectivement, Fitz Roy apparut dans son plus bel uniforme.

      — Comment se fait il que vous soyez tous en train de ne rien faire ? Vous êtes un groupe de fainéants en vacances ?-de toute évidence, il n’était pas de très bonne humeur.- Wickham !

      Immédiatement, le second officier du bateau apparut.

      — Dites moi Monsieur.

      — Montez immédiatement les drapeaux de salutation pour qu’on les voit du port. Sullivan ! Préparez maintenant un des bateaux, nous irons à la côte pour négocier l’autorisation de débarquer.

      Tout proche se tenait Jemmy, un des « fueguinos », qui dit :

      — Capitaine, ça n’est pas la peine. Les espagnols viennent déjà de mettre leur bateau à l’eau. Jemmy était le plus intelligent des « fueguinos » ; en très peu de temps, il avait appris à parler l’anglais assez bien mais avec un fort accent. Ce qui est étrange, c’est qu’il avait en même temps oublié sa langue natale. Avec les autres fueguinos, York et Fuegia, il communiquait en anglais.

      — Jemmy, je ne vois personne venir.- Fitz Roy usait avec Jemmy d’un ton paternel qu’il n’employait avec personne d’autre de l’équipage. Jemmy était son préféré et il était fier de lui.

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      Darwin en 1840, aquarelle de George Richmond.

      — Jemmy a raison. Le capitaine doit croire Jemmy. Jemmy le voit. Utilisez votre œil de métal pour voir.

      — J’oublie parfois, Jemmy, que tu as une vue bien supérieure à la nôtre. Tu as sûrement raison. Stokes, prêtez moi votre longue vue.

      Fitz Roy regarda vers la côte avec la longue vue et un sourire apparut sur ses lèvres.

      — Sullivan ! Annulez la préparation du bateau, ils viennent à nous.

      Il donna une tape sur l’épaule de Jemmy et alla à la proue, son humeur s’était déjà améliorée. Jemmy, content, regarda autour et rencontra le regard amical de Darwin et lui dit : « Le capitaine est un homme bon ».

      Ce qui n’était pas bon, c’est ce que les espagnols du bateau venaient dire au capitaine. La nouvelle d’une épidémie de choléra en Angleterre leur était parvenue. En prévention et pour éviter une épidémie, il fallait attendre douze jours avant de débarquer.

      Le capitaine réunit Wickam, Sullivan, Stokes et Darwin dans la salle des cartes.

      — Messieurs, nous avons deux alternatives, soit nous attendons douze jours, soit nous continuons le voyage vers les îles du Cap Vert. Nous devons considérer que là bas aussi peut être, ils nous feront passer une quarantaine bien que cela me semble peu probable.

      En première instance, je voudrais continuer le voyage mais je veux être au clair quant aux pour et contre de cette décision des différents points de vue que nous avons ici. Commençons par vous Mr Sullivan, nous avons de la nourriture et de l’eau pour les jours de navigation qu’ils nous restent jusqu’au Cap Vert et une éventuelle quarantaine de … disons vingt jours ?

      — Oui monsieur. Nous sommes approvisionnés pour une période trois fois plus longue sans compter l’eau que nous pourrions récupérer des pluies.

      — Parfait. Mr Stokes, nous devons aller effectuer des mesures de coordonnées de la manière la plus continue possible aux différentes longitudes et latitudes pour qu’à la fin du voyage, nous puissions détecter les erreurs systématiques et les corriger en les distribuant. Comment nous affecterait le fait de ne pas pouvoir compter sur les coordonnées de Tenerife ?

      — Cela nous affecterait très peu capitaine. Tout particulièrement parce que les îles du Cap Vert ont une longitude similaire à celle des Iles Canaries. Ensuite, avec l’arrêt prévu sur l’île de Fernando de Noronha, la traversée de l’Atlantique serait bien couverte.

      — Je veux récupérer la perte de précision dû au fait de ne pas pouvoir compter sur cette mesure, —en regardant la carte dépliée sur la table, il signala un point au milieu de la mer- nous inclurons un arrêt ici, aux Roches de San Pablo, pour effectuer les mesures.

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