ТОП просматриваемых книг сайта:
L'Argent. Emile Zola
Читать онлайн.Название L'Argent
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Emile Zola
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Tous deux s'étouffèrent de rire. Il s'agissait de Germaine Cœur, une superbe fille de vingt-cinq ans, un peu indolente et molle, dans l'opulence de sa gorge, qu'un collègue de Mazaud, le juif Jacoby, entretenait au mois. Elle avait toujours été avec des boursiers, et toujours au mois, ce qui est commode pour des hommes très occupés, la tête embarrassée de chiffres, payant l'amour comme le reste, sans trouver le temps d'une vraie passion. Elle était agitée d'un souci unique, dans son petit appartement de la rue de la Michodière, celui d'éviter les rencontres entre les messieurs qui pouvaient se connaître.
«Dites donc, questionna Flory, je croyais que vous vous réserviez pour la jolie papetière?»
Mais cette allusion à Mme Conin rendit Gustave sérieux. Celle-ci, on la respectait c'était une femme honnête; et, quand elle voulait bien, il n'y avait pas d'exemple qu'un homme se fût montré bavard, tellement on restait bons amis. Aussi, ne voulant pas répondre, Gustave posa-t-il à son tour une question.
«Et Chuchu, vous l'avez menée à Mabille?
– Ma foi, non! c'est trop cher. Nous sommes rentrés, nous avons fait du thé.»
Derrière les jeunes gens, Saccard avait entendu ces noms de femme, qu'ils chuchotaient d'une voix rapide.
Il eut un sourire. Il s'adressa à Flory.
«Est-ce que vous n'avez pas vu M. Mazaud?
– Si, monsieur, il est venu me donner un ordre, et il est redescendu à son appartement… Je crois que son petit garçon est malade, on l'a averti que le docteur était là… Vous devriez sonner chez lui, car il peut très bien sortir, sans remonter.»
Saccard remercia, se hâta de descendre un étage. Mazaud était un des plus jeunes agents de change, comblé par le sort, ayant eu cette chance de la mort de son oncle, qui l'avait rendu titulaire d'une des plus fortes charges de Paris, à un âge où l'on apprend encore les affaires. Dans sa petite taille, il était de figure agréable, avec de minces moustaches brunes, des yeux noirs perçants; et il montrait une grande activité, l'intelligence très alerte, elle aussi. On le citait déjà, à la corbeille, pour cette vivacité d'esprit et de corps, si nécessaire dans le métier, et qui, jointe à beaucoup de flair, à une intuition remarquable, allait le mettre au premier rang; sans compter qu'il avait une voix aiguë, des renseignements de Bourses étrangères de première main, des relations chez tous les grands banquiers, enfin un arrière-cousin, disait-on, à l'agence Havas. Sa femme, épousée par amour, lui avait apporté douze cent mille francs de dot, une jeune femme charmante dont il avait déjà deux enfants, une fillette de trois ans et un petit garçon de dix-huit mois.
Justement, Mazaud reconduisait jusqu'au palier le docteur, qui le rassurait, en riant.
«Entrez donc, dit-il à Saccard. C'est vrai, avec ces petits êtres, on s'inquiète tout de suite, on les croit perdus pour le moindre bobo.»
Et il l'introduisit ainsi dans le salon, où sa femme se trouvait encore, tenant le bébé sur ses genoux, tandis que la petite fille, heureuse de voir sa mère gaie, se haussait pour l'embrasser. Tous les trois étaient blonds, d'une fraîcheur de lait, la jeune mère d'air aussi délicat et ingénu que les enfants. Il lui mit un baiser sur les cheveux.
«Tu vois bien que nous étions fous.
– Ah! ça ne fait rien, mon ami, je suis si contente qu'il nous ait rassurés!»
Devant ce grand bonheur, Saccard s'était arrêté, en saluant. La pièce, luxueusement meublée, sentait bon la vie heureuse de ce ménage, que rien encore n'avait désuni; à peine, depuis quatre ans qu'il était marié, donnait-on à Mazaud une courte curiosité pour une chanteuse de l'opéra-Comique. Il restait un mari fidèle, de même qu'il avait la réputation de ne pas encore trop jouer pour son compte, malgré la fougue de sa jeunesse. Et cette bonne odeur de chance, de félicité sans nuage, se respirait réellement dans la paix discrète des tapis et des tentures, dans le parfum dont un gros bouquet de roses, débordant d'un vase de Chine, avait imprégné toute la pièce.
Mme Mazaud, qui connaissait un peu Saccard, lui dit gaiement:
«N'est-ce pas, monsieur, qu'il suffit de le vouloir pour être toujours heureux?
– J'en suis convaincu, madame, répondit-il. Et puis, il y a des personnes si belles et si bonnes, que le malheur n'ose jamais les toucher.»
Elle s'était levée, rayonnante. Elle embrassa à son tour son mari, elle s'en alla, emportant le petit garçon, suivie de la fillette, qui s'était pendue au cou de son père. Celui-ci, voulant cacher son émotion, se retourna vers le visiteur, avec un mot de blague parisienne.
«Vous voyez, on ne s'embête pas, ici.»
Puis, vivement:
«Vous avez quelque chose à me dire?.. Montons, voulez-vous? nous serons mieux.»
En haut, devant la caisse, Saccard reconnut Sabatani, qui venait toucher des différences; et il fut surpris de la poignée de main cordiale que l'agent échangea avec son client. D'ailleurs, dès qu'il fut assis dans le cabinet, il expliqua sa visite, en le questionnant sur, les formalités, pour faire admettre une valeur à la cote officielle. Négligemment, il dit l'affaire qu'il allait lancer, la Banque universelle, au capital de vingt-cinq millions. Oui, une maison de crédit créée surtout dans le but de patronner de grandes entreprises, qu'il indiqua d'un mot. Mazaud l'écoutait, ne bronchait pas; et, avec une obligeance parfaite, il expliqua les formalités à remplir. Mais il n'était pas dupe, il se doutait que Saccard ne se serait pas dérangé pour si peu. Aussi, lorsque ce dernier prononça enfin le nom de. Daigremont, eut-il un sourire involontaire. Certes, Daigremont avait l'appui d'une fortune colossale; on disait bien qu'il n'était pas d'une fidélité très sûre; seulement, qui était fidèle, en affaires et en amour? personne! Du reste, lui, Mazaud, se serait fait un scrupule de dire la vérité sur Daigremont, après leur rupture, qui avait occupé toute la Bourse. Celui-ci, maintenant, donnait la plupart de ses ordres à Jacoby, un juif de Bordeaux, un grand gaillard de soixante ans, à large figure gaie, dont la voix mugissante était célèbre, mais qui devenait lourd, le ventre empâté; et c'était comme une rivalité qui se posait entre les deux agents, le jeune favorisé par la chance, le vieux arrivé à l'ancienneté, ancien fondé de pouvoirs à qui des commanditaires avaient enfin permis d'acheter la charge de son patron, d'une pratique et d'une ruse extraordinaires, perdu malheureusement par une passion du jeu, toujours à la veille d'une catastrophe, malgré des gains considérables. Tout se fondait dans les liquidations. Germaine Cœur ne lui coûtait que quelques billets de mille francs, et on ne voyait jamais sa femme.
«Enfin, dans cette affaire de Caracas, conclut Mazaud, cédant à la rancune malgré sa grande correction, il est certain que Daigremont a trahi et qu'il a raflé les bénéfices… Il est très dangereux.»
Puis, après un silence:
«Mais pourquoi ne vous adressez-vous pas à Gundermann?
– Jamais!» cria Saccard, que la passion emportait. A ce moment, Berthier, le fondé de pouvoirs, entra et chuchota quelques mots à l'oreille de l'agent. C'était la baronne Sandorff qui venait payer des différences et qui soulevait toutes sortes de chicanes, pour réduire son compte. D'habitude, Mazaud s'empressait, recevait lui-même la baronne; mais, quand elle avait perdu, il l'évitait comme la peste, certain d'un trop rude assaut à sa galanterie. Il n'y a pires clientes que les femmes, d'une mauvaise foi plus absolue, dès qu'il s'agit de payer.
«Non, non, dites que je n'y suis pas, répondit-il avec humeur. Et ne faites pas grâce d'un centime, entendez-vous!»
Et, lorsque Berthier fut parti, voyant au sourire de Saccard qu'il avait entendu.
«C'est vrai, mon cher, elle est très gentille, celle-là, mais vous n'avez pas idée de cette rapacité… Ah! les clients, comme ils nous aimeraient, s'ils gagnaient toujours! Et plus ils sont riches, plus ils sont du beau monde, Dieu me pardonne! plus je me méfie, plus je tremble de n'être pas payé…