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qu’Ussé pourrait bien avoir été le château des seigneurs de Saintré, et Turpenay, abbaye voisine, celle où s’était retirée, après sa si grave infidélité, la dame des belles cousines, à cause du rôle que la famille des Saintré avait joué en Touraine, et des exploits bien réels de Jehan de Saintré, accomplis à côté du maréchal de Boucicaut.

      Nous ne déciderons pas entre tous ces témoignages, et nous ne verrons d’historiquement vrai à rattacher à ce château que le séjour de Vauban, dont la fille, nous l’avons déjà dit plus haut, épousa Bernin de Valentinay, contrôleur-général des finances.

      Le nom de Vauban est si sonore à nommer, même après celui de Louis XIV, il arme si soudainement l’esprit de fortifications, de redoutes, de ponts, de créneaux, que l’imagination la moins prompte admet sans peine pour Ussé la nécessité d’un ameublement analogue au caractère de l’homme qui l’habita. Les superbes terrasses aplanies par lui attendent des canons. A défaut d’une place chronologique précise, Ussé recevrait une destination toute militaire; l’armure serait complète. Dehors les bastions, les pièces de siége, les redoutes; dedans, les armes portatives de toutes les époques; les cottes de mailles des chevaliers seraient appendues au mur, à côté des épées de Fontenoy et des carabines de Friedland. Ce serait un modèle de la France telle qu’elle s’est trouvée armée au dedans et au dehors, depuis le roi Jean jusqu’au roi Louis-Philippe. Nous avons blâmé l’entassement; mais on ferait une exception en faveur d’Ussé, dont la destination nouvelle répondrait à ce qu’il a tout à la fois d’incertain, de redoutable, d’antique et de moderne.

      Le château d’Ussé est aujourd’hui la propriété de M. le duc de Duras, qui le laisse tomber en ruines.

      De tout travail un peu creusé naissent de petits bénéfices de hasard dont la propriété n’est à personne; ils appartiennent à la bêche au bout de laquelle ils se sont rencontrés. A force d’assister par la pensée aux transmigrations des châteaux, une observation est née pour nous. C’est que bien avant la fin du règne de Louis XIV les grandes propriétés seigneuriales étaient passées sans secousse, par l’unique effet de l’oscillation des fortunes privées, des familles titrées aux familles d’argent. Law, l’agiotage, la dépravation de la régence ont pu être surabondamment des causes auxiliaires de ce déplacement; mais évidemment pour nous la vraie cause est plus haut. J’ai remarqué, ou peut-être me suis-je souvenu d’une remarque faite par d’autres, que, depuis plus de six cents ans, les châteaux avaient été acquis, dans une proportion d’un sur trois, par des contrôleurs-généraux, des financiers et des banquiers, titres de professions ou de charges analogues selon les temps. Ainsi, pour ne citer que quelques exemples entre de fort nombreux, le château de Semblançay, bâti en 993, par Foulques de Nerra, pour tenir la ville de Tours en respect, devint, sous François Ier, la propriété de Jacques Fournie de Beaune, surintendant des finances de ce monarque. On n’apprendra à personne que ce Fournier de Beaune fut ce seigneur de Semblançay, moins connu par les crimes de malversation dont il fut accusé et puni que par les vers si spirituels de Marot sur le lieutenant Maillart menant Semblançay à Montfaucon.

      Chenonceaux fut aussi vendu par Jean de Marques, vers la fin du XVe siècle, à Thomas Boyer, maire de Tours et général des finances de Normandie. Si un fils de ce général des finances eut le bon goût de faire hommage de ce château à la duchesse de Valentinois, un Condé fut dans la nécessité moins délicate de le céder de nouveau à prix d’argent à M. Dupin, ancien fermier-général. Voilà deux financiers possesseurs de Chenonceaux. Ussé, comme on l’a vu, passa pareillement, à la fin du XVIIe siècle, à Louis Bertin de Valentinay, contrôleur-général de la maison du roi. Bouret, on le sait, fut le délicieux pavillon qu’avait bâti le financier de ce nom au bord de la Seine; Maintenon eut pour fondateur Jean Cottereau, intendant des finances sous Charles VIII; Brunoy revient aux Montmartel, famille de financiers, et Vaux à Fouquet, surintendant des finances sous Louis XIV.

      De nos jours, deux des plus remarquables châteaux historiques, Petit-Bourg et Maisons, appartiennent à deux banquiers, MM. Aguado et Laffitte; et le plus remarquable de tous, le château de Mello, celui où naquit la Jacquerie, appartient également à un banquier, M. Sellière.

      Il me sera facile d’assigner quelque jour, lorsque j’aurai obtenu des relevés plus généraux, le petit nombre d’années qui doit s’écouler pour que tous les châteaux historiques de la France soient exclusivement possédés par des banquiers. Je répète que cette substitution des familles d’argent aux familles de race date depuis plus de six siècles.

      Ne voulant ni restreindre dans des limites forcées, ni trop distendre le cercle de nos excursions archéologiques, afin de rester le plus possible dans les conditions de notre musée, qui doit toujours avoir Paris à son centre, nous nous sommes avancés jusques aux bords de la Loire, points extrêmes de nos plus longs rayonnemens. Entre le château de Versailles et le château de Clisson il n’y a guère plus d’un jour de distance. Quand des chemins de fer existeront dans cette direction, on ne mettra pas plus de huit heures (qui osera se plaindre d’un tel sacrifice de temps?) pour aller de la demeure de Louis XIV au manoir crénelé des ducs de Bretagne.

      A six lieues de Tours, sur la grande route d’Angers, le Xe siècle bâtit, sous les ordres de Foulques de Nerra, un château de Langeais, uniquement destiné à couper toute communication entre Tours et les localités circonvoisines. Sur les ruines de ce château, Pierre de Brosse, fils d’un sergent à masse de saint Louis, ministre et favori de Philippe-le-Hardi, en éleva un autre du même nom; et c’est celui qui existe encore aujourd’hui. Ces réédifications, pour le dire en passant, ont plus souvent eu lieu pour les constructions militaires que pour les simples résidences seigneuriales. La raison de cette différence est facile à fournir. D’une utilité reconnue, l’existence des châteaux forts se perpétuait à force de soins durant les guerres, et comme les guerres étaient continuelles, ils étaient toujours entretenus. Tel château fort a été reconstruit jusqu’à six fois.

      Il importerait peu de restituer au château de Langeais l’antique splendeur de ces premiers âges, si l’on n’avait à le peupler que du stérile souvenir de la fatale prospérité de ce Pierre de Brosse, pendu à Montfaucon, comme le furent plus tard, revêtus du même emploi que lui, Enguerrand de Marigny et Semblançay; sa disgrâce est des plus communes. Jusqu’à Louis XIV, presque tous les contrôleurs des finances ont été pendus. Sous Louis XIV, les mœurs s’améliorant, ils ne furent plus qu’exilés. Personne n’ignore que Pierre de Brosse fut condamné au gibet pour avoir inspiré au roi Philippe-le-Hardi l’idée que la reine Marie de Brabant pouvait avoir empoisonné le jeune prince Louis, né d’un autre lit. Un homme sans naissance, qui avait eu le génie de devenir ministre, de barbier qu’il était auparavant, n’aurait pas imaginé une intrigue aussi périlleuse dans le but assez mesquin de se venger de la fade Marie de Brabant, qui lui avait, dit-on, résisté. Je crois peu aux ministres amoureux des reines; mais, en revanche, je crois beaucoup aux dangers des ministres, accusés et jugés par des évêques, des béguines et des rois qui croient aux béguines. Au reste, l’amour pour les reines a toujours été l’accusation de commande sous laquelle la plupart des ministres des trois races ont succombé. Avant de les pendre haut et court, on les disait amoureux. Les Français sont toujours galans.

      Représentant la magnifique fin du XVe siècle, Langeais nous dirait le mariage de Charles VIII et d’Anne de Bretagne, ou plutôt le mariage de la Bretagne et de la France; superbe alliance qui n’assura pas d’abord à cette dernière la possession d’un duché irrévocablement soumis, mais qui lui permit de le considérer désormais comme une propriété légitime à défendre et non comme une usurpation à soutenir par l’épée. On introduirait au château de Langeais le luxe massif de la maison d’Anne de Bretagne, cette duchesse deux fois reine de France, dont la cour passait pour la plus somptueuse d’Europe. Langeais préciserait alors l’époque commémorative de l’union la plus avantageuse qu’ait contractée la France pour s’agrandir et pour terminer les agressions de ces ducs de Bretagne, dont le château de Clisson, que nous avons déjà rappelé, attesterait les prétentions violentes et les cruautés sans nombre; sauvages ducs! chiens hargneux

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