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aient bien moins de combats à livrer depuis la réunion des provinces de l’ouest à la couronne, le royaume n’est pas encore aussi tranquille qu’il le sera dans deux siècles, vienne Richelieu. Les châteaux sont soumis, mais les châtelains, non; c’est la conquête, mais ce n’est pas encore la paix. Une espèce de compromis tacite se fait entre la féodalité encore menaçante et la royauté toute gênée dans sa victoire. S’il ne s’élève plus autant de ces châteaux qui enserraient des bourgs dans leurs vastes ailes déployées, ceux qui avaient vomi la rébellion du haut de leurs tours ne sont pas encore tombés. Les nouveaux qui seront bâtis pendant cette trêve transitoire participeront de cette double circonspection. Rien n’y manque: ni les triples fossés, ni les ponts-levis, ni les tours; rien, si ce n’est une taille proportionnée à leurs prétentions. On dirait que la peur les a rabougris en leur laissant leurs formes offensives; petits bastions, petites oubliettes, petits fossés. Ce sont des géans nains.

      Savigny annonce déjà cet amaigrissement étrange. C’est une miniature du terrible, un abrégé de l’imposant. Qui connaît Savigny? Personne. Savigny n’est pourtant ni en Bretagne ni en Auvergne; il est à quatre lieues de Paris, entre les deux grandes routes de Lyon et d’Orléans. On l’appelle Savigny-sur-Orge, pour le distinguer de dix ou douze autres Savigny aussi peu connus.

      Restauré à la fin du XVe siècle, et peut-être un peu trop restauré depuis, Savigny est un arrière-petit-fils d’un château qui était sur le même emplacement trois siècles auparavant. L’époque qu’il symboliserait le mieux, parmi d’autres avec le caractère desquelles il ne serait pas en désaccord, serait la Ligue, temps de guerre civile, dont le foyer, on a beau l’étendre avec complaisance, fut Paris et exclusivement ses environs. La Ligue et la Fronde sont deux émeutes parisiennes; si la première fut un peu moins locale, parce qu’elle touchait à la successibilité de la couronne, la seconde n’eut pas même une ondulation sensible jusqu’à Orléans.

      Nous raconterons un jour la retraite d’Agnès Sorel et de Charles VII dans le château de Savigny, doux pèlerinage dont le souvenir est constaté par le nom de Beauté que légua la dame de ce gracieux surnom à une commune voisine. La Balue et Louis XI l’ont habité; l’un y rêva ses évêchés qui lui furent si funestes et dont il perdit la vue, selon la chanson; l’autre la cage de fer où il logerait un jour monseigneur le cardinal. Les royalistes l’enlevèrent aux ligueurs en 1592. Quatre royalistes le prirent pendant que le chef des ligueurs passait ses chausses. Nous tenons en réserve, pour le présenter ailleurs sous des proportions moins raccourcies, un autre événement dont Savigny fut témoin, et non moins propre à prouver la justesse de cette observation plus haut émise, que les châteaux devenaient de plus en plus, la monarchie se raffermissant, la parodie de ce qu’ils avaient été jadis, malgré les menaces de leurs fortifications matamores.

      Savigny est aujourd’hui à l’héritière d’un des plus beaux noms de l’empire, à Mme la maréchale Davoust, princesse d’Eckmülh.

      Avant de terminer notre course, nommons quelques-uns des principaux châteaux, fine fleur de la renaissance, élevés pendant les trois siècles féconds dont se compose la durée du cycle dynastique des Valois. Les mieux conservés, les plus propres à être classés dans notre musée comme type d’un âge écoulé, sont Pierrefonds (Oise); Villebon et Maintenon (Eure-et-Loir); Vigny et Rambouillet3 (Seine-et-Oise); Chambord (Loir-et-Cher); Valençay (Indre); Chenonceaux (Indre-et-Loire); Mesnières (Seine-Inférieure); enfin Dampierre, Écouen et Nantouillet (Seine-et-Oise).

      Des ruines au milieu d’une forêt, de la solitude, de vieux chênes, des démolitions abandonnées, 1390 pour date, c’est-à-dire un souvenir de malheur pour la France, et de beaucoup de malheurs, car avec Charles VI régnaient le duc d’Orléans et le duc de Bourgogne, deux assassins tués l’un par le parti de l’autre; tel est Pierrefonds bâti par le duc d’Orléans, frère de Charles VI, sur un des points élevés de la forêt de Compiègne.

      Les Anglais s’emparèrent de Compiègne comme ils s’emparèrent dix fois de la France, à la faveur des querelles des ducs avec les barons, et des comtes avec les rois.

      Les règnes suivans, jusqu’à Henri III, n’offrent rien pour l’histoire de cette forteresse. François Ier la fit réparer avant qu’elle ne tombât, vers la fin du XVIe siècle, aux mains des ligueurs, qui en donnèrent le commandement à Rieux, ce capitaine si célèbre par les brigandages dont il épouvanta la contrée.

      Si le goût de François Ier éclate quelque part avec cette prodigalité dont on s’étonne, c’est assurément dans les châteaux tout pleins de ses amours, de ses intrigues, de ses magnificences, de ses chiffres et des travaux de ses artistes. François Ier justifie sa haute renommée par là bien plus encore que par ses prétendus encouragemens donnés aux lettres. Trop souvent confondu avec Léon X, François Ier fut le père des châteaux et non le père des lettres.

      Rieux fut pendu devant l’Hôtel-de-Ville de Compiègne; mais le château de Pierrefonds ne se rendit que sous Louis XIII, cédant enfin à l’attaque d’une armée de quatorze mille hommes d’infanterie, commandés par Charles de Valois, qui s’en rendit maître après six jours de tranchée. On essaya de le démanteler l’année suivante, on ne le put; ses murailles furent trouvées si dures, qu’on se contenta de les entailler et de les réduire à l’état où elles sont aujourd’hui. Ces fortifications de révolte sont les plus complètes que nous possédions de ce temps-là. Elles appartiennent à la famille régnante d’Orléans.

      Après tant de demeures martelées par la sape, noircies par l’incendie, crevassées par les boulets, il est consolant de reposer le regard sur le paisible Villebon, retraite de Sully.

      Jean Cottereau, intendant des finances sous Charles VIII, jeta les fondemens du joli château de Maintenon; ses successeurs le vendirent à cette Françoise d’Aubigné, dont la destinée fut plus merveilleuse encore que celle de Louis XIV. Après la mort de Mme de Maintenon, la terre passa à sa nièce, qui la transmit, par alliance, à la famille de Noailles, dans laquelle elle se trouve encore de nos jours.

      On rattacherait à ce groupe de pierres inoffensives, dont les échos dorés n’éveillent que des noms de rois amoureux, de maîtresses de rois et de ministres pacifiques, Vigny, beau château bâti par le cardinal d’Amboise. Avant la révolution, il appartenait au prince de Soubise, qui l’avait cédé à Mme de Guémenée. Il passa à la famille de Rohan en 1822; il est aujourd’hui à MM. Decher et Lefèvre, qui l’ont fait réparer avec beaucoup de goût.

      Rambouillet n’était au XIVe siècle qu’une seigneurie possédée par la famille d’Argennes, dont les membres prirent, sous Louis XIII, le titre de marquis de Rambouillet. En 1706, cette famille le céda au comte de Toulouse, prince légitimé, pour qui cette terre fut érigée en duché-pairie. On montre encore dans la grosse tour la chambre où mourut François Ier, en 1547, à l’âge de cinquante deux ans.

      Si nous passons plus rapidement sur ces résidences que sur celles d’un âge plus éloigné, dont il a été fait mention au commencement de cet avant-propos, c’est que nous supposons le lecteur assez versé dans notre histoire pour les apprécier comme nous; et c’est aussi parce que leur état de conservation n’imposerait pas de grands sacrifices à l’état, s’il en devenait possesseur, que nous nous bornerons à les classer, plutôt qu’à en détailler le mérite incontesté.

      Ne suffit-il pas de nommer Chambord, Valençay et Chenonceaux, pour présenter à l’esprit trois palais connus de tout le monde, et que toute nation s’honorerait de posséder, quand même elle aurait déjà Saint-Cloud, Fontainebleau et Versailles?

      Mesnières soutient le parallèle avec Chenonceaux; même ordonnance, même grand goût. Le propriétaire de Mesnières, M. le marquis de Biancourt, est mort dernièrement; c’était un homme épris d’un véritable amour de l’art, et qui avait restauré, pierre à pierre, dans son vieux style et sa naïveté première, ce château, perle

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<p>3</p>

Si cette ancienne résidence royale figure ici contre notre système établi plus haut, que les châteaux de la couronne n’ont aucune physionomie arrêtée, parce qu’ils les ont toutes, c’est que Rambouillet, par une loi récente, a été distrait de l’apanage royal.