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et Ramstein sont plutôt des blocs de granit percés de trous que des demeures d’hommes. Charlemagne les a vus. Ce sont des géans en sentinelle à l’entrée du Val-de-Villé; débris d’une civilisation pétrifiée, ils sont là, comme les fossiles restés après le déluge; ils font corps, ils forment ciment avec l’éternité. Pour Ramstein et Ortemberg, trois siècles sont une date puérile, un souvenir d’hier. Leurs murs nous parlent, comme d’une bataille récente, du meurtre des vingt mille paysans révoltés en 1525, sous le duc Antoine de Lorraine, dit le bon duc. Jusqu’à la révolution française, les chapelles annexées autrefois à ces deux châteaux étaient pleines d’ossemens des pauvres paysans. Aujourd’hui ces os sont dispersés dans les champs, les deux châteaux sont abandonnés aux vautours, le duc est en oubli, mais la Lorraine est libre! Lorrains, baisez la poussière de ces os; ces paysans étaient vos pères, et ils vous ont faits libres.

      Graduellement, tous ces châteaux enclavés dans la circonscription actuelle du haut et bas Rhin, Girbaden, Dreystein (trois pierres ou châteaux), Ringelstein, Hohenstein, étaient devenus des fiefs un peu turbulens des évêques de Strasbourg. Du haut de leur cathédrale, ils comptaient et surveillaient leurs bonnes tours alliées; ils promenaient leur vue sur quarante lieues de châteaux forts, pressés comme des mamelons sur les montagnes, l’un regardant l’autre, celui-ci faisant retraite à celui-là, liés trois par trois souvent, comme Dreystein, ou comme ces guerriers d’Ossian qui s’attachaient par le bras, afin de n’être pas moins braves dans l’ombre les uns que les autres; quarante lieues de châteaux! Enfin les bons évêques planaient sur un si grand développement de murs que la science effrayée suppose que la longue chaîne des Vosges était nouée de distance en distance, sur toute son étendue, par des fortifications militaires antérieures à Attila. Chacun de ces châteaux, dont les débris se sont durcis en rochers, était une vertèbre de cette épine.

      Ces innombrables châteaux forts ont été rongés par la mousse, par les pluies, par les tempêtes; l’orage leur enlève chaque hiver des tours ou des pans de murs de douze pieds d’épaisseur, et les roule comme des galets jusqu’au fond des vallées. Beaucoup offrent de singuliers tableaux de ruine. Quelques-uns ont des chênes au sommet de leurs tours. Dans les appartemens du château de Spesbourg il a crû des pins. D’autres, bâtis comme le château de Nideck, tout au bord d’une cascade écumante, après avoir été brisés et défoncés par les eaux, laissent depuis s’écouler le torrent par leurs portes et par leurs fenêtres.

      Mais, nous le répétons, ces châteaux n’ayant de lien avec la France que par la conquête du sol où ils s’appuient, leurs souvenirs sont pour nous d’un faible intérêt national. Rien de ce qui s’y est passé ne peut être un sujet de noble regret à ceux qui ne les ont même jamais entendu nommer. Aucune pitié ne les soutenant, ils tomberont, si ce n’est demain, ce sera dans mille ans; car ce qui cimente les monumens et les rend impérissables, ce n’est pas la chaux, ce n’est pas le fer, ce sont les croyances. Voilà l’ogive indestructible.

      Il n’y avait pas de tours sans châteaux. Toutefois, qu’on ne croie pas que tous les châteaux avaient pareillement une tour. Le droit d’en élever était un privilége; la localité déterminait leur hauteur. Plus le sol était uni, plus la tour s’allongeait sur de nombreux horizons, afin d’en dominer autant que la vue, sans l’aide d’aucun instrument, pouvait le permettre. Si, au contraire, la fortification portait sur la crête d’une montagne, la tour, cessant d’être un observatoire pour devenir un objet de défense, se réduisait à des proportions analogues à son utilité. Beaucoup de causes modifiaient encore ces dispositions des tours par rapport aux accidens du terrain. Quand elles étaient en surplomb sur quelque rivière pour en défendre ou pour en protéger le passage, ou sur quelque gorge de montagne, détroit de pierre, ouvrant une communication entre deux pays, alors, comme celle du château de Sainte-Marie, à l’entrée de la vallée de Bastan, dans les Pyrénées, elles s’exhaussaient indéfiniment, malgré la base culminante de leurs fondations. Si je répète que l’avantage d’avoir une ou plusieurs tours était surbordonné au privilége préalable d’en élever, c’est pour ajouter que ce privilége fut de règne en règne moins facilement concédé par les rois. Avant Louis XI, ils avaient appris, à la sueur d’une rude expérience, combien, en général, il était plus aisé d’empoisonner un dauphin que de se rendre maître d’un baron révolté dans sa tour. Après s’être emparé de celle de Montlhéry, Philippe Ier disait à son fils, auquel il en donna la garde: «Mon fils, garde bien cette tour, qui tant de fois m’a travaillé, et que je me suis presque tant envieilli à combattre et assaillir.»

      Montlhéry marquerait dans notre galerie le commencement du onzième siècle, en attestant une illustration de plus de quatorze règnes. C’est au pied de cette tour, si belle encore aujourd’hui dans sa décrépitude, que se dénoua cette ligue de princes du sang formée contre Louis XI, et dont les collisions si peu provoquées dans l’intérêt du peuple n’en reçurent pas moins la dénomination mensongère de guerre du bien public.

      Cette bataille, livrée sous le regard de la tour de Montlhéry, fut pour Louis XI l’occasion de montrer que sa haine n’était pas sans courage. Il combattit, triompha, tomba de son cheval tué entre ses jambes, et fut porté tout sanglant et tout victorieux dans un appartement de la tour. Ce jour-là, il est sûr qu’il ne fit mourir personne de la main du bourreau. Trois mille hommes étaient restés sur le champ de bataille de Montlhéry. Le traité de Conflans termina cette dispute de bonne maison, prélude sans importance de la lutte autrement formidable dans laquelle entrèrent contre Richelieu les descendans de ces ducs révoltés. Il fallut s’y prendre à deux fois pour tuer messieurs les grands vassaux. Sous la Ligue, le château de Montlhéry fut détruit; mais la tour fut respectée. Elle resta debout pour être mentionnée par Boileau dans le poème du Lutrin. Boileau l’appelle ennuyeuse! il ne la voit ni haute, ni vieille, ni respectable, ni tachée de sang royal, ni superbe sous son beau ciel; le grand poète par la raison, mais si peu par l’imagination, ne la considère que comme ennuyeuse. Au reste, Boileau, Racine et Molière, en dehors de la poésie, n’ont pas le moindre sentiment des arts de leur époque. Perrault et La Fontaine sont en cela à mille pieds au-dessus d’eux. Molière, Corneille et Racine ne distinguent pas plus un beau tableau de Lesueur de la gravure de leur cuisinière qu’ils ne sentent la différence qu’il y a entre l’architecture de l’hôtel de Cluny et l’architecture du Palais-Cardinal; c’est bien en pure perte de temps que vous chercheriez dans leurs vers, sous leurs pensées, dans leurs allures d’écrivains, à travers leurs lettres familières même, là où les esprits les plus détachés du mouvement contemporain trahissent leur communauté de vie avec le reste des hommes, quelque indice de leur goût ou de leur connaissance soit en peinture, soit en musique, soit en architecture. Boileau caractérise avec la précision accoutumée de ses vers, par cette épithète d’ennuyeuse, donnée à la tour de Montlhéry, l’indifférence dédaigneuse des écrivains de son siècle en matière d’art.

      En 1605, le sieur de Bellejambe demanda à être autorisé à démolir les derniers murs d’enceinte du château de Montlhéry, pour construire, avec les pierres arrachées, sa maison de Bellejambe, une petite coquette de maison où loger tous les Bellejambe, entre cour et jardin: ce qui fut permis à M. de Bellejambe. Cependant, comme les Bellejambe eussent été fort embarrassés de tant de pierres monstrueuses, on pria les Bellejambe de ne pas faire un tuyau de cheminée de salon avec la tour de Montlhéry. Ils eurent tout, excepté la tour.

      La famille de Noailles possède aujourd’hui ce que le temps, les Bellejambe et les guerres ont laissé de la forteresse de Montlhéry.

      Parmi les monumens qui nous restent de la première époque capétienne, c’est-à-dire de l’an 987, date de l’avénement de Hugues-Capet, à l’an 1328, que s’éteignit cette branche et advint au trône celle des Valois, nous n’indiquerons que les châteaux de La Roche-Guyon (Seine-et-Oise), de Boissy-le-Châtel (Seine-et-Marne), de Bruyères-le-Châtel (Seine-et-Oise), de Clisson (Loire-Inférieure), de Chinon, d’Ussé et de Langeais (Indre-et-Loire), et de Savigny (Seine-et-Oise).

      Le dixième siècle aurait pour représentant le château

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