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ses ennemis. Les troupes françaises occupaient toutes les positions qu'elles avaient au commencement de la saison des opérations, excepté celle de Beauséjour, dont la perte n'eut, comme on l'a déjà dit, aucune influence sur le sort des événemens militaires, M. de Boishébert, qui commandait dans cette partie, s'y maintenant toujours.

      Les suites de ces échecs furent désastreuses pour les frontières américaines. Les armées anglaises ayant été défaites ou obligées de retraiter, la bride fut lâchée aux bandes canadiennes et sauvages, qui dévastèrent les établissemens ennemis depuis la Nouvelle-Ecosse jusqu'à la Virginie avec toute la vengeance que leur inspirait la guerre injuste que l'on faisait au Canada. Plus de mille habitans furent massacrés ou traînés en captivité par ces guerriers redoutables, qui, comme un torrent dévastateur, ne laissaient que des ruines sur leur passage. Les populations épouvantées abandonnèrent leurs foyers, et allèrent chercher un asile dans les provinces méridionales et sur les bords de la mer. Toutes les colonies anglaises étaient dans l'étonnement en voyant le résultat de la compagne. «Quatre armées étaient sur pied, dit un de leurs historiens (Minot), pour repousser les empiétemens des Français; nos côtes étaient gardées par la flotte du brave et vigilant Boscawen; nous n'attendions qu'un signal pour nous emparer de la Nouvelle-France. Mais quel n'a pas été notre désappointement? On a réussi en Acadie, il est vrai, mais Braddock a été défait; mais Niagara et St. – Frédéric sont encore entre les mains des Français; mais les barbares ravagent nos campagnes, égorgent nos habitans; nos provinces sont déchirées par les factions et nos finances sont dans le délabrement.» Les préparatifs pour l'expédition contre le fort St. – Frédéric avaient coûté, suivant le même historien, à la Nouvelle-Angleterre seule £80,000, outre un grand nombre de réclamations qui restaient encore à régler. Ces provinces se voyaient donc, contre leur attente, exposées à tous les malheurs de la guerre qu'elles avaient tant désirée, pour satisfaire une ambition que pouvait seule justifier à leurs yeux la supériorité de leurs forces. La saison des opérations tirant à sa fin, les troupes françaises vinrent prendre leurs cantonnemens d'hiver dans les environs de Montréal. La sécurité n'avait pas été un instant troublée dans l'intérieur du pays. Le contraste avec les colonies voisines nous était favorable pour le moment. Mais l'avenir paraissait toujours menaçant et sombre. Déjà l'on souffrait depuis quelque temps de la rareté des vivres. Le manque des récoltes dans le gouvernement de Québec, les levées considérables de provisions faites par l'intendant tant pour la subsistance des troupes et des sauvages que pour celle des Acadiens répandus sur les rives du golfe St. – Laurent et de la baie de Fondy, amenèrent bientôt une disette assez sérieuse, surtout parmi les habitans pauvres des villes. Ce n'était là pourtant que le prélude des maux et des privations que devait entraîner pour les Canadiens cette longue et cruelle guerre.

      Les nouvelles annonçaient déjà que l'Angleterre devait opérer dans la prochaine campagne avec un grand surcroît de forces. L'on ne perdit point de temps en Canada pour se mettre en état de bien recevoir les ennemis, et même d'aller porter la guerre chez eux si une occasion favorable se présentait. Le gouverneur et l'intendant demandèrent, dans leurs dépêches à la France, des secours en hommes, en matériel de guerre et en vivres. Ils lui faisaient en même temps un tableau exact de l'état du Canada et des forces des Anglais en Amérique. Les principaux officiers de l'armée qui correspondaient avec les ministres, écrivirent dans le même sens. Plusieurs d'entre eux avaient des craintes qu'ils ne cherchaient pas à dissimuler: «La situation de la colonie disait M. Doreil, commissaire général des guerres, est critique à tous égards; elle exige de prompts et de puissans secours. J'ose même assurer que si l'on n'en envoie pas, elle courra les plus grands risques dès l'année prochaine.»

      Toutes les correspondances faisaient ressortir, chacune à sa manière, la disproportion des forces des deux nations dans ce continent. On demandait surtout un général expérimenté pour remplacer le baron Dieskau, ainsi que des ingénieurs qui manquaient totalement et des officiers d'artillerie. «Il faudrait, observait l'intendant, plusieurs corps en campagne le printemps prochain, et 16 ou 1700 hommes de troupes de terre et 1000 ou 1200 hommes de celles de la colonie ne suffiront pas; il faut toujours garder une certaine quantité des dernières pour le service des trois villes; il en faut pour les différens postes. Ainsi ce sont les Canadiens qui font la plus grande partie de ces armées, sans compter 1000 à 1200 qui sont continuellement occupés aux transports. Les Canadiens étant ainsi employés à l'armée ne labourent point leurs terres anciennement défrichées, bien loin d'en défricher de nouvelles. Les levées qu'on va en faire dépeupleront encore les campagnes. Que deviendra la colonie? Tout y manquera, principalement le blé. On avait eu jusqu'à présent l'attention de ne faire les levées qu'après le labour du printemps. Ce ménagement ne peut plus avoir lieu, puisqu'on fera la guerre pendant l'hiver, et que les armées doivent être rassemblées dès le mois d'avril. De plus, les Canadiens diminuent beaucoup; il en est mort un grand nombre de fatigues et de maladies. Il ne faut, ajoutait l'intendant, compter sur les sauvages qu'autant que nous serons supérieurs, et qu'on fournira à tous leurs besoins.» Telle était la situation des choses à la fin de 1755.

      Cependant la deuxième année depuis le commencement des hostilités en Amérique allait finir, et les deux peuples ne s'étaient pas encore adressés des déclarations de guerre formelles. La diplomatie restait toujours saisie des questions en litige. Le 21 décembre, M. Rouillé, ministre des affaires étrangères, adressa à M. Fox une lettre dans laquelle il demandait une réparation éclatante des insultes faites au pavillon français par les attaques dont il avait été l'objet, et déclarait qu'il regarderait un refus comme un dessein de troubler le repos de l'Europe. Le ministre anglais fit une réponse motivée, déclarant en termes modérés mais positifs, qu'il ne pourrait y satisfaire tant que la chaîne des forts élevés au nord-ouest des Apalaches subsisterait.

      Louis XV dut vaincre enfin ses dangereuses répugnances et se résoudre à la guerre. Dunkerque fut fortifié, les sujets anglais eurent ordre de sortir de France, leurs vaisseaux furent saisis dans les ports; on arma des escadres considérables, on menaça la Grande-Bretagne d'une descente. Celle-ci demanda des secours à la Hollande et au Hanovre. Mais ces menaces cachaient un autre projet, que le peuple anglais n'apprit que par la défaite de l'amiral Byng et la prise de l'île de Minorque.

      L'Europe, comme l'Amérique, ne retentissait plus maintenant que du bruit des armes. Le 17 mai l'Angleterre publia une déclaration de guerre contre la France, qui en publia une à son tour contre l'Angleterre dans le mois suivant. Ces actes n'étaient plus qu'une formalité puérile, qu'une ironie jetée au milieu d'un drame de sang.

      Les ministres français résolurent d'envoyer au Canada deux nouveaux bataillons comme le demandait M. de Vaudreuil, et des recrues pour compléter ceux qu'il y avait déjà, ainsi que des vivres et 1,300,000 livres en numéraire. L'envoi d'argent porta, contre toute attente, un préjudice grave à la colonie, comme nous l'avons observé en parlant de son commerce, en ce que sa circulation fit baisser le papier-monnaie et les lettres de change d'un quart.

      Le roi choisit le marquis de Montcalm, maréchal de camp, pour remplacer le général Dieskau. C'était un vieil officier qui comptait 35 ans de service, ayant embrassé l'état militaire en 1721 à l'âge de 14 ans. Il avait servi en Italie et en Allemagne, et assisté à la bataille de Plaisance et au sanglant combat de l'Assiette, où il était colonel. Il avait reçu cinq blessures dans ces deux actions. Il s'était aussi distingué sous le maréchal de Belle-Isle dans la fameuse retraite de Prague. Mais il avait tous les défauts des généraux de son temps; il était à la fois rempli de feu et de nonchalance, timide dans ses mouvemens stratégiques et audacieux au combat jusqu'à négliger les règles de la plus commune prudence; du reste, il était d'une bravoure personnelle à toute épreuve. Il s'embarqua pour le Canada avec le chevalier de Levis, brigadier, officier de distinction, M. de Bourlamarque, colonel du génie, des officiers d'artillerie, les deux bataillons qu'on y envoyait, formant 1000 hommes, et 400 recrues. Le général Montcalm débarqua à Québec vers le milieu de mai (1756); les renforts y arrivèrent dans le cours de ce mois et de celui de juin, avec les vivres et les munitions de guerre qu'on attendait avec impatience. Ces renforts, réunis aux seize cents soldats des quatre bataillons arrivés l'année précédente et aux troupes de la colonie, portaient toute l'armée régulière à un peu plus de 4000

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