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En violation de la promesse qui leur avait été faite, et, par un raffinement de barbarie sans exemple, les mêmes familles furent séparées et dispersées sur différens vaisseaux. Pour les embarquer, on rangea les prisonniers sur six de front, les jeunes gens en tête. Ceux-ci ayant refusé de marcher, réclamant l'exécution de la promesse d'être embarqués avec leurs parens, on leur répondit en faisant avancer contre eux les soldats la bayonnette croisée. Le chemin de la chapelle du Grand-Pré à la rivière Gaspareaux avait un mille de longueur; il était bordé des deux côtés de femmes et d'enfans qui, à genoux et fondant en larmes, les encourageaient en leur adressant leurs bénédictions. Cette lugubre procession défilait lentement en priant et en chantant des hymnes. Les chefs de famille marchaient après les jeunes gens. Enfin la procession atteignit le rivage. Les hommes furent mis sur des vaisseaux, les femmes et les enfans sur d'autres, pêle-mêle, sans qu'on prît le moindre soin pour leur commodité. Des gouvernemens ont ordonné des actes de cruauté dans un mouvement spontané de colère; mais il n'y a pas d'exemple dans les temps modernes de châtiment infligé sur tout un peuple avec autant de calcul, de barbarie et de froideur, que celui dont il est question en ce moment.

      Tous les autres établissemens des Acadiens présentèrent le même jour et à la même heure le même spectacle de désolation.

      Les vaisseaux firent voile pour les différentes provinces où devaient être jetés ces proscrits. On les dispersa sur le rivage depuis Boston jusqu'à la Caroline. Pendant plusieurs jours après leur départ, l'on vit les bestiaux s'assembler à l'entour des ruines fumantes des habitations de leurs maîtres, et le chien fidèle passer les nuits à pleurer, par ses longs hurlemens, la main qui lui donnait sa subsistance et le toit qui lui prêtait son abri. Heureux encore dans leur douleur, ils ignoraient jusqu'à quel excès l'avarice et l'ambition peuvent porter les hommes, et quels crimes elles peuvent leur faire commettre.

      La plupart des colonies anglaises reçurent les Acadiens avec humanité, comme pour protester contre la rigueur inexorable de leur gouvernement. Benezet, issu d'une famille française bannie à la révocation de l'édit de Nantes, les accueillit comme des frères à Philadelphie.

      Quelques-uns de ces exilés se réfugièrent ensuite à la Louisiane; d'autres à la Guyane française, et des Français, bannis eux-mêmes à Sinnamari, y trouvèrent en 1798, une famille acadienne qui les accueillit par ces paroles hospitalières: «Venez, dit madame Trion à l'un d'eux, nos parens furent bannis comme vous, ils nous ont appris à soulager le malheur: venez, nous éprouvons du plaisir à vous offrir dans nos cabanes un asile et des consolations.» (Barbé-Marbois).

      Dans la suite les Acadiens ont fondé un canton dans la Louisiane, auquel ils ont donné le nom toujours cher de leur ancienne patrie. Louis XV lui-même, touché de leur fidélité, fit proposer en vain par ses ministres à ceux de l'Angleterre d'envoyer des vaisseaux dans les provinces anglaises pour les ramener en France. M. Grenville s'empressa de répondre: «Notre acte de navigation s'y oppose, la France ne peut envoyer de vaisseaux dans nos colonies,» comme si cette loi avait été passée pour étouffer tout sentiment d'humanité. Néanmoins quelques-uns purent parvenir en France, et y forment aujourd'hui deux communes florissantes, où ils ont conservé leurs moeurs paisibles et agrestes dans les beaux oasis verts où ils se sont établis, et qui parsèment les landes de Bordeaux. Telle fut l'expatriation des Acadiens.

      L'Angleterre ne retira aucun avantage de cet acte de politique jalouse et ombrageuse, acte qui fit connaître aussi à tous les colons ce qu'était la pitié métropolitaine, et qui fournit un nouveau motif aux Canadiens, s'ils en avaient besoin, de défendre leur pays avec toute l'énergie dont ils étaient capables.

Tandis que le fer et la flamme changeaient en déserts les champs les plus fertiles de l'Acadie, le général Braddock faisait ses préparatifs pour rejeter les Français au-delà de la vallée de l'Ohio. Wills' Creek était le lieu qu'il avait donné pour rendez-vous à ses troupes, dans le voisinage des Apalaches. Il se mit en marche aux acclamations de la population. Sa petite armée formait, avec les bagages, une colonne de quatre milles de longueur; elle ne put avancer que fort lentement au milieu des rivières, des montagnes et des forêts. Le temps s'écoulait; il commença à craindre de ne pouvoir surprendre le fort Duquesne, où il savait qu'il y avait peu de monde. Inquiet de plus en plus il prit le parti, pour accélérer sa marche, de diviser ses forces en deux corps. Il laissa 1000 hommes sous les ordres du colonel Dunbar avec les gros bagages pour le suivre avec toute la célérité possible, et il se mit lui-même à la tête du second corps, composé de 1,200 hommes d'élite équippés à la légère, et prit les devans afin d'atteindre le point désiré avant que l'alarme y fut répandue. Le 9 juillet il traversait la rivière Monongahéla à environ trois lieues du fort Duquesne, et longeait avec rapidité sa rive méridionale se comptant déjà maître du poste français. Washington, qui servait alors avec le grade de colonel dans son état-major, aimait à raconter qu'il n'avait jamais vu de plus beau spectacle que la marche des troupes anglaises dans cette mémorable journée. Tous les soldats, d'une belle tenue, marchaient en colonnes; leurs armes d'acier poli étincelaient aux rayons du soleil. La rivière coulait paisiblement à leur droite, et à leur gauche d'immenses forêts les ombrageaient de leur solennelle grandeur. Officiers et soldats, personne ne doutait du succès 3; on marchait comme à un triomphe.

Note 3:(retour) Vie, correspondance et écrits de Washington, etc.

      A midi cette troupe si fière repassait par un second gué, à dix milles du fort Duquesne, sur la rive septentrionale de la Monongahéla, dans une plaine unie, élevée de quelques pieds seulement au-dessus de l'eau et d'un demi mille de largeur. A l'extrémité de cette plaine le terrain montait légèrement quelque temps, puis se terminait tout-à-coup par des montagnes très hautes. La route du gué au fort français traversait la plaine et cette hauteur, et se prolongeait ensuite au milieu d'un pays inégal et couvert de bois. Le colonel Gage formait l'avant-garde avec 300 hommes de troupes de ligne; un autre détachement de 200 hommes suivait, et le général venait ensuite avec le corps principal et l'artillerie.

M. de Contrecoeur commandait, comme on l'a dit déjà, au fort Duquesne. Un des partis qu'il tenait en campagne pour épier les mouvemens de l'ennemi, l'informa le 8 que les Anglais n'en étaient plus qu'à 6 lieues. Il se décida sur-le-champ à les attaquer en chemin, et il alla lui-même marquer la place où les troupes devaient s'embusquer (Documens de Paris). Le lendemain 253 Canadiens, dont 13 officiers, et 600 sauvages sortirent du fort Duquesne, à 8 heures du matin, sous les ordres de M. de Beaujeu, pour aller attendre au lieu indiqué le général Braddock et tomber sur lui à l'improviste. Cette troupe descendait le terrain légèrement incliné qui bordait la plaine dont l'on a parlé tout-à-l'heure lorsque le colonel Gage commençait à le monter. La tête des deux colonnes vint subitement en contact avant que les Français pussent arriver au lieu marqué pour l'embuscade. Ceux-ci cependant, moins troublés par cette rencontre imprévue que les Anglais, ouvrirent incontinent un feu très vif qui fit replier l'avant-garde ennemie. Ce mouvement rétrograde donna le temps à M. de Beaujeu de ranger son détachement en bataille. Profitant des hautes herbes dont la terre était couverte, il plaça les Canadiens à cheval sur le chemin en front de la colonne anglaise, et poussa les sauvages en avant de chaque côté de manière à former un demi-cercle. Les Anglais, revenus de leur première surprise, se remirent en marche en se dirigeant vers le centre de cette ligne concentrique. Lorsqu'ils arrivèrent près des Canadiens ils furent assaillis par une décharge de mousqueterie très meurtrière qui les arrêta encore tout court, et qui fut suivie d'une autre sur leur flanc droit qui augmenta leur consternation. Après quelques instans cependant, l'ordre se rétablit dans leurs rangs, et ils se mirent à tirer; leur artillerie, poussée rapidement en avant, ouvrit son feu; ce fut dans une des premières décharges de cette arme que M. de Beaujeu fut tué. M. Dumas prit aussitôt le commandement, et aidé de M. de Ligneris et des autres officiers, il tomba avec une extrême vigueur sur les ennemis, dont le feu de mousqueterie et surtout d'artillerie avait d'abord ébranlé les sauvages peu accoutumés à entendre des détonations si considérables. Mais, voyant les Canadiens tenir fermes en front, ils avaient aussitôt repris avec de grands cris leur place au pied des arbres qu'ils venaient d'abandonner. Les Français sans se découvrir, profitant habilement des accidens du terrain, resserraient de plus

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