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aux Anglais qui les menaçaient de les faire pendre. Quant au fort de Gaspareaux, une grande enceinte avec des pieux debout où il n'y avait qu'un officier et 19 soldats, ne pouvait être considérée comme un fort propre à soutenir un siège.» -Lettre au ministre, 1757.

      Ce qui nous reste à raconter de ce peuple intéressant, rappelle un de ces drames douloureux dont les exemples sont rares même aux époques barbares de l'histoire, alors que les lois de la justice et de l'humanité sont encore à naître avec les lumières de la civilisation.

      Sur 15 à 16 mille Acadiens qu'il y avait dans la péninsule au commencement de leur émigration, il n'en restait qu'environ 7,000 des plus riches, dont les moeurs douces ont fourni à Raynal un tableau si touchant et si vrai.

      «Peuple simple et bon, dit-il, qui n'aimait pas le sang, l'agriculture était son occupation. On l'avait établi dans des terres basses, en repoussant à force, de digues la mer et les rivières dont ces plaines étaient couvertes. Ces marais desséchés donnaient du froment, du seigle, de l'orge, de l'avoine et du maïs. On y voyait encore une grande abondance de pommes de terre dont l'usage était devenu commun.

      «D'immenses prairies étaient couvertes de troupeaux nombreux; on y compta jusqu'à soixante mille bêtes à cornes. La plupart des familles avaient plusieurs chevaux, quoique le labourage se fît avec des boeufs. Les habitations, presque toutes construites de bois, étaient fort commodes et meublées avec la propreté qu'on trouve quelquefois chez nos laboureurs d'Europe les plus aisés. On y élevait une grande quantité de volailles de toutes les espèces. Elles servaient à varier la nourriture des colons, qui était généralement saine et abondante. Le cidre et la bière formaient leur boisson. Ils y ajoutaient quelquefois de l'eau-de-vie de sucre.

      «C'était leur lin, leur chanvre, la toison de leurs brebis, qui servaient à leur habillement ordinaire. Ils en fabriquaient des toiles communes, des draps grossiers. Si quelqu'un d'entre eux avait un peu de penchant pour le luxe, il le tirait d'Annapolis ou de Louisbourg. Ces deux villes recevaient en retour du blé, des bestiaux, des pelleteries.

      «Les Français neutres n'avaient pas autre chose à donner à leurs voisins. Les échanges qu'ils faisaient entre eux étaient encore moins considérables, parce que chaque famille avait l'habitude et la facilité de pourvoir seule à tous ses besoins. Aussi ne connaissaient-ils pas l'usage du papier-monnaie, si répandu dans l'Amérique, septentrionale. Le peu d'argent qui s'était comme glissé dans cette colonie n'y donnait point l'activité qui en fait le véritable prix.

      «Leurs coeurs étaient extrêmement simples. Il n'y eut jamais de cause civile ou criminelle assez importante pour être portée à la cour de justice établie à Annapolis. Les petits différends qui pouvaient s'élever de loin en loin entre les colons étaient toujours terminés à l'amiable par les anciens. C'étaient les pasteurs religieux qui dressaient tous les actes, qui recevaient tous les testamens. Pour ces fonctions profanes, pour celles de l'Eglise, on leur donnait volontairement la vingt-septième partie des récoltes. Elles étaient assez abondantes pour laisser plus de faculté que d'exercice à la générosité. On ne connaissait pas la misère, et la bienfaisance prévenait la mendicité. Les malheurs étaient pour ainsi dire réparés avant d'être sentis. Les secours étaient offerts sans ostentation d'une part; ils étaient acceptés sans humiliation de l'autre. C'était une société de frères, également prêts à donner ou à recevoir ce qu'ils croyaient commun à tous les hommes.

      «Cette précieuse harmonie écartait jusqu'à ces liaisons de galanterie qui troublent si souvent la paix des familles. On ne vit jamais dans cette société de commerce illicite entre les deux sexes. C'est que personne n'y languissait dans le célibat. Dès qu'un jeune homme avait atteint l'âge convenable au mariage, on lui bâtissait une maison, on défrichait, on ensemençait des terres autour de sa demeure; on y mettait les vivres dont il avait besoin pour une année. Il y recevait la compagne qu'il avait choisie, et qui lui apportait en dot des troupeaux. Cette nouvelle famille croissait et prospérait à l'exemple des autres… Qui est-ce qui ne sera pas touché de l'innocence des moeurs et de la tranquillité de cette heureuse peuplade? continue l'éloquent écrivain. Qui est-ce qui ne fera pas des voeux pour la durée de son bonheur?»

      Vains souhaits! La guerre de 1744 commença les infortunes de ce peuple; celle de Sept ans consomma sa ruine totale. Depuis quelque temps les agens de l'Angleterre agissaient avec la plus grande rigueur; les tribunaux, par des violations flagrantes de la loi, par des dénis systématiques de justice, étaient devenus pour les pauvres habitans un objet à la fois de terreur et de haine. Le moindre employé voulait que sa volonté fût la loi. «Si vous ne fournissez pas de bois à mes troupes, disait un capitaine Murray, je démolirai vos maisons pour en faire du feu. Si vous ne voulez pas prêter le serment de fidélité, ajoutait le gouverneur Hopson, je vais faire pointer mes canons sur vos villages» Rien ne pouvait engager ces hommes honorables à faire un acte qui répugnait à leur conscience, et que, dans l'opinion de bien des gens, l'Angleterre n'avait pas même le droit d'exiger. «Les Acadiens, observe M. Haliburton, n'étaient pas des sujets britanniques, puisqu'ils n'avaient point prêté le serment de fidélité, et ils ne pouvaient être conséquemment regardés comme des rebelles; ils ne devaient pas être non plus considérés comme prisonniers de guerre, ni envoyés en France, puisque depuis près d'un demi siècle on leur laissait leurs possessions à à la simple condition de demeurer neutres.» Mais beaucoup d'intrigans et d'aventuriers voyaient ces belles fermes acadiennes avec un oeil de convoitise; quels beaux héritages! et par conséquent quel appât! Il ne fut pas difficile de trouver des raisons politiques pour justifier l'expulsion des Acadiens. La très grande majorité n'avait fait aucun acte pour porter atteinte à la neutralité; mais dans la grande catastrophe qui se préparait l'innocent devait être enveloppé avec le coupable. Pas un habitant n'avait mérité grâce. Leur sort fut décidé dans le conseil du gouverneur Lawrence, auquel assistèrent les amiraux Boscawen et Mostyn, dont les flottes croisaient sur les côtes. Il fut résolu de disperser dans les colonies anglaises ce qui restait de ce peuple infortuné; et afin que personne ne put échapper, le secret le plus profond fut ordonné jusqu'au moment fixé pour l'exécution de la sentence, laquelle aurait lieu le même jour et à la même heure sur tous les points de l'Acadie à la fois. On décida aussi, pour rendre l'exécution plus complète, de réunir les habitans dans les principales localités. Des proclamations, dressées avec une habileté perfide, les invitèrent à s'assembler dans certains endroits qui leur étaient désignés, sous les peines les plus rigoureuses. 418 chefs de famille, se fiant sur la foi britannique, se réunirent le 5 septembre dans l'église du Grand-Pré. Le colonel Winslow s'y rendit avec un grand appareil. Après leur avoir montré la commission qu'il tenait du gouverneur, il leur dit qu'ils avaient été assemblés pour entendre la décision finale du roi à leur égard; et que, quoique ce fût pour lui un devoir pénible à remplir, il devait, en obéissance à ses ordres, leur déclarer «que leurs terres et leurs bestiaux de toutes sortes étaient confisqués au profit de la couronne avec tous leurs autres effets, excepté leur argent et leur linge, et qu'ils allaient être eux-mêmes déportés hors de la province.» Aucun motif ne leur fut donné de cette décision. Un corps de troupes, qui s'était tenu caché jusque-là, sortit de sa retraite et cerna l'église: les habitans surpris et sans armes ne firent aucune résistance. Les soldats rassemblèrent les femmes et les enfans; 1023 hommes, femmes et enfans se trouvèrent réunis au Grand-Pré seulement. Leurs bestiaux consistaient en 1269 boeufs, 1557 vaches, 5007 veaux, 493 chevaux, 8690 moutons, 4197 cochons. Quelques Acadiens s'étant échappés dans les bois, on dévasta le pays pour les empêcher d'y trouver des subsistances. Dans les Mines l'on brûla 276 granges, 155 autres petits bâtimens, onze moulins et une église. Ceux qui avaient rendu les plus grands services au gouvernement, comme le vieux notaire Le Blanc, qui mourut à Philadelphie de chagrin et de misère en cherchant ses fils dispersés dans les différentes colonies, ne furent pas mieux traités que ceux qui avaient favorisé les Français. A leurs instantes prières, il fut permis aux hommes, avant de s'embarquer, de visiter, dix par dix, leurs familles, et de contempler pour la dernière fois ces champs fertiles où ils avaient joui de tant de paix et de bonheur, et qu'ils ne devaient plus revoir. Le 10 fut fixé pour l'embarquement. Une résignation calme avait succédé à leur premier désespoir. Mais lorsqu'il fallut s'embarquer, quitter pour jamais le sol natal, s'éloigner de ses

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