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désordre déjà grand qui régnait parmi eux, ils finirent par tomber dans une confusion complète. Tous les corps se trouvèrent serrés les uns contre les autres et confondus. Les soldats, tirant au hasard sans se reconnaître, tuaient leurs propres officiers et leurs camarades. Les milices furent les seules troupes qui montrèrent du calme et qui firent preuve d'autant de fermeté que de bravoure. Les Français choisissaient leurs victimes et visaient de sang-froid sur ces masses confuses qui semblaient tourbillonner sous la grêle de balles qui les accablait, et que le général Braddock s'efforçait vainement de former en pelotons et en colonnes, comme s'il eût été dans les plaines de la Flandre. Après trois heures de combat la tête de la colonne anglaise abandonna ses canons et se replia en désordre. Prenant ce mouvement pour une fuite, les Canadiens et les sauvages abordèrent l'ennemi la hache à la main, et l'enfoncèrent de toutes parts. Alors les Anglais lâchèrent partout le pied; on les poursuivit à travers la plaine en en faisant un grand carnage; un nombre considérable n'échappa au fer des vainqueurs que pour aller se noyer dans la Monongahéla en voulant traverser cette rivière à la nage. 4

Note 4:(retour) Mémoires sur la dernière guerre de l'Amérique septentrionale, par M. Pouchot.

      Dumas sachant que le colonel Dunbar n'était pas loin, et ne pouvant arracher du champ de bataille les Indiens qui s'y livraient au pillage, fit enfin suspendre la poursuite.

      Le carnage avait été presque sans exemple dans les annales de la guerre moderne (Sparks). Près de 800 hommes avaient été tués ou blessés sur les 1200 qui marchaient à la suite du général Braddock, dont 63 officiers sur 86. Ceux-ci avaient montré le plus grand courage pendant le combat, et fait des efforts incroyables pour rallier les troupes; plusieurs se firent tuer de désespoir. A l'exception du colonel Washington, tous les officiers qui combattaient à cheval furent tués ou blessés. Le général Braddock lui-même, après avoir eu trois chevaux tués sous lui, reçut un coup mortel. Le malheureux général, qui était mourant, fut mis d'abord dans un tombereau, puis à cheval et enfin porté par les soldats. Il expira quatre jours après la bataille, et fut enterré sur le bord du chemin auprès du fort de la Nécessité, à l'entrée du désert. C'était un officier expérimenté et plein de bravoure; mais arrogant, méprisant son ennemi, les milices américaines et les Indiens. Il eut la mortification de voir, avant de mourir, ses réguliers prendre la fuite pendant que les Virginiens combattaient comme de vieux soldats avec la plus grande intrépidité.

      Les troupes en déroute rencontrèrent le colonel Dunbar à 40 milles de la Monongahéla; elles communiquèrent leur terreur aux soldats que cet officier avait sous ses ordres. Dans un instant ce corps de réserve se débanda. L'artillerie fut détruite; les munitions et les gros bagages furent brûlés sans que personne sut d'après quels ordres, et tout le monde se mit à fuir, ceux qui avaient combattu comme ceux qui n'avaient pas combattu. La discipline et le calme ne se rétablirent un peu que lorsque les fuyards, harassés et éperdus, arrivèrent au fort Cumberland dans les Apalaches. Le colonel Washington écrivit: «Nous avons été battus, honteusement battus par une poignée de Français qui ne songeaient qu'à inquiéter notre marche. Quelques instans avant l'action, nous croyions nos forces presqu'égales à toutes celles du Canada; et cependant, contre toute probabilité, nous avons été complètement défaits, et nous avons tout perdu.»

      Les Français firent un riche butin. Tous les bagages des vaincus, qui étaient considérables, leurs vivres, 15 bouches à feu, une grande quantité d'armes et de munitions de guerre, la caisse militaire et tous les papiers du général Braddock qui dévoilèrent les projets de l'Angleterre, et que le duc de Choiseul adressa ensuite dans un mémoire aux diverses cours de l'Europe, tombèrent entre leurs mains. Ils trouvèrent aussi sur le champ de bataille, parmi une grande quantité de chariots brisés, 4 à 500 chevaux dont une partie avait été tuée et nageait dans le sang au milieu des morts et des blessés.

      Cette victoire ne coûta aux Français qu'une quarantaine d'hommes, outre la perte de M. de Beaujeu qui fut vivement regretté et par les Canadiens, ses compatriotes, et par les tribus indiennes.

      Ainsi se termina la bataille de la Monongahéla, l'une des plus mémorables de l'histoire américaine. Les troupes battues ne se rassurèrent complètement que lorsqu'elles furent parvenues à Philadelphie, où elles prirent leurs quartiers d'hiver. La nouvelle de ce désastre jeta les colonies anglaises, exposées aux courses des bandes canadiennes, dans l'effroi et la consternation. Les provinces de la Pennsylvanie, du Maryland et de la Virginie se trouvèrent ouvertes aux incursions des Indiens. Les frontières furent abandonnées et l'alarme se répandit au-delà des montagnes et jusque dans les établissement des bords de la mer, qui craignirent un instant d'être attaqués, et où les prédicateurs montèrent dans tes chaires pour rassurer les populations effrayées et ranimer leur courage (Vie de Washington).

      Le gain de cette bataille assura la possession de l'Ohio aux Français, du moins pour cette campagne, comme la défaite du colonel Washington, au fort de la Nécessité, la leur avait assurée l'année précédente.

      Tandis que ces événemens se passaient A l'extrémité méridionale du Canada, les troupes anglaises destinées pour en attaquer les parties centrales, c'est-à-dire Niagara et St-Fréderic, se réunissaient à Albany. Elles partirent de cette ville au nombre de 5 à 6 mille hommes sous les ordres du général Lyman, pour le portage entre la rivière Hudson et le lac St. – Sacrement, suivies du colonel Johnson qui venait avec l'artillerie, les bateaux, les vivres et tout le matériel nécessaire pour le siège du fort St. – Frédéric. Arrivé au portage, le général Lyman fit commencer le fort Edouard, sur la rive gauche de l'Hudson, pour lui servir de base d'opération, en même temps que le colonel Johnson, marchant toujours, poussait jusqu'à la tête du lac St. – Sacrement où il établit son camp. Il pressait le transport des bateaux au lac, impatient d'aller s'assurer de l'important passage de Carillon avant que les Français s'y fussent fortifiés, lorsqu'il apprit qu'ils venaient eux-mêmes pour l'attaquer dans ses retranchemens.

      Nous avons parlé ailleurs de l'inquiétude que l'apparition de Johnson sur le lac St-Sacrement avait causée à M. de Vaudreuil, et nous avons mentionné que ce gouverneur avait aussitôt fait abandonner l'attaque d'Oswégo pour s'opposer à ses progrès. C'est en conséquence de cet ordre que Dieskau se trouvait le 1er septembre à St. – Frédéric avec un corps de 3000 hommes. Ce général attendait une occasion favorable pour agir, lorsqu'il apprit que les ennemis ne seraient pas encore prêts de sitôt à marcher en avant, que le fort Edouard était peu avancé, et qu'il serait assez facile de s'emparer, par un coup de main, de ce poste qui était très important, vu qu'il renfermait les magasins des troupes de Johnson. Il résolut sur-le-champ de le surprendre.

Il partit donc de St. – Frédéric avec ses 3000 hommes. Rendu à Carillon, il y en laissa 1,500 pour assurer sa retraite en cas d'échec, et avec le reste, composé d'environ 220 réguliers, 680 Canadiens commandés par M. de Repentigny, 600 sauvages sous les ordres de M. de St. – Pierre, et des vivres pour huit jours. Il continua sa route quoiqu'il eût été informé à Carillon que 900 Américains étaient retranchés sous les murs de la place qu'il allait attaquer. Mais Dieskau, comme le général Braddock, n'avait que du mépris pour la milice; il négligea les précautions que cet avis aurait dû lui faire prendre, et les instructions de M. de Vaudreuil, qui lui recommandaient expressément dans tous les cas d'attaquer avec toutes ses forces sans jamais les diviser. 5 Les Canadiens et tes sauvages le blâmèrent de laisser la moitié de ses soldats à Carillon. 6 Mais il brûlait du désir d'éclipser, par quelque action d'éclat, la victoire de l'Ohio, car déjà l'on voyait naître, entre les troupes du pays et celles de France, une jalousie trop encouragée par les officiers généraux pour ne pas aller toujours en augmentant jusqu'à la fin de la guerre. 7 Craignant qu'un plus grand nombre d'hommes ne retardât sa marche, il ne voulut pas écouter ces sages conseils, dont l'oubli fut la première cause de sa ruine.

Note 5:(retour) Instructions de M. de Vaudreuil ou général Dieskau: Documens de Paris. – Les mémoires sur les affaires du Canada depuis 1749 jusqu'à

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