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Le fort Bull était palissadé et garni de meurtrières. Sa prise offrit ceci de remarquable, que les meurtrières au lieu d'être une protection pour la garnison, servirent au contraire aux assaillans qui s'en emparèrent avant que les premiers pussent s'y placer, et tirèrent par ces ouvertures du dehors en dedans de l'enceinte. Les palissades ayant été coupées à coups de hache, la maison fut prise d'assaut, et tous ceux qui la défendaient furent passés au fil de l'épée.

Dès le petit printemps, M. de Vaudreuil envoya M. de Villiers avec 900 hommes pour observer les environs d'Oswégo et y inquiéter les Anglais. Ce détachement eut plusieurs escarmouches. Le 3 juillet, il attaqua un convoi de 3 à 400 bateaux qui revenait de porter des armes et des vivres dans cette place; il le dispersa, tua beaucoup de monde, leva des chevelures et fit quantité de prisonniers. 14

Note 14:(retour) Lettre de M. de Montcalm au ministre, du 20 juillet 1756. Il dit que l'avantage aurait été plus considérable si les sauvages n'avaient pas attaqué trop tôt. Lettre de M. de Vaudreuil, du 30 août. La plupart des historiens américains ne parlent point de cette surprise. Smollett rapporte que les Anglais étaient commandés par le colonel Bradstreet, qu'ils défirent complètement leurs assaillans après un combat de trois heures, et firent 70 prisonniers. Mais le grave et savant Sismondi, parlant de Smollett, observe qu'il n'a écrit en général que sur des rapports de gazette et qu'il mérite peu de croyance.

      Cependant l'expédition d'Oswégo fut définitivement résolue, et l'armée reçut ordre de faire ses préparatifs pour se mettre en mouvement. C'est alors que le public crut s'apercevoir d'un refroidissement entre le gouverneur et le commandant des troupes. Ces deux chefs s'étaient plus d'abord; mais la différence de caractère, et des personnes intéressées peut-être à les diviser, les éloignèrent l'un de l'autre. Il n'y eut dans les commencemens que leurs amis intimes qui s'aperçurent de ce changement, qui devait être si funeste dans la suite. Plus tard cette désunion devint apparente pour tout le monde.

      Le général Montcalm, par un fatal pressentiment, ne crut jamais au succès de la guerre, comme ses lettres ne le laissent que trop entrevoir; de là une apathie qui lui aurait fait négliger tout mouvement agresseur, sans M. de Vaudreuil, qui, soit par conviction, soit par politique, ne parut au contraire jamais désespérer, et conçut et fit exécuter les entreprises les plus glorieuses qui aient signalé cette guerre pour les Français. Tel était cependant le progrès des idées de Montcalm dans l'armée, que le gouverneur disait (lettre aux ministres) après la prise d'Oswégo, que s'il se fût arrêté à tous les propos inconsidérés qu'on tenait à ce sujet, il aurait été obligé de renoncer à une entreprise qui devait déranger si profondément tous les plans des généraux anglais. En effet le général Montcalm ne l'approuvait qu'à demi; il avait des doutés sur le succès, et s'en exprima ainsi dans une dépêche: «L'objet qui me fait passer à Frontenac, disait-il, est un projet qui m'a paru assez militaire, si toutes les parties de détail sont assez bien combinées, et je pars sans en être ni assuré ni convaincu.»

      Le fort Oswégo, bâti par les Anglais sur la rive droite du lac Ontario pour protéger leur commerce et les établissemens qu'ils voulaient former entre l'Hudson et ce lac, acquérait en temps de guerre une double importance par sa position. Il servait d'un côté à contenir les tribus iroquoises, et il menaçait de l'autre les communications entre l'extrémité inférieure et l'extrémité supérieure du Canada. De plus les Anglais pouvaient, de ce point, attaquer le fort Frontenac et s'emparer du commandement du lac Ontario. Il était donc important de se rendre maître de cette position, et de les rejeter dans la vallée de l'Hudson. C'est ce que le gouvernement français avait senti, et ce que M. de Vaudreuil voulut exécuter.

      Ce gouverneur, qui avait dirigé une partie des préparatifs, avait si bien pris ses mesures que l'armée surprit pour ainsi dire les ennemis, que les détachemens, tenus aux environs de ce lieu, avaient empêchés de pousser des reconnaissances au loin. Il avait réuni 3000 hommes à Carillon, et Montcalm s'y était rendu avec ostentation pour attirer leurs regards de ce côté. Tandis qu'ils croyaient encore ce général, qu'ils redoutaient, sur le lac Champlain, celui-ci était revenu soudainement à Montréal; et 3 jours après, le 21 juillet, il partait pour aller se mettre à la tête des troupes expéditionnaires réunies à Frontenac, sous les soins immédiats, de M. de Bourlamarque. M. de Rigaud fut chargé du commandement du camp d'observation formé par M. de Villiers à Niaouré, à 15 lieues d'Oswégo, et qui devait protéger d'abord le débarquement de l'armée sur la rive méridionale du lac, et ensuite former l'avant-garde. Pour ne pas éprouver d'obstacles de la part des Iroquois, une partie de leurs principaux guerriers avait été attirée à Montréal, et une autre à Niagara, où ils servirent d'otages pour la conduite de la confédération. Deux barques de 12 à 16 canons furent mises en croisière devant Oswégo, et une chaîne de découvreurs fut établie entre ce fort et Albany pour intercepter les courriers.

Le général Montcalm arriva à Frontenac le 29 juillet. Le 4 août la première division de l'armée, forte de 2 bataillons et de 4 bouches à feu, s'embarqua et atteignit Niaouré le 6. La seconde ou dernière division y arriva le 8; elle était formée d'un bataillon de réguliers et d'un corps de Canadiens, avec plus de 80 bateaux chargés d'artillerie, de bagages et de vivres. Ces troupes réunies formaient environ 3,100 hommes, dont 1,350 réguliers, 1,500 Canadiens et soldats de la colonie, et 250 sauvages. 15 De la baie de Niaouré l'armée, pour dérober sa marche, cheminant de nuit seulement et se retirant le jour dans les bois sur le rivage, après avoir couvert ses bateaux de feuillages épais, alla débarquer, le 10, dans une anse à une demi-lieue de la place qu'on allait attaquer, sous la protection de l'avant-garde, qui avait continué son chemin par terre, et qui investit le lendemain le fort Ontario.

Note 15:(retour) Les auteurs américains disent 5000. Nous donnons les chiffres officiels.

      Les ouvrages défensifs d'Oswégo consistaient en trois forts; le fort Oswégo proprement dit, dont les remparts étaient garnis de 18 pièces de canon et 15 mortiers ou obusiers; le fort Ontario élevé tout récemment au milieu d'un plateau dans l'angle formé par la rive droite de la rivière qui avait donné son nom au principal fort, et le bord du lac, et le fort George situé sur une hauteur à 300 toises de celui d'Oswégo qu'il dominait; ce dernier n'était qu'un mauvais retranchement en terre garni de pieux, et défendu par quelques pièces de canon. Ces diverses fortifications avaient une garnison d'environ 16 à 17 cents hommes des régimens de Shirley, Pepperrell et Schuyler, noms populaires depuis l'expédition de Louisbourg, et elles étaient commandées par le colonel Mercer.

      Les Français ayant établi leur camp dans l'anse où ils étaient débarqués, employèrent les journées des 11 et 12 à percer un chemin dans un bois marécageux jusqu'au fort Ontario, pour le passage des troupes et de l'artillerie. Le colonel de Bourlamarque fut chargé de la direction du siège. La tranchée, ouverte à 90 toises de ce dernier fort, malgré un feu d'artillerie et de mousqueterie très vif des assiégés, reçut six pièces de canon. Le colonel Mercer, qui s'était transporté dans ce fort, ne voulant pas attendre l'assaut, et ayant épuisé ses munitions, fit enclouer les canons et l'évacua. Les Français y entrèrent aussitôt. Mercer envoya alors 370 hommes pour tenir la communication ouverte entre le fort George, où commandait le colonel Schuyler, et le fort Oswégo où il se retira lui-même. Mais M. de Rigaud ayant passé la rivière à la nage avec un corps de Canadiens et de sauvages, le 14 au point du jour, chassa ces troupes et s'établit entre les deux forts, jetant, par ce mouvement hardi, l'intimidation parmi les assièges; et les séparant en deux. Cette manoeuvre fut suivie de l'établissement d'une batterie de 9 canons sur le bord de l'escarpement de la rivière, du côté opposé au fort Oswégo, laquelle ouvrant un feu plongeant dans les retranchemens qu'il y avait autour de cette place, frappait les soldats découverts jusqu'aux genoux et leur ota toute espérance de s'y maintenir. A sept heures du matin le colonel Mercer avant été tué, quelques heures après les assiégés demandèrent à capituler. La rapidité des travaux du siège, le passage audacieux de la rivière qui leur ôtait toute retraite, la mort de leur commandant, tout contribua à les décider à prendre une résolution que les assiégeant n'osaient pas espérer sitôt, car les Anglais avaient, à peu de distance,

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