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bout de dix ans, il était riche, il aimait sa femme comme au premier jour, et il avait un fils, Pascal…

      Malheureux homme!.. Un jour, en plein bonheur, comme il cherchait une combinaison pour fixer des verts d’une innocuité parfaite, un mortier éclata entre ses mains et lui fit à la tête et à la poitrine d’horribles blessures…

      Et quinze jours plus tard, il mourait, calme en apparence, mais l’âme déchirée d’horribles regrets…

      Ce coup fut terrible pour la malheureuse femme, et il fallut la pensée de son fils pour la rattacher à la vie…

      Pascal devenait tout pour elle, le présent et l’avenir… Elle se jura qu’elle en ferait un homme!..

      Mais hélas!.. un malheur ne vient jamais seul.

      Un ami de son mari qui s’était chargé d’administrer sa fortune, abusa lâchement de son inexpérience. Elle s’était endormie riche de plus de 15,000 livres de rentes, elle s’éveilla ruinée… ruinée à ne savoir où dîner le soir.

      Seule, elle eût été à peine émue de cette catastrophe.

      Elle en fut atterrée en réfléchissant que l’avenir de son fils était peut-être perdu, et que, dans tous les cas, ce désastre le condamnait à entrer dans la vie par les portes basses et étroites de la misère.

      Mais Mme Férailleur avait le cœur trop haut et trop fier pour ne pas trouver en ce péril extrême une énergie virile.

      Elle ne perdit pas en lamentations inutiles des moments précieux. Elle se dit qu’elle réparerait le mal autant qu’il était en elle, et que, lui fallût-il travailler de ses mains, son fils n’interromprait pas ses études au collége Louis-le-Grand.

      Et quand elle parlait de travailler de ses mains, ce n’était pas une de ces exagérations vaines de la douleur ou d’un éclair de courage.

      Elle s’employa à faire des ménages ou à des coutures grossières jusqu’au jour où elle put être admise en qualité de surveillante dans l’établissement dont son mari avait été l’associé.

      Pour obtenir cette place, elle avait dû apprendre la tenue des livres, mais elle s’en trouvait amplement récompensée. Cela lui valait dix-huit cents francs par an, le logement et la table.

      Dès lors, son cœur se desserra. Elle comprit qu’elle mènerait à bonne fin sa lourde tâche.

      La pension de Pascal, qui fut désormais interne, lui coûtait environ neuf cents francs, tout compris; elle ne dépensait pas pour elle plus de cent francs; c’était donc huit cents francs qu’elle pouvait mettre de côté chaque année.

      Il faut reconnaître qu’elle fut secondée par son fils au-delà de toute espérance.

      Pascal avait douze ans le jour où sa mère lui dit d’une voix émue, mais ferme:

      – Je t’ai ruiné! mon fils… De cette fortune si laborieusement édifiée par ton père, rien ne nous reste… Tu n’as plus désormais à compter que sur toi, mon fils… Dieu veuille que plus tard tu ne me reproches pas amèrement mon imprudence…

      L’enfant ne se jeta pas dans ses bras…

      Il redressa la tête, et d’un air fier:

      – Mère chérie, répondit-il, je t’aimerai davantage, s’il est possible… Cette fortune que mon père t’avait donnée, je te la rendrai… Je ne suis plus un collégien, je suis un homme… tu verras.

      On vit, en effet, qu’il avait pris un engagement sacré.

      Abusant jusque-là d’une remarquable intelligence et d’une prestigieuse facilité, il travaillait peu et seulement par accès, au moment des compositions générales…

      De ce moment, il ne perdit plus une heure. Ses allures, comiques et touchantes à la fois, devinrent celles d’un chef de famille soucieux de sa responsabilité.

      – Voyez-vous, disait-il à ses camarades étonnés de sa soudaine âpreté à l’étude, je n’ai plus le loisir d’user beaucoup de culottes sur les bancs de l’Université, maintenant que ma pauvre mère les paye de son travail!..

      Car sa bonne humeur ne fut pas altérée de ce qu’il s’était imposé la loi de ne jamais dépenser un sou des quelques francs affectés chaque semaine à ses menus plaisirs.

      Et avec un tact bien supérieur à son âge, il sut porter fièrement et simplement son malheur, évitant aussi bien l’humilité qui a un faux air de bassesse que le ton rogue de la pauvreté envieuse.

      Trois ans de suite, des prix au grand concours récompensèrent ses efforts. Ce succès, loin de l’enivrer, lui fit à peine plaisir.

      – Ce n’est que glorieux, pensait-il.

      Sa grande, sa première ambition était de se suffire.

      Il y parvint lorsqu’il était en rhétorique, grâce à la bienveillance du proviseur, en donnant des répétitions à des élèves des classes inférieures.

      Si bien qu’un jour, Mme Férailleur s’étant présentée comme d’ordinaire à l’économat pour régler le trimestre, l’économe lui répondit:

      – Vous ne nous devez rien, madame; tout a été payé par votre fils…

      Elle faillit s’évanouir, faible devant le bonheur, elle qui avait si courageusement supporté l’adversité. Elle pouvait à peine croire… il lui fallut de longues explications. Et alors de grosses larmes, larmes de joie cette fois, jaillirent de ses yeux.

      C’est ainsi que Pascal Férailleur arriva à la fin de ses études, tout armé pour les luttes qui l’attendaient, et ayant fait ses preuves.

      Il voulait être avocat, et c’est là, il ne se le dissimulait pas, une profession presque inabordable pour les jeunes gens qui n’ont pas de fortune…

      Mais pour qui veut fortement, pour qui sait surtout vouloir chaque matin la même chose précisément que la veille, il n’est pour ainsi dire pas d’obstacles insurmontables.

      Le jour où il prit sa première inscription, Pascal entrait comme clerc surnuméraire chez un avoué.

      Cette besogne de basoche, si fastidieuse au début, devait lui offrir ce double avantage de le rompre aux manœuvres de la procédure et de lui fournir de quoi vivre et de quoi payer ses examens.

      Dès le milieu de la première année, il avait 800 francs d’appointements. Il en obtint 1,500 à la fin de la seconde. Après trois ans, et lorsqu’il venait de passer sa thèse, son patron l’éleva au grade de maître clerc avec un traitement de 3,000 francs, qu’il augmentait encore en préparant des dossiers pour des avocats très-occupés, ou en rédigeant des mémoires pour des particuliers…

      Certes, en arriver là et en si peu de temps tenait presque du prodige, et pourtant le plus difficile restait à accomplir.

      Le périlleux était d’abandonner une position sûre, pour courir les hasards du barreau.

      Décision grave à prendre, si grave que Pascal hésita longtemps.

      Il se sentait menacé du danger que se préparent les lieutenants trop utiles à leur chef. Son patron, accoutumé à se décharger sur lui de ses plus lourds soucis, lui pardonnerait-il de le quitter?

      Or, il était indispensable qu’en s’établissant il conservât les bonnes grâces de l’avoué. La clientèle que ne pouvait manquer de lui amener une étude où il avait régné quatre ans était la plus solide base de ses calculs d’avenir.

      Il réussit à sa satisfaction, non sans quelques tiraillements pourtant, et en n’employant que cette suprême finesse qui s’appelle la franchise absolue.

      Il n’y avait pas quinze jours qu’il avait ouvert son cabinet, que déjà sept ou huit dossiers attendaient leur tour sur son bureau.

      Ses débuts furent de ceux qui font sourire les vieux juges et leur arrachent cette précieuse

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