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La vie infernale. Emile Gaboriau
Читать онлайн.Название La vie infernale
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Emile Gaboriau
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Et en ce moment, chez lui, assis dans son fauteuil, entouré d’objets familiers, il ne pouvait parvenir à rentrer en possession de lui-même.
Sa pensée flottante, comme le liége sur l’eau, se dérobait à sa volonté et lui échappait… Un invincible engourdissement de plus en plus le dominait.
Il eut bien juste la force de se jeter sur son lit, et aussitôt il s’endormit d’un sommeil de plomb, le sommeil des grandes crises, qu’on a observé même chez quelques condamnés à mort, la veille de leur exécution.
A quatre ou cinq reprises sa mère vint écouter à la porte, une fois même elle entra, et voyant son fils si profondément endormi, elle ne put s’empêcher de sourire.
– Pauvre Pascal, pensait-elle, il ne peut supporter d’autres excès que ceux du travail. Dieu! va-t-il être surpris et honteux quand il se réveillera…
Hélas! ce n’était pas la confusion d’une légère faiblesse, mais le désespoir qui attendait ce malheureux à son réveil…
D’un seul coup, tout d’un bloc et comme en une vision, son imagination lui retraça la scène de la nuit, lui représenta le présent et lui montra l’avenir…
Sans avoir le plein et libre exercice de ses facultés, il était du moins capable de réfléchir et de délibérer. Il essaya d’évaluer courageusement la situation.
Tout d’abord, quant aux événements passés, il n’eut pas l’ombre d’un doute. Il était, ainsi qu’il l’avait dit, tombé dans un piége ignoble. Qui l’y avait poussé?.. M. de Coralth qui, placé à sa gauche, avait préparé les «mains» avec lesquelles il avait gagné. Cela lui semblait évident.
Il lui parut également prouvé que Mme d’Argelès connaissait le coupable, soit qu’elle l’eût surpris, soit qu’elle eût été mise dans la confidence.
Mais ce qui échappait à son intelligence, c’était le mobile de M. de Coralth.
Quel intérêt l’avait poussé à cette abominable action?.. Il fallait qu’il fût considérable, car enfin il s’était exposé à être vu trichant, et à passer à tout le moins pour un complice…
Puis encore, quelle raison avait fermé la bouche de Mme d’Argelès?..
Mais à quoi bon ces conjectures illusoires!..
Le fait brutal, positif, réel, c’est que l’infamie avait réussi, de quelque part qu’elle partit et quel que fût son mobile… Et Pascal était déshonoré.
Il était l’honnêteté même, et cependant il était accusé, plus que cela, convaincu d’avoir volé au jeu.
Il était innocent, et il n’apercevait pas de preuves à donner de son innocence. Il connaissait le coupable, et il ne voyait aucun moyen de le démasquer, ni même de l’accuser…
Quoi qu’il fît, cette calomnie atroce, inouïe, incompréhensible l’écrasait; le barreau lui était fermé, sa carrière était brisée…
A cette horrible conviction, que l’abîme était sans issue, il sentit vaciller sa raison… il sentit qu’il devenait incapable de rien décider et qu’il lui fallait les conseils d’un ami.
Plein de cette idée, il se hâta de changer de vêtements et s’élança hors de sa chambre…
Sa mère le guettait, disposée à le railler doucement, mais d’un seul coup d’œil elle vit bien qu’il était survenu quelque chose de terrible, et que le malheur était sur la maison…
– Pascal, s’écria-t-elle, au nom du ciel! que t’arrive-t-il?
– Une contrariété, la moindre des choses.
– Où vas-tu?..
– Au Palais…
C’est au Palais qu’il se rendait, en effet, espérant y rencontrer son plus intime ami.
Contre son habitude, il prit le petit escalier de droite, au bas duquel se trouve le bureau des amendes, et qui débouche dans la salle des Pas-Perdus.
Au milieu de la salle, des avocats en robe causaient… Ils semblèrent stupéfaits en apercevant Pascal, et se turent… Les visages devinrent sérieux, les têtes se détournèrent avec un visible dégoût.
Le malheureux comprit. Il se frappa le front d’un geste de fou, en s’écriant:
– Déjà!.. déjà!..
Et il passa. Il n’avait pas aperçu son ami dans le groupe, et il courait à la petite salle des conférences…
Cinq avocats s’y trouvaient. Dès que Pascal entra, deux s’esquivèrent, et les deux autres affectèrent de donner toute leur attention à un dossier ouvert sur la table.
Le cinquième, qui ne bougea pas, n’était point l’ami cherché, mais c’était un ancien camarade de Louis-le-Grand nommé Dartelle. Pascal marcha droit à lui.
– Eh bien?.. demanda-t-il.
Dartelle lui tendit un Figaro humide encore de la presse, et cependant froissé comme s’il eût passé en plus de cent mains.
– Lis!
Pascal lut:
«Grand émoi et scandale énorme cette nuit, à l’hôtel de Mme d’A… une vieille étoile de première grandeur.
«Une vingtaine de gentilshommes haut titrés et très-rentés s’entretenaient en joie et santé, grâce aux émotions d’un bac des plus corsés, quand on crut remarquer que M. X… gagnait extraordinairement.
«Surveillé, ledit X… fut pris la main dans le sac, au moment où avec une rare dextérité il coulait parmi les cartes une triomphante portée.
«Accablé par l’évidence, il se laissa fouiller et rendit sans trop de mauvaise grâce le fruit du travail de ses mains, deux mille louis environ.
«L’étrange de ce scandale, c’est que M. X… qui est avocat, jouit au Palais d’une grande réputation d’austérité et d’intégrité. Et malheureusement cette… espièglerie ne saurait être attribuée à une minute de vertige, le fait des cartes préparées constitue une préméditation au premier chef.
«Un qui n’était pas content, c’était le vicomte de C… qui avait présenté M. X… Aussi a-t-il relevé trop vivement un propos inoffensif de M. de R… Au petit jour, ces messieurs parlaient de croiser le fer ailleurs.
«DERNIÈRES NOUVELLES. – Nous apprenons, au moment de mettre sous presse, qu’une rencontre a eu lieu entre M. de R… et de C… M. de R… a reçu un coup d’épée au côté, mais son état n’inspire aucune inquiétude…»
Le journal s’échappa des mains de Pascal. Son visage était plus décomposé que s’il eût vidé une coupe de poison.
– C’est une infâme calomnie, fit-il d’une voix étranglée, je suis innocent, je le jure sur l’honneur!..
L’autre détourna la tête, mais non si vivement que Pascal ne pût lire dans ses yeux l’expression d’un atroce mépris.
Alors il se sentit condamné, il eut le sentiment de l’irrévocable, il jugea qu’il n’était plus d’espoir.
– Je sais ce qui me reste à faire!.. murmura-t-il.
Dartelle aussitôt se retourna; des larmes brillaient entre ses cils.
Il prit les mains de Pascal et les serra avec une douloureuse effusion, comme on fait à un ami qui va mourir…
– Courage!.. murmura-t-il.
Pascal sortit comme un fou.
– C’est cela, se répétait-il, en courant le long du boulevard Saint-Michel, il n’y a plus que cela.
Arrivé chez lui, il s’enferma à double tour dans