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de Chalusse, la fille de Mlle Hermine?..

      Mme Vantrasson secoua la tête.

      – Rayez cela de vos papiers, prononça-t-elle. M. le comte a dit que sa sœur était morte pour lui la nuit où elle n’est enfuie…

      – Qui donc serait cette jeune fille, alors?

      – Dame!.. je ne sais pas, moi. Comment est-elle?

      – Assez grande, brune.

      – Son âge?

      – Dix-huit ou dix-neuf ans.

      La mégère se livra, sur ses doigts, à un rapide calcul.

      – Neuf et quatre treize, grommelait-elle, et cinq dix-huit… Eh! eh!.. pourquoi pas!.. Il faudra que j’aille voir cela.

      – Plaît-il?..

      – Rien… c’est une réflexion que je fais à part moi. Savez-vous son nom, à cette demoiselle?

      – Marguerite.

      Le visage de la Vantrasson se rembrunit.

      – Non… ce n’est pas cela, murmura-t-elle d’une voix à peine distincte.

      M. Fortunat était sur ses charbons ardents. Il était clair que cette affreuse créature, si elle ne savait rien de précis, avait au moins une idée, des soupçons vagues. Comment la faire parler, maintenant qu’elle était sur ses gardes?

      Il n’eut pas le loisir de chercher un expédient; la porte du taudis s’ouvrit, et le maître, Vantrasson en personne, parut sur le seuil.

      Parti aviné, il revenait ivre; sorti d’un pas lourd, il rentrait titubant.

      – Ah!.. scélérat! glapit la mégère, brigand!.. tu as bu.

      Il réussit à se maintenir en équilibre, et toisant sa femme avec ce flegme particulier aux ivrognes:

      – Eh bien!.. après!.. fit-il. On ne peut donc plus rire avec les amis?.. J’en ai rencontré deux qui avaient touché leur quinzaine, fallait-il refuser une politesse?

      – Tu ne peux plus te tenir debout.

      – Ça, c’est vrai! répondit-il.

      Et pour le prouver, il se laissa choir sur une chaise.

      Quelles menaces mâchonnait la Vantrasson? M. Fortunat ne distingua guère que les mots de «volée» et de «mouchard.» Mais aux regards qu’elle adressait alternativement à son mari et à lui, il ne pouvait guère se méprendre.

      «Tu as du bonheur, toi, disaient clairement ces regards, que mon mari soit en cet état, on se serait expliqué, sans cela, et on aurait vu…»

      – Je l’échappe belle! pensa le faux clerc.

      Mais il n’y avait rien à craindre, c’était le cas de se montrer brave.

      – Laissez donc votre homme tranquille, dit-il. S’il a seulement rapporté le papier timbré qu’il était allé chercher, je n’aurai pas perdu ma soirée pour vous obliger.

      Vantrasson rapportait, non pas une feuille, mais deux. Une idée d’ivrogne. On trouva une mauvaise plume et de l’encre boueuse, et M. Fortunat se mit à rédiger une reconnaissance, selon les conventions arrêtées. Mais il fallait écrire le nom du créancier dont il avait parlé, il ne voulait pas mettre le sien, il mit celui de Chupin (Victor), lequel, en ce moment, mouillé et transi à la porte, ne se doutait guère du mauvais tour qu’on lui jouait.

      – Chupin!.. répétait l’hôtesse du «garni modèle,» afin de bien graver ce nom dans sa mémoire… Victor Chupin!.. On le verra, celui-là…

      L’acte rédigé, il fallut réveiller Vantrasson pour le signer.

      Il s’y prêta de bonne grâce, et la femme apposa sa signature près de celle de son mari.

      Alors, M. Fortunat remit en échange le billet qui lui avait servi de prétexte.

      – Et surtout, recommanda-t-il encore, en ouvrant la porte pour se retirer, surtout n’oubliez pas l’à-compte à verser tous les mois…

      – Oui, va!.. compte là-dessus!.. grogna la Vantrasson.

      Il n’entendit pas cela. Il n’entendit pas davantage Chupin qui l’avait rejoint, qui marchait à ses côtés, et qui lui disait:

      – Enfin, vous voilà, m’sieu!.. Je pensais que vous aviez signé un bail dans cette baraque… la prochaine fois, j’apporterai une chaufferette…

      Une de ces préoccupations despotiques, que connaissent les chercheurs obstinés, s’était emparée de M. Fortunat, et supprimait, pour lui, les circonstances extérieures. Venu le cœur bondissant d’espérances, il se retirait désespéré. Et sans souci de l’obscurité, de la boue, de la pluie qui recommençait, il allait au milieu de la chaussée…

      Il fallut que Chupin l’arrêtât à la barrière, et lui rappelât qu’une voiture les attendait…

      – C’est juste… fit-il.

      Il monta, mais sans s’en apercevoir, assurément. Et tout le long du chemin, sa pensée débordant de son cerveau, comme le liquide d’un vase trop étroit, se répandit en un monologue dont Chupin, par instants, attrapait quelques bribes.

      – Quelle affaire!.. murmurait-il, quelle affaire!.. J’en ai bien débrouillé depuis sept ans, mais jamais de si obscure… Ah! mes quarante mille francs sont bien aventurés. Certes! j’en ai bien déniché, de ces héritiers, dont on ne soupçonnait même pas l’existence, mais du moins j’avais quelque indice pour me guider… Ici, rien, pas une lueur… les ténèbres partout. Si je trouvais, cependant!.. Mais comment chercher des gens dont j’ignore même le nom, des gens qui ont su échapper à toutes les investigations de la police!.. Et où les chercher?.. En Europe, en Amérique?.. C’est à devenir fou!.. A qui donc iront tous les millions du comte de Chalusse!..

      L’arrêt brusque de la voiture sur la place de la Bourse appela cependant M. Fortunat au sentiment de la réalité.

      – Voici vingt francs, Victor, dit-il à Chupin, payez le cocher, vous garderez le reste.

      Ayant dit, il sauta lestement à terre.

      Devant sa maison, un coupé de maître, attelé de deux chevaux de prix stationnait.

      – L’équipage du marquis de Valorsay!.. grommela M. Fortunat. Il a été patient; il m’a attendu, ou plutôt il a attendu mes dix mille francs… Nous allons bien voir!..

      III

      M. Fortunat venait à peine de partir pour son expédition au «garni modèle,» lorsque le marquis de Valorsay s’était présenté chez lui.

      – Monsieur est sorti, répondit la Dodelin, qui était allée ouvrir.

      – Vous devez vous tromper, ma bonne…

      – Oh! non… Et même Monsieur a dit que vous l’espériez.

      – Allons, soit…

      Fidèle aux ordres qu’elle avait reçus, la servante conduisit le visiteur dans le salon, alluma les bougies d’un candélabre et se retira.

      – C’est prodigieux! grommelait le marquis, mons Fortunat se fait désirer, mons Fortunat se fait attendre!.. Enfin…

      Il sortit un journal de sa poche, s’allongea sur un fauteuil… et attendit.

      Par son nom, sa fortune, ses habitudes et ses goûts, le marquis de Valorsay appartenait à cette aristocratie – non sans alliage – du plaisir et de la vanité, qui pour exprimer des mœurs nouvelles a créé un vocable nouveau: «la haute vie.»

      Le cercle, le bois, les courses, les premières représentations, la chasse en automne, l’été les eaux, une maîtresse, son tailleur, ses relations du monde, ses chevaux emplissaient les journées du marquis de Valorsay de leurs frivoles soucis.

      Courir en personne un steeple-chase lui paraissait une

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