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au jeu, une chute à la Marche, qui mit ses jours en danger.

      Tant d’avantages le rehaussaient considérablement dans l’estime de ses amis, et lui avaient valu une célébrité dont il n’était pas médiocrement fier.

      Les chroniqueurs usaient et abusaient de ses initiales, et dès qu’il quittait Paris, les journaux du sport ne manquaient jamais de signaler son départ, à l’article «Villégiatures et déplacements.»

      Le malheur est que cette vie d’oisiveté affairée a ses fatigues et ses accidents. M. de Valorsay en était la preuve vivante.

      Il n’avait que trente-trois ans, et il en paraissait pour le moins quarante, en dépit de soins excessifs. Les rides lui venaient, et tout l’art de son valet de chambre ne dissimulait qu’à grand’peine et mal les places vides de son crâne. De sa chute à la Marche, il lui était resté à la jambe droite une certaine roideur qui tournait à la claudication dès que le temps se mettait à la pluie.

      Toute sa personne, enfin, annonçait une lassitude prématurée, de même que ses yeux, lorsqu’il cessait de les surveiller, trahissaient le dégoût de tout, l’abus, la satiété.

      Il avait encore grand air malgré cela, une distinction innée que rien n’avait altéré, et ces façons hautaines qui annoncent l’estime exagérée de soi et l’habitude de commander des inférieurs…

      Onze heures sonnèrent à la pendule du salon de M. Fortunat; le marquis de Valorsay se dressa en jurant.

      – Ceci devient trop fort! grommela-t-il. Ce drôle se moque de moi, décidément.

      Il cherchait des yeux une sonnette, il n’en aperçut pas, et il en fut réduit, lui, à entrebâiller une porte et à appeler.

      La Dodelin parut.

      – Monsieur a dit qu’il serait ici à minuit, répondit-elle à toutes les questions du marquis, donc il y sera… Il n’a pas son pareil pour l’exactitude. Que monsieur patiente encore un petit moment.

      – Soit, patientons, mais alors, ma bonne, allumez-moi du feu, j’ai les pieds gelés!..

      Il est de fait que le salon de M. Fortunat, presque toujours fermé, était humide et froid comme une glacière.

      Et pour comble, M. de Valorsay était en habit, avec un pardessus très-léger.

      La servante hésita une seconde, trouvant que ce visiteur était bien sans gêne, et agissait comme chez lui. Pourtant elle obéit.

      – Évidemment, pensait le marquis, je devrais me retirer, oui, je le devrais…

      Il resta cependant. La nécessité mâta les révoltes de son orgueil.

      Orphelin de bonne heure, maître sans contrôle à vingt-trois ans d’un patrimoine immense, M. de Valorsay était entré dans la vie comme un affamé dans une salle à manger.

      Son nom lui donnant droit à une bonne place, il s’installa, les deux coudes sur la table, sans demander combien coûtait le banquet.

      C’était cher; il s’en aperçut à la fin de la première année en constatant qu’il avait de beaucoup dépassé ses revenus.

      Il était clair que s’il continuait ainsi, chaque année creuserait un abîme où s’engloutirait à la fin toute la fortune que lui avait laissée son père, plus de cent soixante mille livres de rente.

      Mais il avait bien le temps, vraiment, de songer à ces choses lointaines et mesquines! Et d’ailleurs il avait eu tant de succès et de satisfactions de tout genre, pour son argent, qu’il ne le regrettait pas.

      Il possédait des propriétés princières, il trouva des prêteurs qui furent trop heureux de lui offrir tout ce qu’ils avaient de capitaux, contre bonne hypothèque, bien entendu.

      Il emprunta timidement d’abord, puis plus hardiment, lorsqu’il reconnut combien peu de chose est une hypothèque. On n’en est ni plus ni moins le maître chez soi.

      D’ailleurs, ses besoins grandissaient incessamment comme sa vanité.

      Placé à une certaine hauteur dans l’opinion de son monde, il ne voulait pas déchoir et ce lui était une raison de faire une certaine folie chaque année, parce qu’il l’avait faite l’année précédente.

      Son écurie seule lui coûtait plus de cinquante mille francs par an.

      D’intérêts, il n’en payait pas; on ne les lui réclamait pas; il oubliait sans doute qu’ils s’accumulaient lentement, mais continuellement; qu’ils s’enflaient à chaque échéance, qu’ils produisaient eux-mêmes, et qu’au bout d’un certain nombre d’années le capital de sa dette serait doublé.

      Sur la fin, il ne comptait même plus. Il ignorait absolument où en étaient ses affaires. Il en était arrivé à se croire des ressources inépuisables.

      Il le crut jusqu’au jour où étant allé chez son notaire chercher des fonds, ce notaire lui répondit froidement:

      – Vous me demandiez cent mille francs, monsieur le marquis, je n’ai pu vous en procurer que cinquante mille… les voici. Et n’espérez plus rien. Tous vos immeubles sont grevés au-delà de leur valeur… ainsi c’est fini. Vos créanciers vous laisseront sans doute tranquille un an encore, c’est leur intérêt; mais ce délai écoulé, ils vous exproprieront, c’est leur droit.

      Il eut un sourire discret, un sourire d’officier ministériel, et ajouta:

      – Moi, à votre place, monsieur le marquis, je mettrais à profit cette année de répit. Vous comprenez sans doute ce que je veux dire?.. J’ai bien l’honneur de vous saluer.

      Quel réveil!.. après un rêve splendide de plus de dix années!..

      M. de Valorsay en demeura comme écrasé, et pendant deux jours il resta enfermé chez lui, refusant obstinément de recevoir personne.

      – M. le marquis est malade!.. répondait son valet de chambre aux visiteurs.

      Il lui avait fallu ce temps pour se remettre, pour en venir surtout à oser envisager bien en face et froidement sa situation.

      Elle était épouvantable, car sa ruine était complète, absolue. Pas une épave ne devait échappée au désastre. Que devenir? Que faire?

      Il avait beau se tâter, il se trouvait incapable de rien entreprendre, de rien sentir. Tout ce que la nature lui avait départi d’énergie, il l’avait gaspillé au service de sa vanité. Plus jeune, il eût pu se faire soldat, il n’eût pas été le premier, il serait allé en Afrique… mais il n’avait même pas cette ressource.

      C’est alors que le sourire de son notaire, comme une lueur dans les ténèbres, lui revint à la mémoire.

      – Décidément, murmura-t-il, son conseil était bon… Tout n’est pas perdu et une issue nous reste encore: un mariage.

      Pourquoi ne se marierait-il pas, en effet, et richement. Rien n’avait transpiré de son désastre, et il avait encore pour un an tous les prestiges de la fortune.

      Son nom seul était un apport considérable. Ce serait bien le diable s’il ne découvrait pas dans la banque ou dans le haut commerce quelque héritière dévorée de l’ambition d’avoir sur ses voitures une couronne de marquise.

      Ce parti arrêté et mûri, M. de Valorsay s’était mis en quête, et bientôt il crut avoir trouvé.

      Mais ce n’était pas tout. Les donneurs de grosses dots sont défiants, ils aiment à voir clair dans la situation des épouseurs qui se présentent, ils vont aux informations, quelquefois. Avant de s’engager, M. de Valorsay comprit qu’un homme d’affaires intelligent et dévoué lui devenait indispensable.

      N’allait-il pas falloir tenir les créanciers en haleine, leur imposer silence, obtenir d’eux des concessions, les intéresser en un mot au succès?..

      C’est avec ces idées que M. de Valorsay se rendit chez son notaire, espérant peut-être son concours.

      Il

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