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mariage, il est fait.

      Voilà, en gros, comment et à la suite de quelles circonstances le brillant marquis de Valorsay était entré en relations avec M. Isidore Fortunat.

      D’un coup d’œil perspicace, dès la première visite, il jaugea l’homme. Il le vit tel qu’il le souhaitait, prudent et hardi tout ensemble, fertile en expédients, passé maître dans l’art de glisser sans accroc entre les mailles le la loi, avide enfin, et peu tourmenté de scrupules.

      Avec un tel conseiller, masquer six mois un désastre et duper le beau-père le plus défiant devait n’être qu’un jeu.

      Aussi, M. de Valorsay n’eut-il pas une minute d’indécision. Il exposa franchement sa situation financière et ses espérances matrimoniales, et conclut en promettant tant pour cent sur la dot, le lendemain de son mariage.

      Séance tenante, un traité fut signé, et dès le lendemain M. Fortunat prenait en main les intérêts de l’honorable gentilhomme.

      De quel cœur il s’y donna, et avec quelle foi au succès! un seul fait le dit: Il avait avancé, de sa poche, quarante mille francs à son client.

      Après cela, le marquis eût eu mauvaise grâce à n’être pas satisfait de son conseiller. Il en était d’autant plus enchanté que cet habile homme, en toute occasion, lui témoignait une déférence respectueuse jusqu’à la servilité.

      Aux yeux de M. de Valorsay, ce point était capital, car il devenait plus arrogant et plus susceptible, à mesure qu’il avait moins le droit de l’être.

      Honteux au-dedans de lui-même et profondément humilié des tripotages avilissants auxquels il descendait, il s’en vengeait en accablant son complice de sa supériorité imaginaire et de ses dédains de grand seigneur.

      Selon son humeur, bonne ou mauvaise, il l’appelait «Cher Arabe,» ou «Mons Fortunat» et le plus souvent «Maître Vingt-pour-Cent.»

      Et l’autre n’en gardait pas moins son sourire obséquieux sur les lèvres, bien capable, par exemple, de porter tout cela sur sa note de frais à l’article «divers».

      Mais précisément la constante soumission de M. Fortunat faisait paraître son absence plus extraordinaire. Un tel oubli des plus vulgaires convenances ne se concevait pas de la part d’un homme si poli.

      De sorte que peu à peu le marquis de Valorsay passait de la colère à l’inquiétude.

      – Serait-il survenu quelque chose?.. pensait-il.

      C’est que les aiguilles de la pendule marchaient toujours… minuit était sonné depuis un moment déjà.

      Le marquis délibérait s’il se retirerait ou non à la demie, quand il entendit le grincement d’une clef dans la serrure de la porte extérieure, puis des pas rapides dans le corridor.

      – Enfin!.. le voici! murmura-t-il, avec un soupir de satisfaction.

      Il s’attendait à le voir paraître aussitôt, mais point.

      Peu soucieux de s’exhiber sous le costume qu’il avait endossé pour suivre Chupin, M. Fortunat avait couru à sa chambre à coucher reprendre ses vêtements ordinaires. Il avait besoin, en outre, de songer à la conduite à tenir et à ce qu’il dirait.

      Si M. de Valorsay, comme c’était probable, ignorait l’accident du comte de Chalusse, fallait-il le lui apprendre? M. Fortunat se dit que non, prévoyant avec raison que cela soulèverait une discussion capable d’amener une rupture. Or, il ne voulait rompre qu’à bon escient, et seulement quand il serait bien sûr de la mort du comte.

      De son côté, M. de Valorsay réfléchissait – un peu tard – qu’il avait eu bien tort de patienter pendant trois mortelles heures.

      Était-ce digne de lui?.. Ne s’était-il pas manqué gravement à lui-même?.. Puis encore, M. Fortunat ne mesurerait-il pas à cette circonstance qui était un aveu, l’importance de ses services et l’urgence des besoins de son client?.. N’en deviendrait-il pas plus exigeant et plus dur?

      Très-certainement, si le marquis eût pu s’esquiver sans bruit, il l’eût fait. Mais c’était impossible. Alors, il eut recours à un stratagème qui lui parut sauver sa dignité compromise.

      Il se tassa dans son fauteuil, ferma les yeux et parut dormir.

      Et quand M. Fortunat entra dans le salon, il se dressa brusquement, comme un homme réveillé en sursaut, se frottant les yeux en disant:

      – Hein!.. qu’est-ce que c’est?.. Par ma foi!.. je m’étais bel et bien endormi.

      Mais l’autre ne fut pas dupe.

      Il avait fort bien remarqué à terre un journal qui, tout froissé et tout déchiré, trahissait la colère d’une longue attente.

      – Ah ça! continuait le marquis, quelle heure est-il?.. Minuit et demi!.. Et c’est maintenant que vous arrivez à un rendez-vous assigné pour dix heures!.. Ceci passe la permission, mons Fortunat, et vous en prenez par trop à votre aise avec moi! Savez-vous que ma voiture est en bas, par le temps qu’il fait, depuis neuf heures et demie, et que mes chevaux en ont peut-être attrapé une fluxion de poitrine!.. Un attelage de six cents louis!..

      M. Fortunat tendait à cet orage un dos plein d’humilité.

      – Il faut m’excuser, monsieur le marquis, fit-il. Si je suis resté dehors si tard, contre mes habitudes, c’est uniquement pour vos affaires.

      – Pardieu!.. il ne manquerait plus que c’eût été pour les vôtres!

      Et satisfait de cette plaisanterie, il ajouta:

      – Eh bien!.. où en sommes-nous?

      – De mon côté tout marche à souhait.

      Le marquis avait repris sa place au coin de la cheminée et tisonnait le feu d’un air d’insouciance très-noble à coup sur, mais assez mal joué.

      – Je vous écoute… dit-il simplement.

      – En ce cas, monsieur le marquis, répondit M. Fortunat, voici le fait en deux mots sans détails. Grâce à un expédient imaginé par moi, nous obtiendrons pour vingt-quatre heures la main-levée de toutes les inscriptions qui grèvent vos biens… Nous prendrons adroitement nos mesures, et ce jour-là même, nous demanderons un état au conservateur… Cet état, naturellement, certifiera que vos propriétés sont libres d’hypothèques, vous le montrerez à M. de Chalusse et tous ses doutes, s’il en a, seront levés… L’expédient, du reste, est simple; le difficile était de trouver les fonds, mais je les aurai chez un coulissier de mes amis. Tous vos créanciers, sauf deux, se prêtent admirablement à cette petite manœuvre, j’ai leur consentement. Par exemple, ce sera cher: il vous en coûtera vingt-six mille francs environ de commission et de frais.

      M. de Valorsay eut un mouvement de joie si vif, qu’il ne put s’empêcher de battre des mains.

      – Alors, l’affaire est dans le sac!.. s’écria-t-il. Avant un mois Mlle Marguerite sera marquise de Valorsay et j’aurai de nouveau cent mille livres de rentes…

      Puis, ayant surpris le geste de M. Fortunat qui n’avait pu se retenir de hocher gravement la tête:

      – Ah! vous doutez!.. reprit-il. Eh bien! à votre tour écoutez-moi. Hier, j’ai eu une conférence de deux heures avec le comte de Chalusse, et tout a été convenu et arrêté…

      Nous avons échangé notre parole, maître Vingt-pour-cent. Le comte fait royalement les choses, il donne à Mlle Marguerite deux millions.

      – Deux millions! fit l’autre comme un écho.

      – Oui, cher Arabe, ni plus ni moins… Seulement, pour des raisons particulières et qu’il ne m’a pas dites, le comte tient à ce qu’il ne soit porté que deux cent mille francs au contrat. Le reste – dix-huit cent mille livres, s’il vous plaît – me sera remis de la main à la main, sans reçu, avant la mairie. Ma parole d’honneur, je trouve cela charmant… et vous?

      M. Fortunat

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