Скачать книгу

donc, répondit-elle, vous allez voir:

      La nuit se passe, le matin arrive, puis l’heure du déjeuner… on ne voit pas paraître Mlle Hermine. On va frapper à sa porte… pas de réponse. On ouvre… Elle n’était pas dans sa chambre, et même le lit n’était pas défait…

      Qu’est-ce que cela veut dire?.. Voilà toute la maison en l’air: la mère qui se désole, le père qui est fou de colère et de douleur…

      Comme de juste, on songe au frère de Mlle Hermine, et on monte le chercher… Il n’était pas chez lui, et son lit n’était pas défait non plus.

      Tout le monde perdait la tête, quand le jardinier eut l’idée de raconter l’aventure de la nuit.

      On court au pavillon, et que voit-on?.. M. Raymond étendu à terre sur le dos, baigné dans son sang, roide, froid, immobile… comme mort, enfin! Une de ses mains serrait encore une épée…

      On le relève, on le porte dans son lit, on envoie chercher un médecin… Il avait reçu deux coups d’épée, un à la gorge, l’autre en pleine poitrine…

      Pendant plus d’un mois il resta entre la vie et la mort; et ce n’est qu’au bout de six semaines qu’il eut la force de raconter ce qui était arrivé.

      Il fumait un cigare à sa fenêtre, quand il lui avait semblé distinguer une femme dans le jardin. Tout préoccupé de l’idée de sa sœur, il était descendu à la hâte, s’était glissé jusqu’au pavillon, et là, il avait trouvé près de Mlle Hermine un jeune homme qui lui était absolument inconnu.

      Il pouvait le tuer, n’est-ce pas, et il ne lui eût rien été fait. Au lieu de cela, il lui déclara qu’ils allaient se battre à l’épée… Ils avaient des armes sous la main, ils se battirent… il fut blessé deux fois coup sur coup et tomba…

      Et l’autre, croyant l’avoir tué, s’enfuit, entraînant Mlle Hermine…

      Mme Vantrasson eût bien voulu reprendre haleine, et sans doute, par la même occasion se rafraîchir un peu; mais M. Fortunat était pressé; Vantrasson pouvait rentrer d’une minute à l’autre.

      – Et ensuite?.. demanda-t-il.

      – Ensuite, dame!.. M. Raymond se rétablit, et trois mois après il était sur pied. Mais les parents, qui étaient vieux, avaient reçu un coup dans le cœur. Ils ne se remirent pas, eux. Peut-être se disaient-ils que c’était leur dureté et leur entêtement qui avaient causé la perte de leur fille… c’est un dur remords, ça. Ils allèrent dépérissant de jour en jour, à vue d’œil, et l’année suivante on les porta au cimetière à deux mois de distance…

      Le soi-disant clerc d’huissier ne songeait plus à l’omnibus, désormais, c’était bien évident, et l’hôtesse du «garni modèle» devait être en même temps rassurée et flattée.

      – Et Mlle Hermine?.. interrogea-t-il.

      – Hélas! monsieur, jamais on n’a su où elle avait passé, ni où elle est allée, ni ce qu’elle est devenue…

      – On ne l’a donc pas cherchée!..

      – Oh! monsieur, ne dites pas cela. C’est-à-dire que pendant je ne sais combien de temps Mlle Hermine a eu après elle tout ce qu’il y a d’agents de police en France et à l’étranger… Pas un n’a réussi à retrouver seulement sa trace. M. Raymond, devenu comte de Chalusse, avait promis une somme énorme à qui retrouverait l’homme qui avait séduit sa sœur. Il voulait le tuer. Lui-même l’a cherché pendant des années, inutilement.

      – Ainsi, jamais on n’a eu de nouvelles de cette malheureuse?

      – Jamais!.. c’est-à-dire si, deux fois… à ce qu’on m’a dit, vous comprenez. Il paraîtrait que le lendemain même de l’affaire, ses parents ont reçu d’elle une lettre où elle leur demandait pardon. Cinq ou six mois plus tard, elle a écrit de nouveau pour dire qu’elle savait que son frère n’était pas mort. Elle s’excusait encore et s’accusait, disant qu’elle n’était qu’une malheureuse, qu’elle avait été folle, mais que déjà le châtiment était venu, et qu’il était terrible… Elle ajoutait que tout était brisé entre elle et les siens, que jamais on n’entendrait parler d’elle, et qu’elle souhaiterait être oubliée comme si elle n’eût pas existé… Elle allait jusqu’à dire que ses enfants ne sauraient pas son nom, et qu’elle se condamnait à ne jamais prononcer de sa vie la nom de Chalusse dont elle était la honte…

      C’était là l’éternelle et lamentable histoire de la fille séduite, payant de son bonheur et de sa vie une minute de vertige.

      Drame terrible sans doute, mais banal comme la vie de tous les jours, et dont la vulgarité semblait plus désolante encore dans la bouche de cette mégère du «garni-modèle,» qui, elle aussi, à l’entendre, avait été trompée.

      Aussi, qui eût connu M. Isidore Fortunat, eût été bien intrigué de le voir si ému pour si peu, lui, l’homme positif par excellence, cuirassé – il s’en vantait – contre toutes les surprises de la sensibilité.

      – Pauvre fille!.. fit-il, pour dire quelque chose.

      Puis, d’un ton d’insouciance, précisément assez mal simulé pour trahir une anxiété extraordinaire:

      – A-t-on su, du moins, demanda-t-il, qui était le misérable qui avait enlevé Mlle de Chalusse?

      – Jamais. Qui il était, ce qu’il faisait, d’où il venait, s’il était vieux ou jeune, comment il avait connu Mlle Hermine… autant de mystères. Le bruit a bien couru, dans le temps, qu’il était étranger, Américain, je crois, et capitaine de navire, mais ce n’était qu’un bruit. La vérité est qu’on n’a seulement pas pu découvrir son nom.

      – Quoi!.. pas son nom!..

      – Pas même.

      Incapable de maîtriser son trouble, M. Fortunat eut du moins la présence d’esprit de se lever, et, grâce à ce mouvement, son visage se trouva dans l’ombre.

      Mais il avait eu une exclamation sourde et un geste d’affreux découragement qui n’échappèrent pas à la Vantrasson. Elle en fut toute saisie, et de ce moment ne cessa d’observer avec la plus attentive défiance, le soi-disant clerc d’huissier.

      Il n’avait pas tardé à se rasseoir sur sa chaise, près du comptoir, un peu pâle encore, mais fort calme en apparence.

      Deux questions encore lui paraissaient indispensables, de l’une d’elles la lumière pouvait jaillir, et il venait de prendre le parti de les adresser au risque de se trahir.

      Que lui importait son rôle, maintenant… Ne possédait-il pas des renseignements qu’il avait tout lieu de croire sincères!

      – Je ne saurais vous dire, chère madame, commença-t-il, d’un ton bref, combien votre récit m’a intéressé… Maintenant, je puis vous l’avouer: je connais un peu le comte de Chalusse et je suis allé assez souvent chez lui, rue de Courcelles, où il demeure actuellement…

      – Vous!.. fit la femme, en inventoriant d’un coup, d’œil la toilette de M. Fortunat.

      – Mon Dieu! oui, moi!.. De la part de mon patron, bien entendu… Donc, toutes les fois que j’ai visité M. de Chalusse, j’ai vu chez lui une jeune demoiselle que je prenais pour sa fille… Je me trompais, probablement, puisqu’il n’est pas marié…

      Il s’arrêta. La stupeur et la colère semblaient près de suffoquer l’hôtesse du «garni modèle.»

      Sans deviner le comment ni le pourquoi, elle comprenait, à n’en point douter, qu’elle venait d’être jouée, et si elle eût suivi son premier mouvement elle eût sauté sur M. Isidore Fortunat.

      Si elle se contint, si elle fit effort sur elle-même, c’est qu’elle lui réservait mieux.

      – Une jeune demoiselle chez M. le comte, grommela-t-elle, ce n’est pas croyable, je ne l’ai jamais

Скачать книгу