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était si pressé qu’il ne prit pas la peine de remettre le dossier en ordre. Il le jeta dans le tiroir où il l’avait pris, et s’approchant de Chupin:

      – C’est vous, n’est-ce pas, Victor, demanda-t-il, qui avez pris des renseignements sur la solvabilité des époux Vantrasson, des gens qui tiennent un hôtel garni?..

      – Oui, m’sieu, mais je vous ai rendu la réponse: rien à espérer…

      – Je sais; il ne s’agit pas de cela. Vous rappelez-vous leur adresse?

      – Très-bien. Ils demeurent maintenant sur la route d’Asnières, après les fortifications, à droite…

      – A quel numéro?..

      Chupin hésita, chercha, et ne trouvant pas se mit à se gratter furieusement la tête, ce qui était un moyen à lui de rappeler sa mémoire au devoir, quand elle le trahissait.

      – Attendez-donc, m’sieu, dit-il en anonnant; ils demeurent au 18 ou au 46, c’est-à-dire…

      – Ne cherchez pas, interrompit M. Fortunat. Si je vous envoyais chez Vantrasson, sauriez-vous y aller?..

      – Oh!.. pour cela, oui, m’sieu, et tout droit, les yeux bandés… Je vois la maison d’ici, une grande baraque toute disloquée… Il y a un terrain vague à côté, et derrière un maraîcher…

      – C’est bien!.. Vous allez m’y conduire.

      L’étrangeté de la proposition parut confondre Chupin.

      – Comment, m’sieu, fit-il, vous voulez aller là, à cette heure…

      – Pourquoi pas. Trouverons-nous l’établissement fermé?

      – Non, m’sieu, bien certainement. Vantrasson, outre qu’il tient un hôtel, est épicier et vend à boire… Il reste donc ouvert au moins jusqu’à onze heures. Seulement cet homme-là est à ce qu’il paraît un particulier qui n’aime pas à être dérangé entre ses repas… Si c’est pour lui présenter un billet que vous voulez aller chez lui… il est peut-être un peu tard. A votre place, m’sieu, j’attendrais à demain… Il pleut et il n’y a pas un chat dehors… C’est isolé comme tout, là-bas, et dame, dans ce cas-là, on paye ses billets avec la monnaie qu’on a sous la main… avec une trique, par exemple.

      – Auriez-vous peur?

      Ce doute n’offensa pas Chupin, tant il lui parut grotesque, et, pour toute réponse, il haussa dédaigneusement les épaules.

      – Alors, nous allons partir, reprit M. Fortunat. Pendant que je m’apprête, descendez chercher une voiture, et tâchez qu’elle ait un bon cheval.

      Chupin fila comme l’éclair et dégringola l’escalier comme l’orage. A deux pas de la maison, il y avait une station de fiacres, mais il préféra courir rue Feydeau, où il connaissait une remise.

      – Une voiture, bourgeois!.. proposèrent les cochers en le voyant approcher.

      Il ne répondit pas, mais se mit à examiner chaque cheval d’un air capable, en homme qui bien souvent a utilisé le loisir de ses matinées au service des maquignons du Marché aux chevaux.

      Une des bêtes lui convint. Il fit signe au cocher et s’approchant du bureau de la remise où une femme lisait:

      – Mes cinq sous, bourgeoise! réclama-t-il.

      La femme le toisa. Beaucoup d’établissements donnent vingt-cinq centimes à tout domestique qui vient chercher une voiture pour son maître, et cette petite prime retient la clientèle. Mais la buraliste, qui voyait bien que Chupin n’était pas un domestique, hésitait. Lui se fâcha.

      – Prenez garde de déchirer votre poche! fit-il. Moi je vais à la concurrence, sur la place…

      Eclairée par l’accent de Chupin, la femme lui remit cinq sous qu’il empocha avec une grimace de satisfaction. Ils étaient bien à lui, et légitimement, puisqu’il avait pris la peine de les gagner.

      Mais lorsqu’il rentra dans le cabinet de son patron, pour lui annoncer que la voiture attendait à la porte, il faillit tomber de son haut.

      M. Fortunat avait profité de l’absence de son employé, non pour se déguiser, ce serait trop dire, mais pour… modifier adroitement son extérieur.

      Il avait revêtu une vieille redingote toute luisante d’usure et de crasse, si longue qu’elle cachait ses genoux, il avait passé des bottes outrageusement déformées et s’était coiffé d’un de ces chapeaux que dédaignent les chiffonniers. Autour du cou, à la place de son élégante cravate de satin, il avait noué un foulard à carreaux tout effiloqué.

      Du Fortunat prospère, avantageusement connu place de la Bourse, rien ne restait que le visage et les mains. Un autre Fortunat se révélait, plus que besogneux, misérable, famélique, crevant de faim, prêt à tout.

      Et sous cette défroque, il semblait à l’aise, elle lui allait, elle était assouplie à ses mouvements comme s’il l’eût longtemps portée. Le papillon était redevenu chenille.

      Un sourire approbateur de Chupin dut le payer de ses peines. Chupin approuvant, il était sûr que Vantrasson le prendrait pour ce qu’il voulait paraître, un pauvre diable agissant pour le compte d’autrui.

      – Partons, dit-il.

      Mais au moment de sortir, dans l’antichambre, il se rappela certain ordre de la plus grande importance qu’il avait à donner. Il appela Mme Dodelin, et sans se soucier des grands yeux qu’elle ouvrait en le voyant ainsi vêtu:

      – Si M. le marquis de Valorsay vient, lui dit-il… et il viendra, priez-le de m’attendre, je serai de retour avant minuit… Vous ne le ferez pas entrer dans mon cabinet… il attendra dans le salon.

      Cette dernière recommandation était au moins inutile; M. Fortunat ayant fermé son cabinet à double tour, et mis soigneusement la clef dans sa poche. Peut-être était-ce de sa part une distraction.

      Il paraissait d’ailleurs avoir oublié complétement et sa colère et sa perte. Il était d’excellente humeur, comme un homme qui part pour une partie où il compte prendre du plaisir.

      Même, Chupin ayant fait mine de monter sur le siége, il s’y opposa et lui commanda de prendre place dans la voiture, à côté de lui…

      Le trajet dura peu. Le cheval était bon, le cocher avait été stimulé par la promesse d’un magnifique pourboire; M. Fortunat et son employé furent conduits en moins de quarante minutes à la porte d’Asnières.

      Ainsi qu’il en avait reçu l’ordre au départ, le cocher s’arrêta hors des fortifications, à droite de la route, à cent pas environ de la grille de l’octroi.

      – Eh bien!.. bourgeois, demanda-t-il en ouvrant la portière, vous ai-je bien menés êtes-vous contents?..

      – Très-contents, répondit M. Fortunat, que Chupin aidait à mettre pied à terre, voilà le pourboire gagné. Maintenant il ne s’agit plus que de nous attendre… Vous ne bougerez pas d’ici, n’est-ce pas?..

      Mais le cocher branla la tête:

      – Excusez-moi, fit-il, si cela vous était égal, j’irais stationner devant l’octroi… Ici, voyez-vous, j’aurais peur de m’endormir… tandis que là-bas…

      – Soit, allez.

      Cette seule précaution du cocher devait prouver à M. Fortunat que Chupin ne lui avait pas exagéré la mauvaise réputation de cette partie de Paris.

      Et, dans le fait, rien de moins rassurant que l’aspect de cette large route, déserte à cette heure, par cette nuit noire, avec le temps qu’il faisait. La pluie avait cessé, mais la bourrasque redoublait de violence, tordant les arbres, arrachant les ardoises des toits, secouant si furieusement les réverbères que le gaz s’éteignait. On ne voyait pas où poser le pied, et il y avait de la boue jusqu’à la cheville. Et personne, pas une âme… A peine une voiture de loin en loin,

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