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mal, de succès et de revers.

      On peut dire que, pendant huit ans, il ne se tira pas dans notre colonie un seul coup de fusil sans qu'il fût présent.

      Il était à Constantine, où il fut blessé, à Mostaganem, au col de Mouzaïa, où il fut laissé pour mort, et à Médéah et à Milianah…

      Cité plusieurs fois à l'ordre de l'armée, fait officier de la Légion d'honneur sur le champ de bataille, il était chef d'escadron, lorsqu'en 1839 il rentra en France avec son régiment.

      Il avait alors trente-sept ans.

      Envoyé en garnison à Vendôme, il dut à la grande réputation qui l'avait précédé, et à la curiosité qu'il inspirait, d'être présenté à une personne qui tenait en ville le haut du pavé, et qui passait pour y faire la pluie et le beau temps, Mlle de la Rochecordeau.

      C'était une vieille fille d'une cinquantaine d'années, sèche et jaune, avec un grand nez d'oiseau de proie, très noble, encore plus dévote, joueuse comme la dame de pique en personne et médisante à faire battre des montagnes.

      Ce qui n'empêche qu'à tous ceux qui énuméraient la longue kyrielle de ses imperfections, il était, à Vendôme, de mode de répondre:

      – C'est possible!.. Mais elle est si bonne et si généreuse!..

      Or, cette grande réputation de générosité et de bonté était venue à Mlle de la Rochecordeau de ce qu'elle avait recueilli et gardait près d'elle, depuis dix ans, la fille de sa sœur défunte, Mlle Élisabeth de Lespéran.

      Et encore, cette belle action de la vieille fille n'avait-elle été ni spontanée, ni même absolument volontaire.

      A la mort du marquis de Lespéran, mort un an après sa femme, et sans un sou vaillant, Mlle de la Rochecordeau avait fait des pieds et des mains pour colloquer la petite – c'était son expression – aux Lespéran de Montoire, riches, dit-on dans le pays, à plus de cent mille livres de rentes.

      Mais ces bons et généreux parents n'étaient rien moins que disposés à s'embarrasser de la fille de leur frère.

      Il y eut des propos colportés.

      Une des dames de Lespéran de Montoire passa pour avoir dit:

      – Cette vieille fée peut bien garder le cadeau pour elle.

      A quoi Mlle de la Rochecordeau répondit:

      – Eh bien! soit, je le garderai, moi qui suis pauvre, quand ce ne serait que pour faire rougir ces vilains de leur crasse.

      Elle garda Élisabeth, en effet. Mais à quel prix!

      Haineuse, acariâtre, n'ayant pas encore pris parti de son célibat, rongée de regrets et de jalousie, la vieille fille fit de l'enfant son souffre-douleur.

      Jamais un repas ne s'écoula sans que l'orpheline ne s'entendît reprocher le pain qu'elle mangeait. Jamais elle n'essaya une robe sans avoir à subir les plus humiliantes réprimandes, et toutes sortes de jérémiades sur la coquetterie des sottes qui se croient jolies et à propos de la cherté excessive des étoffes. Jamais elle ne chaussa une paire de bottines neuves sans entendre le soir sa terrible parente dire aux dévotes ses intimes:

      – Cette petite userait du fer; Roulleau, le cordonnier de la Grande-Rue, n'a pas une pratique pareille. Et, cependant, elle devrait savoir qu'à mon âge je m'impose des privations pour elle!

      Et c'eût été pis, sans doute, si Mlle de la Rochecordeau n'eût été contenue par un parent qui la venait visiter quelquefois, et qu'elle craignait plus encore que son confesseur: le baron de Glorière.

      Ce vieux et digne gentilhomme, célibataire et enragé collectionneur, avait pris Élisabeth en affection.

      Elle lui dut l'unique poupée qu'elle eût jamais, poupée adorée à qui elle confiait ses chagrins. Elle lui dut plus tard deux ou trois jolies robes et quelques modestes bijoux.

      Malheureusement il n'était pas riche, ne possédant que trois mille livres de rentes et son château de Glorière, où il vivait.

      Le château renfermait bien, disait-on, des objets de la plus haute valeur, des meubles surtout et des tableaux, mais le vieux collectionneur fût mort de faim avant de se défaire du plus humble d'entre eux.

      – Soyez donc moins rude! disait-il toujours à Mlle de la Rochecordeau.

      Elle l'eût été, si sa nièce eût été moins jolie.

      Mais l'éclatante, elle disait la révoltante beauté d'Élisabeth la transportait de rage, et rien de ce qu'elle essayait pour en atténuer l'éclat ne lui réussissait.

      La taille pleine et ronde de la jeune fille eût donné de la grâce à un sac. Ses cheveux, pour être privés de pommade, n'en étaient ni moins abondants, ni moins fins, ni moins brillants. Ses mains contraintes aux plus rudes besognes et lavées au plus grossier savon de Marseille, restaient blanches et délicates. La forme exquise de son pied se trahissait sous des chaussures informes.

      – C'est comme un sort! se disait Mlle de la Rochecordeau, vous verrez qu'elle n'aura seulement pas la petite vérole!..

      C'est cependant à une des soirées à gâteaux et à sirop de groseille de cette charitable vieille que, pour la première fois, Élisabeth de Lespéran apparut à Pierre Delorge.

      Et c'est bien «apparut» qu'il faut dire, car il fut tout d'abord ébloui comme d'une vision céleste, fasciné, ravi.

      Ce n'est qu'après s'être remis un peu qu'il fut frappé des grâces modestes de la pauvre orpheline, de son inaltérable douceur et de la noble simplicité dont elle rehaussait les attributions serviles que lui imposait sa tante. Il souffrit de la voir traitée en subalterne par des invités sans délicatesse. Il s'attendrit, lui dont la sensibilité n'avait rien d'exagéré, à observer en elle la réserve un peu hautaine de ceux à qui la vie a été rude.

      Si bien qu'en sortant de chez Mlle de la Rochecordeau, au lieu de regagner son logis, il s'en alla tout seul se promener le long du Loir, quoiqu'il fût près de minuit et qu'il dût être à cheval à cinq heures du matin, pour la manœuvre.

      Il sentait le besoin de réfléchir à une idée qui venait d'éclore dans son esprit, et qui l'eût bien fait rire la veille:

      L'idée de mariage.

      – Eh! pourquoi, pensait-il, ne me marierais-je pas?..

      N'était-il pas sorti de l'ornière, à cette heure, officier supérieur et certain d'être général avant dix ans!

      Ses appointements, qui iraient en augmentant, pouvaient déjà suffire à un ménage modeste et bien administré, et il possédait pour les frais de premier établissement six beaux mille francs économisés en Afrique.

      Aussi, lorsqu'il rentra chez lui, alla-t-il pour la première et sans doute pour l'unique fois de sa vie se planter devant une glace, essayant de se rendre compte de l'effet que pouvait produire sa personne.

      Grand, bien découplé, il atteignait ce degré précis d'embonpoint qui accuse, sans l'alourdir, la perfection des formes. Des cheveux d'un noir de jais, fièrement plantés et taillés en brosse, faisaient ressortir la pâleur bronzée de son énergique visage. La loyauté de son âme étincelait dans ses yeux. Sa moustache encore soyeuse ombrageait, sans les voiler, des lèvres spirituelles, aussi rouges que le sang qu'il versait si libéralement les jours de bataille.

      Toute modestie à part, il lui sembla qu'il réunissait toutes les conditions qui font le mari aimé et le bon mari.

      Seulement, il se sentait le cœur déjà trop pris pour courir l'aventure de quelque cruelle déception. Et dès le lendemain, il se mit en quête de renseignements.

      D'un mot, un vieux bourgeois de Vendôme lui définit la situation de Mlle Élisabeth de Lespéran.

      – N'ayant pas le sou, elle mourra vieille fille comme sa tante!

      Intérieurement ravi:

      – Voilà, se dit le brave chef d'escadron, la femme qu'il me faut…

      Et

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