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non moins simplement, le vieux menuisier avait répondu:

      «Qu'est-ce que tu me chantes avec ta formalité? Les Moulineaux sont, fichtre! bien à toi, puisqu'ils sont à moi, et tu es libre d'en disposer à ta guise. Ensuite, tu sauras que mon revenu n'est pas petit, puisque j'en économise tous les ans le tiers, que je place à ton intention. Embrasse ta future pour moi, et annonce-lui de ma part une paire de boucles d'oreilles en diamant, dignes de la femme d'un chef d'escadron.»

      Voilà comment, le 23 mai 1840, par la plus belle journée du monde, fut célébré le mariage de Pierre Delorge et de Mlle Élisabeth de Lespéran…

      La veille, Mlle de la Rochecordeau avait pris le lit.

      – Plus d'espoir, disait-elle à une de ses amies; je connais Élisabeth… Son mari la battrait, qu'elle ne ferait pas encore mauvais ménage.

      II

      Mais le commandant Delorge ne battit pas sa femme…

      Du jour de leur mariage, ils goûtèrent, dans sa plénitude, ce bonheur qu'ils rêvaient sous les ombrages de Glorière.

      Par exemple, le commandant, qui s'attendait d'un jour à l'autre à être nommé lieutenant-colonel, vit lui passer sur le corps, selon l'expression consacrée, deux ou trois chefs d'escadron qui n'avaient d'autre mérite que leur parenté, d'autres droits que la protection.

      Puis, en moins d'un an, contrairement à toutes les habitudes et sans qu'on sût pourquoi, son régiment fut changé deux fois de garnison, envoyé de Vendôme à Tarbes au mois de septembre, et de Tarbes à Pontivy, au mois de mars suivant.

      – Bast! qu'importe? disait, gaiement Mme Delorge, quand elle voyait son mari tout près de se mettre en colère, qu'importe! puisque nous nous aimons?

      Et d'autres fois:

      – Eh bien! je les bénis, moi, ces contrariétés, et j'en souhaiterais presque de plus sérieuses… Nous sommes trop heureux, ce n'est pas naturel… cela me fait peur!

      C'est surtout pendant les premiers mois de son mariage que Mme Delorge trahissait ainsi le secret des vagues appréhensions qui tressaillaient en elle.

      – Tu as la joie inquiète! lui disait en plaisantant son mari.

      Rien de si exact.

      Il faut en quelque sorte un apprentissage à des félicités inespérées. Les malheureux deviennent sceptiques, à la longue. Accoutumés aux rigueurs de la destinée, ils s'étonnent et se défient de la moindre de ses faveurs. La vie leur a ménagé tant et de si cruelles déceptions, qu'ils n'osent plus s'endormir en pleine sécurité, de crainte de quelque terrible réveil.

      La pauvre Élisabeth de Lespéran avait trop souffert pour que la fortunée Mme Delorge se sentît si vite rassurée.

      Souvent, lorsqu'elle était seule, elle comparait sa situation passée à sa position actuelle, et, au souvenir de certaines privations qu'elle avait endurées et de toutes les humiliations qu'elle avait subies, elle sentait sa poitrine se gonfler de sanglots et elle fondait en larmes.

      Plusieurs fois son mari la surprit ainsi, et, ému, effrayé:

      – Qu'as-tu? mon Dieu! lui demandait-il.

      Mais elle se levait déjà souriante, et se jetant à son cou:

      – Rien, répondit-elle, je n'ai rien, je t'aime.

      Peu-à peu, cependant, cette sensibilité exagérée s'émoussa, ses nerfs se détendirent, l'odieux passé se voila de brumes, et elle s'affermit dans son bonheur.

      Femme, elle tenait toutes les promesses de la jeune fille, réalisant avec une touchante simplicité le type achevé de la compagne d'un homme d'action.

      Aussi, n'eut-elle qu'à paraître au régiment pour que sa supériorité fût admise même par la femme du colonel, qui ne péchait pas cependant par excès de modestie.

      Pas une voix ne s'éleva, non pour la critiquer, mais seulement pour la discuter.

      Véritable miracle! car un régiment n'est en somme qu'un village qui se déplace avec son clocher: le drapeau.

      Village médisant et cancanier par excellence, qui traîne avec ses bagages, d'un bout de la France à l'autre, ses passions et ses intérêts, ses rancunes, ses convoitises et ses rivalités de femmes qui, chaudement épousées, deviennent de belles et bonnes haines d'hommes.

      Il y avait quatre mois que le régiment tenait garnison à Pontivy, quand, pour la plus grande joie de son mari, Mme Delorge accoucha d'un gros garçon.

      Depuis longtemps le nom de ce premier-né était irrévocablement choisi.

      Ni le chef d'escadron ni sa femme n'avaient oublié tout ce qu'ils devaient de reconnaissance au baron de Glorière, et ils avaient décidé que leur fils, quand il leur en naîtrait un, s'appellerait comme lui: Raymond.

      Même en cette occasion, le vieux collectionneur fit le voyage de Bretagne, et il resta près d'un mois à Pontivy, ayant découvert aux environs une véritable mine de curiosités.

      Il apportait des nouvelles de Mlle de la Rochecordeau.

      La rancunière vieille fille n'avait jamais consenti à le revoir, ne lui pardonnant pas, disait-elle, d'avoir bassement suborné sa nièce et prêté les mains à une mésalliance abominable.

      Elle devenait plus dévote de jour en jour, changeait de servante deux fois par semaine, et se portait comme un charme.

      – Vous verrez, assurait le baron, qu'elle nous enterrera tous!

      Il était singulièrement ému le jour de son départ, qu'il avait sous divers prétextes retardé plusieurs fois, et au moment de monter en voiture, il fit jurer au commandant et à sa femme de venir chaque année passer quinze jours à Glorière.

      – Si ce n'est pas pour vous ou pour moi, disait-il, que ce soit pour mon filleul Raymond, qui prendra des forces à jouer au grand air, à se rouler dans les foins et à se tremper dans les eaux fraîches du Loir.

      Élisabeth et son mari trouvèrent leur maison bien vide, le soir de cette séparation. Qu'eût-ce donc été, si on leur eût appris que c'était la dernière fois qu'ils voyaient cet homme excellent.

      C'était ainsi, pourtant.

      A deux mois de là, un matin qu'il était monté sur une haute échelle pour épousseter un tableau, il tomba.

      Il avait cessé de vivre quand François, son vieux domestique, accouru au bruit de la chute, le releva.

      – C'est le ciel qui se venge! soupira pieusement Mlle de la Rochecordeau, en apprenant la mort de M. de Glorière. Dieu ait son âme! C'est un grand coquin de moins.

      Ce coquin, par un testament déposé chez un notaire de Vendôme, instituait sa légataire universelle Mme Pierre Delorge, née Élisabeth de Lespéran, sa petite-nièce.

      A son testament était jointe, à l'adresse du commandant et de sa femme, une lettre où il se révélait tout entier.

      «Je dormirai plus tranquille, mes chers enfants, écrivait-il, quand j'aurai pris mes dernières dispositions. On ne sait ce qui peut arriver. Je me fais vieux. Ma vue et mon jugement baissent, si bien que l'autre jour, j'ai acheté une croûte ridicule pour un Breughel de Velours.

      «Donc, comme vous êtes ce que j'aime le mieux au monde, je vous lègue, en toute propriété, meubles et immeubles, tout ce que je possède:

      «1º Trois mille deux cents francs de rentes, en un titre trois pour cent.

      «2º Mon château de Glorière, tel qu'il se poursuit et comporte, avec les quelques arpents qui l'entourent et les collections qu'il renferme.

      «Ne me remerciez pas, c'est de ma part un trait de savant égoïsme d'outre-tombe. Je sais que vous ne vous déferez jamais de Glorière. Vous ne sauriez oublier que ses vieux ormes ont ombragé vos premières amours. Ce vous serait un deuil de savoir foulés par des indifférents ces sentiers aimés où vous vous êtes promenés appuyés l'un sur l'autre pour la première fois.

      «J'escompte

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