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et dès qu'il eut bien compris:

      – Sarpejeu! interrompit-il, Dieu est enfin juste… Voilà un parti comme je n'osais pas en espérer un pour ma petite amie…

      – Un parti!.. Un homme de rien, le fils d'un ouvrier!..

      – Eh! que monsieur son père soit tout ce que vous voudrez, il n'en a pas moins un fils qui est un galant homme et un homme de cœur…

      Arborant son grand air de dignité première, Mlle de la Rochecordeau entreprit de chapitrer M. de Glorière… C'était perdre son temps.

      – Parbleu! vous me la baillez belle! interrompit-il. Si vous aviez seulement une vingtaine d'années de moins, et que ce beau chef d'escadron fût venu pour vous et non pour Élisabeth, vous ne trouveriez pas son audace si coupable.

      Le mot «impertinent» monta aux lèvres de la vieille fille. Elle ne le prononça pourtant pas.

      – Du reste, continuait le baron, je vais lui dire deux mots, moi, à ce militaire… car, décidément, je passe de son bord.

      Par le plus grand des hasards, juste au moment où M. de Glorière quittait le salon, Mlle de Lespéran traversait le vestibule.

      Il lui prit la main, et d'un ton d'indulgente raillerie:

      – Ah! mademoiselle la rusée, fit-il, nous l'aimons donc bien notre commandant?.. Allons, allons, il ne faut pas rougir ainsi, vous avez bien fait de compter sur moi.

      Sur quoi il sortit, et tout en cheminant le long de la Grande-Rue de Vendôme:

      – Parbleu! grommelait-il, cette bonne demoiselle de la Rochecordeau est tout bonnement prodigieuse. Elle n'avait rien vu, rien deviné!.. Supposait-elle donc que le seul agrément de ses soirées attirait ce digne chef d'escadron!.. Mais me voici chez lui.

      Pierre Delorge, en ce moment même, n'était pas sur un lit de roses.

      Tout se sait, et se sait vite, dans une petite ville comme Vendôme. Déjà il avait recueilli quelque chose des propos tenus par la tante de Mlle de Lespéran. Il entrevoyait des difficultés de toutes sortes, peut-être un échec définitif.

      Il pâlit, tant était vive son anxiété, lorsqu'il vit entrer dans son modeste logis de soldat le baron de Glorière.

      Et, sans le saluer, vivement et d'une voix altérée:

      – Eh bien? interrogea-t-il.

      – Eh bien! répondit le baron, je viens, mon officier, vous dire que Mlle de la Rochecordeau ne me paraît rien moins que disposée à vous accorder la main de sa nièce.

      Le pauvre commandant chancela:

      – Ah! mon Dieu!.. balbutia-t-il.

      – Mais en même temps, poursuivit M. de Glorière, je viens vous dire: «Ne désespérez pas.» Notre vieille demoiselle n'est pas maîtresse absolue de la situation. Au-dessus d'elle, il y a le conseil de famille. J'ai voix au chapitre, et ma voix vous est acquise. A nous deux, sarpejeu! nous la ferons capituler.

      Et comme Pierre Delorge se confondait en actions de grâces:

      – Vous me remercierez en sortant de l'église, lui dit-il. Pour l'instant, agissons et jouons serré, car la vieille est fine, et tout d'abord, il ne faut pas laisser s'accréditer l'opinion d'un refus. C'est pourquoi nous allons, pendant qu'il fait encore jour, sortir ensemble et nous montrer bras dessus bras dessous dans toutes les rues de la ville. Ensuite vous viendrez dîner avec moi à l'Hôtel de la Poste. Après le dîner, vous me conduirez au cercle des officiers, et je ferai une partie d'échecs avec votre lieutenant-colonel, que l'on dit de première force… Or, comme je suis le subrogé-tuteur de Mlle de Lespéran, et que tout le monde le sait, dès demain il sera avéré que vous l'épousez. Nous aurons l'opinion pour nous, et l'opinion est la grande marieuse des petites villes; on ne défait pas les mariages qu'elle a faits…

      Exécuté de point en point, le programme du vieux diplomate de petite ville amena vite les résultats qu'il prévoyait.

      Mlle de la Rochecordeau était encore au lit, le lendemain, que déjà une de ses confidentes accourait lui apprendre ce qu'elle appelait les frasques de M. de Glorière.

      Ç'avait été l'événement de la messe de six heures, d'où elle sortait. Tout le monde parlait du mariage de Mlle de Lespéran et du commandant Delorge, le croyait décidé et l'approuvait.

      La vieille fille en pensa étouffer de colère.

      – C'est la plus noire des trahisons, s'écria-t-elle d'une voix étranglée, un acte de félonie indigne d'un gentilhomme. Je veux m'en expliquer avec lui, et certes je ne lui mâcherai pas ma façon de penser.

      C'est qu'elle ne s'abusait pas; c'est qu'elle comprenait bien que le chef d'escadron, soutenu par toute la famille, aurait promptement raison de ses résistances.

      N'importe! elle n'était pas d'un caractère à se rendre sans combat, en cette occasion surtout, où se trouvaient engagés les intérêts sacrés de son égoïsme.

      Dissimulant donc, ou plutôt croyant dissimuler très habilement à sa nièce les affreuses perplexités qui la déchiraient, elle se retira de meilleure heure que de coutume. Elle sentait le besoin d'être seule, pour réfléchir, pour chercher une issue à son intolérable situation.

      Certes, les avantages de ses adversaires étaient considérables, mais les siens n'étaient pas à dédaigner. Elle se voyait quelques jours encore de répit, et Mlle de Lespéran était toujours en son pouvoir.

      Bientôt elle s'imagina avoir trouvé une solution.

      Qui l'empêchait de quitter Vendôme avec Élisabeth? Pourquoi n'iraient-elles pas s'établir dans quelque ville d'eaux jusqu'au changement de garnison du régiment de Pierre Delorge?..

      Il en coûterait évidemment une grosse somme d'argent, car la vie est hors de prix dans les stations thermales, mais ce sacrifice lui semblait léger, comparé à un isolement dont la seule perspective la glaçait d'effroi.

      Elle ne pouvait d'ailleurs s'empêcher de rire à l'idée de la singulière figure que ferait le baron de Glorière lorsqu'il se présenterait chez elle et qu'on lui répondrait:

      – Mademoiselle et sa nièce sont en voyage pour plusieurs mois.

      Beau rêve!.. rêve trop beau pour qu'il se réalisât. La vieille fille ne s'en aperçut que trop le lendemain.

      Debout avant le jour, son premier mouvement fut de sonner sa nièce – car elle la sonnait – et de lui annoncer leur départ pour le jour même, lui ordonnant de tout préparer pour un long voyage et de se hâter de faire ses malles…

      Mais, chose étrange et véritablement inouïe, au lieu de se précipiter dehors pour obéir:

      – Excusez-moi, ma tante, répondit la jeune fille, mais en ce moment, je ne saurais, je ne puis quitter Vendôme…

      Positivement, la vieille demoiselle faillit tomber à la renverse.

      – Tu ne saurais quitter Vendôme! balbutia-t-elle; et pourquoi, s'il te plaît?..

      – Vous le savez aussi bien que moi, ma tante.

      – Non, explique-toi.

      – Eh bien! c'est que je dois attendre le résultat d'une… demande qui vous a été faite hier, et à laquelle vous avez promis une réponse prochaine…

      Mlle de la Rochecordeau eût vu s'animer et descendre de leurs socles les statues de saintes qui ornaient sa chambre, que sa stupeur n'eût pas été plus grande. Quoi! sa nièce connaissait la démarche du chef d'escadron! Et elle avait l'audace de l'avouer!..

      – C'est une indignité! s'écria-t-elle, une impudence sans nom!.. Ah! mademoiselle, vous tenez à rester pour connaître ma réponse! Eh bien! la voici: «Jamais, moi vivante, vous n'épouserez ce grossier soudard!» Est-ce assez catégorique, êtes-vous satisfaite, et irez-vous maintenant préparer nos malles?..

      Mais c'est bien inutilement que la vieille fille essayait de ressaisir l'empire qu'elle s'imaginait avoir sur Élisabeth.

      Cette

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