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être sûrs de leur affaire. La police leur aura bientôt mis le grappin dessus…

      – Oh! quant à ça…

      – C'est sûr et certain, je vous le garantis. Le gardien qu'ils ont trompé se souvient de leur signalement. Il y en a un surtout qu'il reconnaîtrait, m'a-t-il dit, s'il le rencontrait dans la rue. C'est un homme jeune, très comme il faut, de taille moyenne, portant toute sa barbe, légère et molle, séparée en éventail au menton. Il était vêtu d'un grand pardessus à longs poils, et portait un chapeau large et une cravate blanche.

      D'un brusque mouvement, le docteur entraînait Raymond vers l'intérieur du cimetière…

      Le signalement donné, c'était le sien propre, trait pour trait. Rien n'y manquait. Que le brigadier se retournât, ou un de ses auditeurs, et le docteur Legris se trouvait dans une situation difficile.

      – Me voici dans de beaux draps! fit-il, quand il se crut à l'abri.

      Raymond était désespéré. Il avait pris la main du docteur et la serrant:

      – Comment reconnaître jamais, lui disait-il, tout ce que vous avez fait pour moi, qui vous suis presque inconnu?.. Jamais je ne me pardonnerai l'embarras où je vous jette. Eh! je devais bien savoir qu'il y a sur moi comme une fatalité, et que je porte malheur! Quand on se sait ainsi, on vit seul…

      Mais déjà le sourire était revenu sur les lèvres du docteur.

      – Quand on est ainsi, dit-il de sa bonne voix sympathique, on accepte le dévouement d'un ami, et on est deux à lutter contre la mauvaise fortune!

      Dans la bouche du docteur Legris, ces grands mots: amitié et dévouement, gardaient entière et intacte leur admirable signification.

      Il suffisait qu'il les eût prononcés pour qu'il s'estimât engagé d'honneur.

      Mais, pour cela même, il détestait les phrases et l'emphase, fuyait les explications et les effusions.

      Voyant donc Raymond sincèrement ému:

      – Nous recauserons de tout cela plus tard, reprit-il vivement. L'important, pour l'heure, est de nous remettre à notre besogne, laquelle, il faut bien l'avouer, se complique terriblement. Encore un moyen d'arriver à la vérité qui nous échappe, car il serait insensé d'aller demander communication du permis…

      Puis, après quelques minutes de réflexion.

      – N'importe, reprit-il, tout espoir n'est pas encore perdu d'avoir le mot de l'énigme. Ah! je ne jette pas ainsi ma langue aux chiens, moi! Marchons, tâchons de retrouver l'endroit où notre guide nous avait conduits.

      Le cimetière, à cette heure, n'avait plus rien des mystérieuses terreurs de la nuit. Le mouvement et la vie l'emplissaient. A tout instant des groupes passaient, les bras chargés de fleurs ou de couronnes d'immortelles. Çà et là, dans des massifs, on entendait le chant monotone d'un jardinier ou le grincement de la scie d'un tailleur de pierre.

      A la tempête de la nuit, une journée printanière succédait. Une brise molle berçait les arbres gonflés de sève. Et tout le long des allées, aux tièdes rayons du soleil, les premières primevères ouvraient leurs feuilles d'un vert tendre.

      Et tandis que les jeunes gens erraient à l'aventure, à travers le labyrinthe des tombes, cherchant leur chemin qu'ils ne reconnaissaient pas:

      – Voici, disait le docteur à Raymond, voici l'idée bien simple qui m'est venue. Les deux prénoms gravés sur la pierre: Marie-Sidonie, ne vous rappellent, m'avez-vous dit, personne que vous ayez connu?

      – Personne, docteur.

      – Bien. Mais rien ne nous dit que le nom de famille, omis peut-être à dessein, ne réveillerait pas vos souvenirs!..

      – Il faudrait le savoir…

      – Sachons-le. Il est inscrit au greffe du cimetière, évidemment.

      Raymond tressaillit.

      – Oubliez-vous donc, docteur, s'écria-t-il, la situation que nous fait ce faux permis? Pouvons-nous raisonnablement nous présenter au greffe?

      – Non. Mais nous pouvons y envoyer quelqu'un, le premier venu, le commissionnaire du coin, si vous voulez…

      Mais il s'interrompit, et d'un tout autre ton:

      – Ah! nous y voici! dit-il. Cette fois, je ne me trompe pas.

      Ils arrivaient, en effet, à l'endroit où les avait postés l'homme de la Reine-Blanche. Ils reconnaissaient le banc vermoulu où ils s'étaient assis, et le rideau de cyprès qui les avait cachés.

      Devant eux, jusqu'au mur de clôture, s'étendait la clairière inculte et nue.

      Ils revoyaient la tombe, si audacieusement profanée, telle qu'elle leur était apparue à la pâle clarté de la lune.

      Elle était toujours dans le même état, c'est-à-dire en pleine réparation, tout entourée de plâtras et d'éclats de moellons. La pierre tombale était toujours retirée, les outils des ouvriers étaient encore à terre.

      A ce spectacle, le front du docteur se plissa.

      – Oh! murmura-t-il, qu'est-ce que cela signifie?

      C'est qu'il s'était attendu à trouver la tombe entièrement réparée.

      C'était l'unique moyen de faire disparaître toute trace de l'odieuse profanation, et il pensait que ceux qui avaient tant osé ne l'auraient pas négligé, et que dès le matin ils auraient envoyé des ouvriers, leurs complices de la nuit…

      Mais non, rien.

      Et les pierres du caveau, descellées violemment et replacées à la hâte, trahissaient le sacrilège.

      Voilà ce que le docteur avait vu d'un coup d'œil.

      Voilà ce que Raymond vit aussi, car répondant à l'exclamation de son compagnon:

      – Et vous avez entendu les gardiens, docteur, dit-il d'une voix altérée: ils ont annoncé qu'ils allaient visiter attentivement le cimetière.

      – Oui, j'ai entendu. S'ils viennent ici, et ils y viendront, ces pierres, jetées là pêle-mêle attireront leur attention… Ils les dérangeront et verront que la bière a été forcée… Ils soulèveront les planches mal reclouées, et reconnaîtront que cette bière est vide…

      Positivement, Raymond sentait sa raison se troubler.

      – De sorte que… balbutia-t-il.

      – De sorte que, si nous venions à être reconnus, nous serions arrêtés, emprisonnés, accusés d'un crime incompréhensible, tant il est odieux, et en danger, qui sait! d'être condamnés…

      – Ah! vous m'épouvantez, docteur…

      – Dame! prouvez donc votre innocence, s'il vous plaît! Allez donc raconter la vérité à un juge d'instruction! Allez donc lui dire que sur la foi d'une lettre anonyme, nous sommes allés au bal de la Reine-Blanche, attendre, sans savoir dans quel but, un homme inconnu… que cet homme s'est présenté à nous vêtu d'un costume de carnaval, et que nous avons consenti à le suivre ici, sans explications; qu'il nous a fait cacher, et que nous avons vu quatre personnes dont une femme, que les autres appelaient «madame la duchesse», franchir le mur du cimetière et violer cette tombe… Oui! allez un peu raconter cela à votre juge!.. «A d'autres! vous répondra-t-il, à d'autres! Est-ce que de telles choses sont admissibles, en pleine civilisation, en plein Paris, une nuit de carnaval!..»

      Et sans laisser le temps à Raymond de placer une syllabe:

      – C'est que ce n'est pas tout, reprit-il. On nous demandera pourquoi cette bière est vide. On n'élève pas, que diable! des tombeaux sur une bière vide. Nous redirons ce que nous avons vu, on haussera les épaules. On nous montrera sur la pierre tombale ce nom gravé: Marie-Sidonie; on nous demandera compte du cadavre…

      Il se sentait pâlir en parlant ainsi, il regardait de tous côtés s'il n'apercevait pas quelque gardien. La peur, cette peur qui ne discute ni ne raisonne, troublait son jugement

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