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la cervelle. Retournons rejoindre notre guide.

      Mais quand ils revinrent au banc vermoulu, derrière les cyprès, l'homme au mac-farlane n'y était plus.

      Ils appelèrent… pas de réponse. Ils écoutèrent… nul bruit. Ils cherchèrent aux alentours… rien.

      – Nous sommes joués! fit le docteur, d'un ton qui annonçait plus de colère que de surprise, joués comme des enfants!

      – Mais cet homme…

      – Il doit être dehors à cette heure… Mais soyez tranquille, nous le retrouverons, je le veux… Seulement il faudrait pouvoir sortir d'ici à l'instant.

      Oui, mais comment? En escaladant le mur? C'était à peine praticable, et en tout cas, bien imprudent.

      Si encore ils avaient eu idée du moyen employé par leur guide pour les introduire dans le cimetière!

      – N'importe! s'écria le docteur, j'ai un plan, et précisément parce qu'il est hardi, il doit réussir. Regagnons la porte.

      Le malheur est qu'ils ne connaissaient pas le cimetière, qu'ils ne savaient même pas dans quelle partie ils se trouvaient. Longtemps ils errèrent à travers le dédale des tombes. La peur, par moments, les prenait presque…

      – Si on nous trouvait ici, disait Raymond, comment expliquer notre présence!

      Enfin le docteur crut reconnaître l'allée prise la première par leur guide. Il ne se trompait pas. Bientôt ils aperçurent le rond-point et la maisonnette du gardien.

      – Maintenant, dit le docteur, à la grâce de Dieu!

      Et il alla frapper au carreau de la maisonnette.

      – Qui va là? dit une voix de l'intérieur.

      – Nous, parbleu! répondit le docteur, nous voudrions sortir.

      – Déjà! votre camarade qui vient de partir m'avait dit que vous resteriez jusqu'à l'ouverture…

      – Nous avons réfléchi.

      – Alors, attendez une minute, et je suis à vous, dit le gardien.

      Il ne fut pas long à paraître, en effet, et ayant ouvert la porte, il mit les deux jeunes gens dehors, en leur disant:

      – A une autre fois!..

      Le docteur se frotta les mains.

      – Eh! eh! fit-il, quand la porte fut fermée, peut-être tenons-nous notre homme!

      III

      C'est sur une circonstance bien futile en apparence, et qui avait totalement échappé à Raymond, que reposaient toutes les espérances du docteur Legris.

      Pressé de questions, leur guide leur avait répondu avec un accent de regret dont il n'y avait pas à suspecter la sincérité:

      «Ah çà! croyez-vous donc que c'est pour mon plaisir que j'ai quitté le bal au plus beau moment, et juste comme je venais de faire une connaissance charmante?..»

      – Donc, concluait le docteur, il y a dix à parier contre un que cet ami de la gaîté est allé reprendre son quadrille interrompu.

      – A moins qu'il ne se défie, objecta Raymond.

      – Et de qui, s'il vous plaît? De nous? Impossible! Ne nous croit-il pas pris dans le cimetière comme dans un piège pour le reste de la nuit? Moi, je ne crains qu'une chose: c'est que le bal ne soit fini.

      Il ne l'était pas. En arrivant à l'allée boueuse de la Reine-Blanche, les jeunes gens aperçurent au fond les reflets de l'illumination de la salle.

      – Entrons! fit Raymond.

      Mais le docteur l'arrêtant:

      – Plaisantez-vous? dit-il. Oubliez-vous que si nous avons intérêt à rejoindre cet homme, il a un intérêt non moindre à nous éviter?

      – Ah! si je le tenais, docteur!..

      – Vous l'avez tenu, mon cher ami, et il n'a pas parlé. Croyez-moi, pas de violence. Laissez-moi agir, moi qui suis de sang-froid. Attendez ici, pendant que j'entrerai seul en prenant mes précautions pour n'être pas reconnu.

      Ces précautions étaient indiquées par les circonstances mêmes.

      A la Reine-Blanche, comme à tous les bals publics, est établi pendant le carnaval un magasin où on loue des costumes.

      C'est là que se rendit tout droit le docteur. Et moyennant trois francs dix sous, une vieille femme, qui avait un faux air de sorcière, mit à sa disposition une longue souquenille de lustrine noire, qu'elle décorait du nom de domino.

      C'était puant, malpropre, répugnant, et à tout autre moment le docteur eût reculé devant cette loque. Mais le temps pressait. Il l'endossa, rabattit, non sans dégoût, le capuchon sur son visage, et se glissa dans la salle de bal.

      Elle était vide, ou autant dire. De la cohue de la soirée, c'est à peine si soixante ou quatre-vingts enragés restaient, les uns achevant de se griser autour des tables poisseuses, les autres se ruant avec des gestes épileptiques en une sorte de galop échevelé.

      Mais qu'importait au docteur Legris!

      Il venait de reconnaître, assis à une des tables de l'estrade, devant un bol immense de vin à la française, l'homme au mac-farlane. Près de lui, vêtue d'un costume de bayadère, bien trop large et beaucoup trop court, buvait une surprenante créature, d'une laideur et d'une maigreur invraisemblables.

      – Allons, la chance est pour nous! pensa le docteur.

      Et jugeant inutile un plus long séjour dans ce bal, il courut se débarrasser de son domino, et rejoignant Raymond:

      – Il ne s'agit plus, lui dit-il, que de savoir où demeure ce gaillard, ce qu'il fait et comment il s'appelle. Et pour y arriver, voici le programme: nous allons monter dans une voiture, d'où nous guetterons la sortie de notre inconnu. Dès qu'il paraîtra, nous commanderons à notre cocher de le suivre, où qu'il aille, à pied ou en fiacre. Dame! c'est un singulier métier que nous ferons là, mais nous n'avons pas le choix des moyens…

      La décision prise, ils se hâtèrent de l'exécuter, et bien ils firent, car ils étaient à peine blottis dans un fiacre, que l'homme sortit de la Reine-Blanche, traînant à son bras la bayadère maigre.

      Il avait repris son mac-farlane, et sa compagne avait jeté sur ses épaules osseuses un flamboyant châle à carreaux rouges et noirs.

      Aussitôt le docteur baissa la glace de devant de sa voiture, et les montrant au cocher:

      – Voilà, lui dit-il, les gens qu'il s'agit de suivre sans qu'ils s'en doutent. Si vous réussissez, il y aura vingt francs de pourboire.

      – Connu! répondit le cocher en clignant de l'œil.

      Et d'un vigoureux coup de fouet, il réveilla son pauvre cheval, qui partit en traînant la jambe…

      Le jour se levait… Comme toujours au matin, après une tempête, le ciel était clair. Le vent avait déjà séché le bitume des trottoirs.

      Les boulevards extérieurs s'éveillaient. Les balayeurs s'emparaient de la chaussée, les lourdes charrettes chargées de pierres commençaient à circuler. Et par toutes les rues descendaient, des hauteurs de Montmartre, des groupes d'ouvriers…

      Mais ni l'homme au mac-farlane, ni la bayadère ne craignaient les regards, et c'est le plus fièrement du monde qu'ils longeaient le boulevard Rochechouart.

      Parfois, des ouvriers les interpellaient de loin, et les poursuivaient de quolibets assez peu flatteurs. Ils y répondaient de la belle façon. D'autres fois, c'était eux qui commençaient à apostropher les balayeurs.

      C'est ainsi qu'ils arrivèrent chaussée Clignancourt. Ils la remontèrent un moment, tournèrent à gauche, rue Saint-André, puis à droite, rue Feutrier…

      Puis le fiacre où se cachaient le docteur et Raymond s'arrêta, et le cocher se penchant vers eux, leur dit:

      – Le

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